Généraliste influenceur aux 300 000 abonnés sur les réseaux sociaux, « Doc Amine », plus connu sous le pseudo de « Et ça se dit médecin » (ECSDM) lorsqu’il était interne, a décidé de venir en renfort des urgences de l'hôpital de la Timone (AP-HM), cet été. Alors que la crise hospitalière frappe de plein fouet les d’urgences – avec 120 services perturbés ou fermés – le médecin marseillais explique au « Quotidien » sa décision de quitter, au moins un temps, le privé par « solidarité pour ses copains ». « Si on ne fait rien, l’hôpital va s’effondrer, nous connaîtrons des drames », alerte-t-il.
LE QUOTIDIEN : Qu’est-ce qui vous a poussé à venir en renfort de l’hôpital de la Timone cet été ?
DOC AMINE : J’ai fait mon internat aux urgences de la Timone en pleine vague Covid de novembre 2019 à juin 2020 et j’ai été contacté par des anciens collègues qui m’ont dit qu’ils étaient dans le dur, qu’ils cherchaient des médecins. J’étais disponible pendant tout le mois de juillet donc j’ai contacté la cheffe de service. J’ai rendez-vous dans les jours à venir avec la direction des affaires médicales, pour voir ce qu’ils me proposent.
Vous faites actuellement des remplacements dans le privé, dans des services de médecine polyvalente ou d’urgences, et chez SOS médecins à Aix-en-Provence. Qu’est qui vous a motivé à retourner un temps dans le public ?
C’est purement une question de valeurs humaines : par solidarité pour les copains. C’est un devoir civique. Je sais pertinemment que je vais perdre en salaire, être payé deux à trois fois moins – autour de 20 à 30 euros de l’heure – et que je vais aussi perdre en conditions de travail. Mais je suis très attaché aux hôpitaux marseillais et j’ai beaucoup d’affection pour mes anciens collègues.
Comment réagissent vos confrères à cette décision ?
Certains me souhaitent "bon courage" ! D’autres ont une vision un peu différente et me disent que c’est grâce à des gens comme moi que le système tient, que tant qu’il y a la bonne volonté des soignants, le système ne s’écroulera pas, et on continuera à le rafistoler avec des bouts de ficelles, sans faire bouger les politiques ou les directions hospitalières…
Quel regard portez-vous sur la situation du monde hospitalier, deux ans après le Ségur de la santé ?
Le Ségur a fait prendre conscience que, finalement, le salaire n’était pas l’unique problème et qu’il ne suffisait pas à endiguer l’hémorragie de personnel hospitalier. Ce sont aussi les conditions de travail et le management qui pèchent à l’hôpital. Quand je compare mon internat dans le public et dans le privé, il n’y a pas photo : dans le privé, je faisais de la vraie médecine, sans aucune minute de secrétariat, d'administratif, à chercher des lits… Aujourd’hui, l’hôpital public ne tient que sur le dévouement des soignants.
La situation actuelle des urgences vous étonne-t-elle ?
Finalement, les urgences cristallisent tous les problèmes de l’hôpital en un seul endroit : le manque de lit en amont et en aval, les problèmes administratifs, logistiques, le manque de matériel. Les urgences ne sont que l’illustration de ce qui se passe ailleurs.
Il faudrait repenser tout le système. Par exemple, je suis plutôt favorable à mettre en place un filtrage à l’entrée des urgences, pour réorienter les patients du circuit court vers un généraliste. Mais avec le cercle vicieux de la tarification à l’activité, les circuits courts font partie des activités qui rapportent le plus à l’hôpital. L’administration n’a pas envie de filtrer.
Retrouver en juillet ces conditions de travail difficiles ne vous effraie pas ?
Si bien sûr, ça me fait peur, ça me stresse. Mais c’est l’humain qui a fait la différence dans mon choix. Aux urgences de la Timone, l’ambiance est extraordinaire, vous n’êtes jamais seul, il y a toujours quelqu'un pour vous aider. S’il n’y avait pas ces problèmes de rémunérations et de conditions d'exercice, ce serait un rêve d'y travailler !
Appelez-vous vos confrères à venir, eux aussi, en renfort de l'hôpital cet été ?
Oui tout à fait, je les encourage à faire pareil ! Mais je pense que ce sera la dernière fois… Chaque année, on espère un sursaut pour l’hôpital, je suis désormais persuadé que cette année sera celle de la rupture. Si ça n’éclate pas cet été, ce sera l’hiver prochain, car la réalité du terrain est catastrophique. Si on ne fait rien, l’hôpital va s’effondrer et nous connaîtrons des drames, des prises en charge trop tardives, des décès, des patients qui ne pourront plus joindre le 15. Au bout d’un moment, ça va casser.
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