Discriminations dans les carrières, violences sexistes et sexuelles, comportements inappropriés banalisés : les avancées dans la lutte contre les inégalités entre les femmes et les hommes à l'hôpital sont lentes. Pour la quatrième année consécutive, le baromètre de l’association « Donner des Elles à la santé », réalisé par Ipsos en partenariat avec les laboratoires Janssen, a montré ce jeudi un bilan toujours contrasté de la situation des femmes médecins, tout en donnant des pistes de mesures pour remédier aux discriminations.
Ainsi, au cours de leur carrière, 82 % des femmes se sont senties discriminées du fait de leur genre, selon le baromètre. Si le chiffre est en légère baisse par rapport aux éditions précédentes (87 % en 2020, 85 % en 2021 et 2022), la proportion de femmes déclarant avoir été « beaucoup » discriminées pendant leur carrière atteint un niveau record : 44 %, contre 42 % en 2022.
Si cette étude confirme « quelques avancées » et « une prise de conscience » progressive, la démarche en faveur de l’égalité femmes-hommes à l’hôpital doit « s’accélérer », juge la Dr Marie-France Olieric, gynécologue obstétricienne, cheffe de service et présidente de la CME du CHR Metz Thionville. La présidente de l’association déplore notamment la persistance de comportements regrettables. Les hommes sont davantage valorisés que les femmes pour un travail égal (selon 60 % des femmes), mais aussi davantage sollicités dans des activités de représentation (conférences, réunions institutionnelles), selon 62 % des femmes. Quant aux stéréotypes, ils restent ancrés à l’hôpital : on reproche fréquemment aux femmes de ne pas être « faites » pour les postes universitaires ou d’avoir moins de capacités que les hommes (résistance physique, abnégation, habileté, rigueur, etc.).
Le plafond de verre reste une réalité
Les femmes rencontrent plus de difficultés que les hommes pour accéder aux postes à responsabilités à l’hôpital. La majorité des hospitaliers interrogés pensent néanmoins qu’un « rééquilibrage » améliorerait la qualité de vie à l’hôpital : en amorçant une discussion sur les conditions de travail (74 %), en recréant un climat de confiance (66 %), en améliorant le climat de travail (63 %) et la prise en charge des patients (57 %) et en augmentant la productivité des équipes (52 %). Si plus de femmes accédaient à des postes de responsabilité, « il y aurait un meilleur équilibre dans les équipes et peut-être une meilleure productivité », estime même Brigitte Gresy, ex-présidente du Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCE).
D’autre part, 16 % des praticiennes déclarent s’être vues refuser un poste à responsabilités parce qu’elles étaient des femmes. Les principales raisons invoquées tournent, encore et toujours, autour de la maternité. Qu’il s’agisse des contraintes familiales et des enfants à charge (36 %) ou de la possibilité d'une grossesse (32 %). Pire, dans un cas sur cinq, le manque d’expérience et de compétences (19 %) est avancé. Élément préoccupant : un médecin sur deux (51 %) considère que les règles mises en place pour les nominations à des postes à responsabilités ne sont pas transparentes.
Sexisme banalisé
Le nombre de femmes victimes de propos ou gestes inappropriés, voire d’agressions sexuelles reste aussi à des niveaux élevés. En 2023, près de huit femmes médecins sur dix déclarent avoir été victimes de comportements sexistes (78 %). 64 % d’entre elles ont subi des propos, commentaires ou blagues sexistes concernant leur apparence, leur tenue vestimentaire ou leurs compétences professionnelles.
La moitié d’entre elles ont aussi subi des questions intrusives et répétées sur leur vie sexuelle et privée. Plus grave : 30 % d’entre elles déclarent avoir subi des gestes inappropriés à connotation sexuelle ou des attouchements sans leur consentement, 20 % des pressions répétées pour obtenir des faveurs sexuelles, 17 % des situations d’agressions sexuelles. Par exemple, un agresseur aurait demandé à une femme médecin lors d'un entretien « de lui faire une fellation pour obtenir le poste ».
Si l’on compare les secteurs professionnels, on se rend compte que l’hôpital est « sans doute le plus mauvais élève en matière de lutte contre le sexisme », résume Brigitte Gresy. Quant à la maternité, c’est « l’argument massue utilisé par les responsables pour donner les missions et les promotions, valoriser les parutions, etc. », poursuit la haute fonctionnaire qui estime que les victimes « finissent par intégrer ce modèle de délégitimation et de disqualification ».
Libérer la parole
Le milieu hospitalier encore « très marqué par les stéréotypes et le patriarcat », si bien que les faits ont tendance à être banalisés et minimisés, observe « Donner des Elles à la santé ». Conséquence : moins d’un tiers des femmes ayant vécu ce type de comportements disent en avoir parlé au sein de l’hôpital (28 %), tandis que 36 % d’entre elles n’ont osé en parler à personne.
Selon l’association « une omerta favorise l’impunité de ces comportements ». En effet, 30 % femmes qui refusent de parler sont persuadées que « rien n’aurait été fait à ce sujet, que l’auteur de l’acte était intouchable » (30 %). Les autres n’ont tout simplement pas compris que la situation était anormale (33 %) ou ne souhaitaient pas en parler (32 %). « Si on banalise les propos sexistes, si l’on considère que ce n’est pas si grave, finalement, on n’en parle pas », regrette Adeline Merceron d'Ipsos. Elle invite donc les femmes à « témoigner davantage de ces situations déplacées ».
Quelles solutions ?
« Donner des Elles à la santé » met tout d’abord en œuvre des formations pour promouvoir le développement du leadership des femmes (confiance en soi, leadership, équilibre vie professionnelle et personnelle). L’association mise aussi sur l’accompagnement des établissements (une soixantaine) dans leur démarche égalité. Elle met à leur disposition une charte « formalisant l’engagement des différents acteurs », leur proposant des conseils et des outils simplifiés pour « gagner du temps et favoriser la mise en place rapide d’actions concrètes ».
De son côté, Brigitte Gresy a donné l’exemple des entreprises qui ont signé des chartes d’initiatives « Stop au sexisme ordinaire dans l’entreprise ». Selon elle, c’est au plus haut niveau de l’organisation hospitalière (directeur, président de CME) que l’on doit dire « stop au sexisme ». L’ex-présidente du HCE milite aussi pour la mise en place de cellules d’écoute dans les établissements, mais aussi la prise de sanctions administratives qui peuvent aller « du blâme au licenciement ».
Enfin, Brigitte Gresy se demande aussi « s’il ne faut pas en venir aux quotas pour des emplois d’encadrement supérieur occupés par les personnels hospitaliers », persuadée du « pouvoir émancipateur du nombre ».
Échantillon représentatif de 500 médecins hospitaliers (hommes et femmes) interrogés en ligne du 10 février au 13 mars 2023 selon la méthode des quotas.
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