C'est donc Edouard Philippe qui a reçu mission par Emmanuel Macron de suturer les plaies ouvertes entre les hospitaliers et le gouvernement. Il présentera le plan d'urgences pour l'hôpital mercredi prochain. C'est d'Epernay (Marne) que le président de la République a fait cette annonce en reconnaissant que le plan Ma Santé 2022 "n'allait pas assez vite. Emmanuel Macrona reconnu l'urgence à "investir plus fortement que ce que nous avions envisagé, car la situation est encore plus grave". Les revalorisations de carrières devraient bénéficier de ce coup de pouce. Le chef de l'Etat a-t-il entendu les slogans repris lors de la manif de ce jour : "C'est pas Macron qui donne les biberons, c'est pas Buzyn qui change les bassins !" C'est un des nombreux slogans chantés dans cette très grande manif bon enfant et populaire des hospitaliers qui ont défilé le 14 novembre à Paris. Un grand nombre d'établissements étaient représentés et surtout toutes les professions de l'hôpital se sont donné rendez-vous à la place de Port Royal pour manifester. Infirmières, aides-soignantes, mais aussi médecins et même internes étaient présents avec leurs revendications adressées au gouvernement. Aurélie, infirmière anesthésiste à l'hôpital Ambroise-Paré (AP-HP) dresse un tableau apocalyptique :"L'hôpital se meurt, les patients comme le personnel en patissent, il n'y a pas assez de lit. On ne peut pas opérer nos patients qui doivent attrendre plusieurs jours pour être opérés. Leur pronostic vital finit par être engagé seulement parce que nous ne sommes pas assez nombreux pour les accompagner."
Un glissement de tâches insupportable
Dans son métier, elle dit ne pas comprendre "ce glissement de tâches insupportable" : "il faut qu'on arrête de demander à une infirmière d'en faire toujours plus et de s'occuper de toujours plus de patients." Une autre infirmière, trente ans de métiers, 55 ans, Emmanuelle, a les mêmes préoccupations qu'Aurélie. Elle travaille dans un service de maladies infectieuses à l'hôpital Raymond-Poincaré de Garches (92) : "La prise en charge des maladies chroniques est de plus en plus difficile à cause de la T2A. Nous n'avons pas le temps de nous occuper du versant psycho-social du patient, l'aspect humain a été complètement effacé." Cette infirmière expérimentée a perçu cette dégradation depuis quatre ou cinq ans. La pire a été cette année. D'autres personnes interviewées rejoignent cette analyse. En trente années de carrière, elle n'a fait grève que trois fois. Et là ce matin elle a fait aussi pour la première fois la grève des actes. Mais cette résistance à la T2A ne peut se prolonger dans le temps sans mettre en danger les patients.
Quelle qualité des soins ?
Cette préoccupation des patients est un leitmotiv chez les manifestants. Pour Damien, 49 ans, qui dirige un service spécialisé dans la prise en charge des troubles alimentaires dans un hôpital de l'AP-HP, "les patients n'ont pas accès aux soins qui correspondent à leurs besoins. Nous sommes là aussi pour eux. Nous nous trouvons en difficulté depuis des années. On est au bord de la rupture aussi bien en terme d'épuisemnt que de qualité des soins." La plupart des médecins interviewés reconnaissent qu'ils n'ont pas adhéré tout de suite au mouvement des urgences. Un autre médecin qui travaille dans le même service qu'Emmanuelle l'infirmière de l'hôpital Raymond Poincaré estime que le problème des urgences est largement lié à celui de l'hôpital public dans son ensemble, à savoir les lits d'aval, les filières de soins... Et curieusement il n'est pas d'avis que ceux qui souffrent le plus sont les urgentistes qui bénéficient de repos, mais plutôt les personnels qui travaillent dans les services qui s'occupent de patients chroniques "où l'on n'arrive pas à assurer des soins de qualité".
Délabrement des locaux
Concernant les personnels les plus impactés, les internes étaient assez nombreux dans le cortège. Louise, Elisabeth et Manon, toutes trois en troisième semestre, ne comprennent pas le manque de moyens attribué aux urgences : "Dans les services c'est déjà compliqué, mais les urgences c'est pire que tout", insiste l'une d'entre elles. A cause du manque de brancardiers et de personnels infirmiers, les RDV pris pour les examens des patients ne sont pas toujours honorés, et les hospitalisations sont prolongées à cause de cela. Elles dénoncent également le délabrement des locaux et déplorent de devoir travailler avec des souris. S'agissant de leur rémunération, l'une d'elles déclare : "Vu qu'on est considéré comme des étudiants, les gens trouvent normal qu'on ne touche pas grand chose alors qu'on fait un travail de médecin. On touche 1 300 euros par mois au premier semestre pour des semaines de 50 heures et parfois on enchaîne 12 jours de suite sans repos à cause des gardes." Comme les médecins manifestants, elles prennent la défense des infirmières : "Quand les infirmières vont mal, cela se ressent sur toute l'équipe et cela met tout le monde en difficulté." Une autre jeune interne, Kim se demande pourquoi les pouvoirs publics acceptent de baisser le budget de la santé de 2% chaque anné depuis vingt ans : "Résultat, plus personne ne veut travailler à l'hôpital, s'indigne-t-elle.
Réhabiliter le service public
Au-delà des revendications bien connues (embauches, revalorisations, réouvertures de lits, Ondam à 4%), certains manifestants comme le médecin de l'hôpital Poincaré mettent en avant la notion de service public qui "est en train de perdre ses moyens en matière de personnel". Très finement, ce PH insiste sur le fait que la ministre de la Santé Agnès Buzyn est bien conscience de la situation hospitalière : "Cette manif va la soutenir pour qu'elle puisse avance un peu par rapport à ses collègues ministres mais également pour lui dire que c'est déjà trop tard." Pour remettre à flot le service public, il propose quelques mesures de bon sens comme réinternaliser les services hospitaliers tels que la blanchisserie, le ménage, les repas. Car il manque une équipe à l'hôpital, explique-t-il. Et surtout il faut motiver les infirmières pour qu'elles restent enfin au sein de l'hôpital public. Celles qui sont formées par le public restent cinq ans, mais s'en vont assez rapidement pour exercer dans le privé ou en libéral. Quant aux autres, elles restent en moyenne deux ans. Damien le disait : "Il faut que le gouvernement entende nos doléances et réagisse". Le plan que devrait annoncer le Premier ministre sera surveillé comme le lait sur le feu par les hospitaliers. Attention donc à ne pas les décevoir.
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