« Qu'ils soient victimes, blessés, traumatisés, endeuillés ou spectateurs effrayés d'évènements terribles qu'ils ne comprennent pas toujours, nos enfants et nos adolescents méritent que nous consacrions toute notre énergie à répondre à leurs traumatismes, à leurs peurs, à leurs questions », a déclaré Juliette Méadel, la secrétaire d'État chargée de l'Aide aux victimes en ouvrant la table ronde du 24 janvier*.
« Un traumatisme est un événement violent, unique ou répété, qui déborde les capacités défensives de l'enfant et détruit ses théories sociales infantiles », définit le Pr Thierry Baubet, chef de service de psychopathologie à l'hôpital Avicenne (AP-HP), chercheur INSERM et responsable de la cellule d'urgence médico-psychologique (CUMP) de Seine-Saint-Denis. Parmi les caractéristiques cliniques : des conséquences quel que soit l'âge (y compris in utero), qui se diffusent en halo à tout l'entourage (parents, fratrie, amis), et une évolution peu prévisible. Des enfants confrontés à l'effroi peuvent présenter des troubles aigus (choc, ASD, symptômes dissociatifs), mais qui n'évolueront pas vers un trouble chronique tandis que l'absence de trouble immédiat ne garantit pas une évolution favorable. « Parfois s'additionne le deuil, soit une perte traumatique qui ne se résume pas au traumatisme », tient à distinguer le Pr Baubet.
Changement de paradigme
La prise en charge d'enfants ainsi traumatisés nécessite « un changement de paradigme, de manière d'aborder nos métiers », témoigne la Pr Florence Askenazy, cheffe du service psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent au CHU Lenval, à Nice. « Nous sommes confrontés à un état interne menacé non plus par ses fantasmes, mais par l'extérieur qui fait retour vers l'intérieur », explique la psychiatre.
En urgence et post-urgence (un mois après l'évènement) l'intervention consiste à soutenir les enfants et leurs parents, à les orienter, si besoin, vers des soins structurés, à évaluer le risque psychopathologique au cas par cas (et à le réévaluer ne serait-ce que par téléphone par la suite) et à leur fournir une information qu'ils peuvent conserver sur les ressources disponibles, explique le Pr Baubet.
Pour ce faire, l'alliance entre les professionnels de l'urgence psy et les pédopsychiatres est essentielle, insiste le responsable de CUMP ; et d'inviter les pédopsy à entrer dans les CUMP, tout en défendant la valorisation de ces participations.
Dispositif niçois, inédit en Europe
Une telle alliance semble avoir porté ses fruits à Nice, où une CUMP pédiatrique a été mise en place du 15 au 28 juillet. Ce dispositif inédit en Europe, selon la Pr Askenazy, a mobilisé 227 soignants dont 51 pédopsychiatres et reçu 708 victimes dont 382 enfants (âgés pour la plupart de 6 à 8 ans) et des familles entières. En outre, 14 soignants ont été reçus par la CUMP, puis 81 en groupes de debriefing - car beaucoup de jeunes infirmiers se sont retrouvés aux avant-postes de l'accueil des victimes au CHU Lenval, sis sur la promenade des Anglais, le soir du 14 juillet. Et plus de 50 consultations ont été menées par une équipe de liaison dans les services.
« Les liens fondamentaux, la parentalité, ont été attaqués à Nice » témoigne le Pr Askenazy qui craint que les données de la littérature ne se vérifient, à savoir que le risque de développer des troubles psychopathologiques chroniques les 2 ou 3 ans suivant l'attentat augmente de 30 à 40 %. Depuis le 14 juillet, 1 000 jeunes ont été reçus, au cours de plus de 2 200 consultations, a-t-elle précisé.
Ultime et cruciale question : comment structurer l'aval, alors que le nombre de pédopsychiatres a diminué de moitié en 10 ans ? Le Pr Baubet plaide pour des centres de ressources, experts, à l'échelon départemental, qui soient tête de pont de réseau, centres de recherche, et qui puissent fournir un accompagnement à une victime en mal de suivi, le temps d'être réorientée. Le Pr Jean-Philippe Raynaud, chef du service de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent à La Grave (Toulouse) appelle à renforcer, conjointement, le droit commun (CMPP, CMP, école, milieu associatif). De l'accompagnement des victimes de l'explosion de l'usine AZF au cours des 15 dernières années, il retire comme première leçon la nécessité de « collaborer et d'être solidaires ». « Depuis, on s'entraîne, dans des exercices grandeur nature », a-t-il expliqué. « On collabore avec les CUMP pour former les professionnels des CMP pour qu'ils se tiennent près », a-t-il insisté.
*Un cycle de trois tables rondes a été mis en place : la première en décembre a abordé la prise en charge des traumatismes, la troisième en mars portera sur l'offre de soins psy.
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