Postés devant les portes coulissantes de l'accueil de l'hôpital des Quinze-Vingts, deux employés distribuent masques et gel hydroalcoolique à qui veut entrer. Ici la règle est la même pour tous, patients comme soignants : interdiction de pénétrer dans les lieux sans protection. Et pour cause : bien que spécialisé en ophtalmologie, l'établissement du douzième arrondissement parisien bande ses muscles pour faire face à l'épidémie de coronavirus.
En toute logique, les Quinze-Vingts ne croulent pas sous les admissions de patients Covid. Mais la direction tenait à maintenir au maximum son activité en protégeant soignants et patients. Chanceux, le centre hospitalier national d'ophtalmologie (CHNO, son autre nom) a bénéficié d'un don de 10 000 masques par l'entreprise chinoise Huawei lui permettant ainsi d'éviter la pénurie. Dès les premiers jours de crise, un circuit dédié aux patients contaminés ou présentant des signes d'atteinte au Covid-19 a été mis en place. La grande bâche qui sépare en deux le hall du bâtiment principal en est l'illustration. Une aile entière et un bloc opératoire sont réservés aux patients touchés par l'épidémie.
Pertes de chance « irréversibles »
Pour les soins urgents et indispensables, une trentaine de boxes de consultation et cinq blocs opératoires ont été maintenus. Malgré cela, l'activité chirurgicale tourne rarement à plus de 25 % de sa capacité normale et les passages aux urgences ont diminué de moitié depuis le début de l'épidémie. Comme ailleurs, le confinement occasionne un effondrement de l'activité dans cet illustre hôpital fondé par Saint-Louis, souvent considéré comme berceau français de l'ophtalmologie. Sur place, les médecins s'inquiètent des complications que pourrait engendrer un retard de prise en charge. « Pour la DMLA, le glaucome et la rétinopathie, un retard de traitement peut entraîner des pertes de chance irréversibles pouvant aller jusqu'à la cécité », explique, préoccupé, le Pr Christophe Baudoin, président de la commission médicale d'établissement. « Les décollements de rétine gagnent à être opérés le jour même, abonde le Pr Michel Paques, or on remarque une diminution de 50 % de cette activité. »
À l’inverse, la pharmacie du CHNO tourne à plein, ou presque. « Nous avons maintenu 77 % de notre activité », se félicite Marie-Claire Despiau, la responsable. Grâce au travail « admirable » de son équipe, la pharmacienne a pu continuer à fabriquer et dispenser des collyres en quantité suffisante pour approvisionner les patients de l'hôpital et les quelque 140 établissements de France et d'outre-mer qui dépendent des Quinze-Vingts pour se fournir. Seule la fabrication des collyres autologues, produits à partir du sérum sanguin des patients, a dû être arrêtée. Comme ses confrères, Marie-Claire Despiau craint « cinq mois de retard de traitement » pour les 200 patients qui bénéficient de cette thérapie.
Soutien à la première ligne
Les Quinze-Vingts épaulent à leur niveau les professionnels de première ligne. Sept respirateurs et un extracteur d'ADN ont été prêtés à l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP). Le CHNO a par ailleurs ouvert une unité post-réanimatoire afin de délester les services franciliens les plus touchés. Douze lits ouverts du 1er au 27 avril ont permis d'accueillir 27 patients par une équipe composée de douze internes et paramédicaux chaperonnés par un médecin interniste. Une première pour l'établissement.
Malgré la baisse d'intensité de l'épidémie, le directeur général s'attend à maintenir cette organisation encore un temps. « On ne peut pas envisager sereinement une reprise rapide », analyse Jean-François Segovia. Du moins pas avant la deuxième vague épidémique que le responsable pressent « pour le début de l'été ». D'autant que la tension actuelle sur les produits anesthésiants limite le nombre d'interventions réalisables à 20 par jour en tout. « Il va falloir continuer à faire le tri et privilégier les interventions les plus importantes », prévient, à regret, le directeur.
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