Truelle en main, les ouvriers scellent encore quelques panneaux sur le parking. Mais le chantier du nouveau centre hospitalier de Voiron (CHV) est terminé : les 20 000 habitants de cette ville située à 30 kilomètres de Grenoble l’attendaient depuis plus de dix ans. Depuis septembre, les personnels hospitaliers ont pris possession des lieux aux teintes flamboyantes.
Noyés
Le moral des équipes est lui moins brillant : les urgences fonctionnent depuis cet automne « en mode dégradé ». À une dizaine de reprises en novembre, puis en décembre, elles n’acceptaient plus d’entrées entre 20h et 8h le lendemain. « Le 15 ou les pompiers restent actifs et le Smur [service mobile d'urgence et de réanimation, Ndlr] se déplace si nécessaire », précise le Dr François Pinchart, coordinateur du service Urgences, Smur et HTCD (hospitalisation de très courte durée). Ce fonctionnement perdurait depuis janvier, avec un retour à la normale espéré cette semaine. « Cela risque d’être compliqué aussi en février », avertit déjà le Dr Damien Cadinot, praticien hospitalier dans la même équipe. Le service tourne avec huit équivalents temps plein (ETP) quand une vingtaine serait nécessaire.
« Il n'y a pas de solution tant que nous n’aurons pas recruté, recadre le Dr Pinchart. Nous nous sommes d’abord adaptés puis sentis noyés, puis coupables. Nous sommes maintenant usés. Mieux valait qu’on ferme les urgences à 20h, ce qui permet de fonctionner et d’accueillir les patients, tout en gardant le Smur attractif pour les médecins. » Comme dans beaucoup de petits hôpitaux, l’appel à des praticiens intérimaires est devenu récurrent depuis 2017. « Depuis 2020, il s’agit d’intérim "dur". En septembre, l’administration a annoncé aux intérimaires que la loi Rist [plafonnant leurs honoraires] s’appliquait… Ils sont partis ! En octobre, elle disait ne plus l’appliquer mais c'était trop tard. »
Manque de lits aval
La problématique dépasse l'hôpital de Voiron. « Comme partout, les urgences sont un goulot d’étranglement entre la médecine de ville, où c’est compliqué, et la fermeture des lits aval », décrypte le Dr Cadinot.
Avec 229 lits, la capacité est théoriquement la même que dans l’ancien hôpital, mais en comptabilisant dans ce total ambulatoire et hospitalisation de jour. Si l’HTCD compte douze lits – contre cinq précédemment – elle récupère le surplus des services engorgés : le court-séjour MCO (médecine, chirurgie, obstétrique) est tombé de 90 à 75 lits. Et 15 lits supplémentaires sont fermés par manque de personnel. Du coup, « quand le médecin arrive à 8h, jusqu’à dix patients sont en attente sur des brancards », soupire Virginie Chevallet, infirmière. « Ce matin encore, ils étaient six. »
L’ensemble du territoire est concerné : en Sud-Isère, le plan blanc a été déclenché début novembre par manque de ressources humaines. À Grenoble, plusieurs établissements ferment leurs urgences certaines nuits. Le CHU Grenoble-Alpes (Chuga) reste le seul à assurer un service en continu.
Contactée par « Le Quotidien », la direction commune Chuga-CHV assure que l’organisation actuelle « n’est en aucune manière une norme et n’a absolument pas vocation à le devenir ». « L'impératif [est] d’organiser en toutes circonstances la continuité des soins pour les urgences vitales », explique-t-on. Quelques pistes sont déjà avancées pour le recrutement : 13 médecins représentant 6,75 ETP devraient d’ici à mai épauler les urgences entre Grenoble et Voiron. Et la prime de solidarité territoriale (destinée à faciliter l’exercice ponctuel de praticiens volontaires dans d’autres hôpitaux voisins) est censée permettre de limiter le recours à l’intérim en proposant une meilleure rémunération aux urgentistes et praticiens d’autres disciplines volontaires pour ces vacations.
Logiques incompatibles
Si la fusion en 2020 entre le CHV et le CHU a peu bousculé l’organisation des urgences, ce n’est pas le cas pour d’autres services. « La fusion est une étape d’un processus d’intégration en cours », analyse le Dr Cyrille Venet, chef du service réanimation siégeant à la CME du CHU et ancien président de celle de Voiron avant la fusion. « Cela nous dépossède de services comme le standard téléphonique, la stérilisation et d’une quinzaine de lits d’hospitalisation complète. Le service rendu à la population est moins bon qu’avant. Toute demande passe maintenant par un circuit plus compliqué. » Celui qui est également secrétaire général du Syndicat national des médecins hospitaliers-Force ouvrière (SNMH-FO) déplore « une certaine déshumanisation », « un manque d’écoute » voire « un déni de réalité » de la part de la direction. « Ce n’est pas un conflit de personnes mais un désaccord sur la politique à suivre », explique-t-il.
La direction reconnaît que la fusion « prend du temps et [que] beaucoup de travail reste à faire, en lien étroit avec les équipes de l’ensemble des sites ». Mais elle y voit « une chance supplémentaire pour apporter […] une réponse efficace aux besoins de santé de la population du bassin, développer l’offre de formation pour les internes et étudiants et assurer une assise sécurisante pour les investissements et la réalisation des projets stratégiques. »
Pas sûr que cela suffise à convaincre des praticiens qui fustigent la mainmise croissante des administrations et des approches budgétaires. « La loi (HPST) de 2009 a donné beaucoup plus d’importance aux pôles, au détriment des services, et ce dans une logique budgétaire, déplore le Dr Venet. La médecine n’est pas seulement un examen clinique, ce doit être aussi de l'humain. »
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