Le Dr Hélène Cristofol n’entrevoit pas encore le bout du tunnel. Mais la victoire qu’elle vient de remporter devant la justice lui redonne espoir. Le 26 novembre dernier, le tribunal correctionnel d’Albi a condamné son chef de service à 10 mois de prison avec sursis pour harcèlement moral. « C’est un soulagement, confie la médecin au “Quotidien”. J’avais besoin de cette reconnaissance. » La bataille judiciaire n’est pas finie pour autant. Le médecin mis en cause conteste les faits qui lui sont reprochés. Il a fait appel de cette décision.
La jeune femme, PH spécialiste en médecine nucléaire à l’hôpital d’Albi, avait porté plainte le 28 juillet 2017 après une violente altercation verbale avec son chef de service. Depuis plus de 5 ans, elle subit des « humiliations » de sa part, un « dénigrement » incessant, devant le personnel de l’hôpital, parfois en présence de patients, des mises à l’écart injustifiées, des refus de formations, des demandes de congés ignorées… « Tout a commencé en 2015 lorsque je lui ai dit que je voulais consacrer une partie de mon temps à une activité libérale, relate le Dr Cristofol. Depuis cette époque il m’a pourri la vie. »
Un climat délétère, des souffrances récurrentes
Dans le jugement rendu par le tribunal, dont le « Quotidien » a eu connaissance, plusieurs témoins, médecins, soignants et personnels administratifs, font état d’un « climat délétère au sein du service », évoquent « les souffrances récurrentes » du Dr Cristofol suite à sa « mise à l’écart », et confirment « certaines brimades » dont elle faisait l’objet, notamment en tentant de limiter son activité.
Selon un autre témoignage, son responsable hiérarchique aurait émis « des critiques sur sa façon de s’habiller », la traitant de « TEPU » devant d’autres médecins. L’accusé aurait eu le même comportement avec la prédécesseur du Dr Cristofol, relate le jugement, après qu’elle eût demandé elle aussi à exercer en libéral.
Le tribunal a estimé que ces « agissements répétés » avaient eu « pour conséquence de dégrader considérablement les conditions de travail et la santé mentale de madame Cristofol qui s’est retrouvée isolée, dénigrée avec des conséquences très importantes et durables sur le plan psychologique, cela pouvant aller jusqu’à des idéations suicidaires. »
Idées suicidaires
La jeune femme avoue avoir pensé au pire. « J’ai des enfants, c’est ça qui m’a fait tenir », explique la médecin qui a également eu recours à un suivi psychothérapeutique depuis 2017. La PH a bien tenté de quitter l’hôpital en postulant dans un autre établissement, sans succès, en raison de l’influence de son chef de service, estime-t-elle, et des difficultés à trouver des postes dans sa spécialité.
Elle a également entrepris toutes les démarches possibles auprès des instances médicales et administratives, à commencer par la direction de l’hôpital qui aurait systématiquement pris parti pour son chef de service. Dans son jugement, le tribunal a d’ailleurs reconnu que la direction de l’hôpital d’Albi a « gravement participé à la dégradation de cette situation et a majoré sensiblement les préjudices causés à la victime ».
Malgré le soutien d'un syndicat, du CHSCT de l’hôpital, et du conseil départemental du Tarn de l’Ordre des médecins, qui organise plusieurs conciliations, sa situation ne s’est jamais améliorée significativement.
Dépression post-traumatique
« Porter plainte au pénal, c’était la seule solution. C’était une question de survie », explique le Dr Cristofol. L’expertise psychiatrique dont elle a fait l’objet en 2017 a confirmé l’importante dépression post-traumatique qu’elle avait subie. La condamnation il y a quelques jours de son chef de service lui permet d’avancer dans sa guérison, dit-elle. Mais sa situation professionnelle reste bloquée.
L’hôpital d’Albi, qui n’a pas répondu aux sollicitations du « Quotidien », n’aurait à ce jour pas pris de décision à l’encontre de son chef de service, invoquant la présomption d’innocence en attendant le jugement en appel.
« Ce que je demande aujourd'hui, c’est que le harcèlement cesse et que l'hôpital prenne une mesure d'éloignement », dit la médecin qui réclame la stricte application de la protection fonctionnelle, à laquelle elle a droit. Le centre hospitalier se serait contenté de lui proposer « 5 000 euros au titre des honoraires d'avocat et des séances de psychothérapie », ce que la praticienne juge insuffisant. « Selon les textes, il devrait également prendre des mesures de prévention pour me protéger des agissements perpétrés au quotidien par mon harceleur », insiste-t-elle. La cour d'appel de Bordeaux doit se prononcer prochainement sur la prescription éventuelle de mesures de protection fonctionnelle.
Déterminée, le Dr Cristofol ne compte pas céder d’un pouce. Elle a porté plainte contre son établissement. Une enquête préliminaire est en cours, dit-elle. Une autre procédure contre son chef de service a été engagée par le conseil départemental de l’Ordre devant la chambre disciplinaire nationale. Celle-ci pourrait aboutir dans les prochains mois.
Mise à jour (16 décembre 2020)
Suite à la publication de cet article le 12 décembre, l'hôpital d'Albi a fait parvenir au « Quotidien » la communication suivante :
« Le Centre Hospitalier prend acte de la condamnation par le tribunal correctionnel d’Albi de l’un de ses médecins, à l’occasion d’une procédure pour laquelle il n’a jamais été envisagé la mise en cause de la responsabilité pénale de l’établissement. Dans la poursuite des actions déjà réalisées pour s’assurer du bon fonctionnement du service dont il souligne la très grande qualité des activités, et du respect des conditions d’exercice de ses praticiens, l’établissement envisagera toutes les mesures utiles à l’occasion du prononcé d’une éventuelle condamnation définitive. Le CH ALBI a toujours montré la plus grande vigilance à la préservation de la santé au travail de son personnel, les enquêtes administratives et l’audit extérieur réalisés jusqu’alors sur le service concerné n’ayant révélé aucun dysfonctionnement ou manquement sur ce point. »
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