Une patiente, Mirvadi Buyukispir, est décédée le 6 février 2013 à la suite d’une séance de lithotripsie au bloc ambulatoire d’urologie de l’hôpital Saint-Joseph (privé à but non lucratif) à Marseille, le 22 janvier. Cette intervention, sous anesthésie consciente, consistait à éliminer par fragmentation des calculs rénaux au moyen d’un appareil à ultrason. Elle est entrée au bloc à 8h20 du matin. À 9h35, en salle de surveillance post-interventionnelle où elle avait été transférée, elle était en arrêt cardiorespiratoire. Elle est décédée sans jamais être sortie du coma.
Son mari a déposé plainte auprès du procureur de la République, notamment du chef d’homicide involontaire, puis s’est constitué partie civile, en juin 2013. « C'est une intervention où, normalement, vous arrivez le matin, on vous endort et vous repartez l’après-midi » commente son avocat de la partie civile, Me Thomas Hugues du barreau de Marseille. « S’il y avait eu une surveillance continue, cet accident ne serait jamais arrivé.»
Ce mardi 30 octobre, le tribunal correctionnel de Marseille a condamné l’anesthésiste et le chirurgien à respectivement une peine de deux ans et un an d’emprisonnement avec sursis et une amende de 30 000 euros et 20 000 euros. L’hôpital Saint-Joseph a écopé de 100 000 euros d’amende, dont 50 000 euros avec sursis. À l’audience, le 11 octobre, le procureur de la République n’avait requis aucune peine à l’encontre de l’établissement marseillais privé à but non lucratif. Tous ont été reconnus coupables d’homicide involontaire. La manipulatrice radio, parmi les prévenus, a été relaxée.
Dix ans de procédure
Après dix ans de procédure judiciaire, Me Hugues se dit soulagé. « Ce n'est pas facile dans le contexte actuel de prendre une décision de justice à l’encontre d’un établissement hospitalier qui remplit au quotidien une mission de service public, reconnaît Me Hugues. Les juges ont pris de la hauteur sur ce dossier, cela représente des avancées pour le droit », salue l’avocat.
Dans leur décision, les juges considèrent que la Dr Tiphaine Jouglet, qui travaillait depuis plus de dix ans en tant qu’anesthésiste à l’hôpital Saint-Joseph lorsqu’est survenu l’accident, « s’est volontairement soustrait à son obligation de surveillance de Mme Buyukispir tant lors de l’opération que lors de la phase post-opératoire ». « L’absence de surveillance anesthésique [...] n’a pas permis de diagnostiquer [sa] détresse respiratoire et de prévenir son décès », souligne le jugement.
« La prévenue avance un planning trop chargé défini par le chirurgien sans la consulter dans le cadre d’une culture au sein de l’hôpital Saint-Joseph tolérant cette pratique et un refus par l’hôpital de financer la présence d’un infirmier anesthésiste. Cet état de fait, selon elle, ne lui aurait pas permis de respecter ces obligations », poursuivent-ils. « Ces différents éléments ne sauraient justifier le comportement de la prévenue. »
Surbooking des patients
« Elle a comme à son habitude, sans aucune nécessité et pour permettre à son collègue chirurgien et à elle de finir tôt le programme de la journée, laissé sans surveillance une patiente pendant une grande partie de l’anesthésie qu’elle administra grâce à une injection automatisée d’Ultiva », tance le jugement qui fait remarquer que « la situation de surbooking des plannings a engendré pour elle un gain financier en ce qu’il lui a permis de réaliser et donc de facturer un nombre d’actes en un temps plus court ».
En septembre 2015, la Dr Jouglet avait été sanctionnée d’une interdiction d’exercice de la médecine de six mois dont trois mois avec sursis par la chambre disciplinaire nationale du conseil de l’ordre des médecins. Concernant le chirurgien, le Dr Thierry Bonnin, le tribunal note que « malgré cette absence de l’anesthésiste pendant et après l’intervention, M. Bonnin n’a procédé à aucun contrôle de l’état de santé de la patiente, se reposant entièrement sur le scope et le déclenchement éventuel d’une alarme sonore. »
Dès le 2 février 2013, l’agence régionale de santé (ARS) avait été informée de cet événement indésirable grave par le directeur de l’hôpital avant d’en référer au procureur de la République. Dans son rapport d’inspection, elle décrivait « un contexte institutionnalisé de glissement des tâches du médecin anesthésiste vers des professionnels de santé non autorisés à les réaliser.» « ll était de pratique commune de laisser la manipulatrice radio réaliser les actes dévolus à l’anesthésiste dans la phase post-opératoire » , signale le tribunal.
« Le juge n’a pas suivi les réquisitions du procureur qui n’avait demandé aucune peine à l’encontre de l’hôpital Saint-Joseph », souligne la direction de l’établissement dans un communiqué ce mercredi 31 octobre. « L’hôpital ne souhaite pas s’exprimer sur cette décision de justice et étudie les éventuelles suites à donner avec son Conseil », explique le communiqué. « L’hôpital Saint-Joseph a été très touché par ce dramatique accident. La direction tient à nouveau à exprimer toute sa compassion vis-à-vis de la famille et des proches de la patiente », conclut le texte.
L’établissement a dix jours pour faire appel.
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