Pharmaciens autorisés à prescrire : reculade du gouvernement, micmac entre députés médecins

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Publié le 29/10/2018
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Crédit photo : Phanie

« La désapprobation des médecins portée par la CSMF au plus haut niveau a porté ses fruits ». Pour le Dr Jean-Paul Ortiz, la centrale syndicale qu'il préside vient clairement de remporter une bataille. La semaine dernière, la vive protestation des syndicats de médecins libéraux contre un amendement visant à autoriser certains pharmaciens à délivrer pendant trois ans des médicaments à prescription médicale obligatoire a fait reculer le gouvernement au moment des débats à l'Assemblée sur le projet de loi de financement de la Sécu 2019 (PLFSS).

Adoptée en commission des Affaires sociales, cette proposition du Dr Delphine Bagarry, députée LREM des Alpes-de-Haute-Provence et médecin généraliste, n’a finalement pas suscité l'adhésion des députés en séance publique, dans la nuit de vendredi à samedi, faute du soutien d'Agnès Buzyn et du rapporteur général, le Dr Olivier Véran.

Interrogé par l'AFP, le député de l'Isère a expliqué après le vote que le projet « n'était pas mûr ». Le neurologue a aussi argumenté sur le fait que l'Assemblée nationale avait auparavant adopté un autre article relatif à la prescription des pharmaciens, « qui allait un peu moins loin ».

Un autre amendement du groupe LREM, adopté vendredi après-midi et également présenté par un médecin, le Dr Thomas Mesnier, a en effet ouvert aux pharmaciens la possibilité de « renouveler des traitements chroniques ou ajuster des posologies pour leurs patients, avec l’accord du médecin traitant ». Il s'agit en réalité de simplifier le développement du pharmacien correspondant (dispositif créé il y a dix ans par la loi Bachelot) en l'inscrivant dans le cadre expérimental et dynamique de l'article 51. « Cela devrait faciliter son déploiement, toujours dans le cadre d’un accord entre médecins et pharmaciens nourrissant un projet de santé commun pour leur territoire, qu’ils soient organisés en maison de santé, en équipe de soins primaires ou en communauté professionnelle territoriale de santé », a plaidé le médecin urgentiste.

Pied dans le tapis

Le "remplacement" de dernière minute d'un amendement d'une députée de la majorité, faute de soutien du gouvernement, par un autre du même groupe politique a créé un franc cafouillage dans le débat. Décidée à ne pas retirer son amendement, le Dr Delphine Bagarry a fustigé l'amendement du Dr Mesnier, qui, selon elle, « ne vise pas du tout à la même expérimentation. En l’occurrence, les pharmaciens doivent pouvoir traiter certaines pathologies sans que le patient passe par le médecin ».

Sentant le vent tourner, l'élue a appelé les élus à « faire preuve d'audace » avant le vote. « Nous avons essayé de faire bouger les lignes. Ce n’est pas un amendement "contre" – les médecins se positionnent souvent ainsi – mais un amendement "pour", qui est fondé sur une expérimentation, sur le mode du volontariat, dans le cadre de protocoles très précis entre médecins et pharmaciens. Ce serait une erreur de ne pas saisir l’opportunité », dit-elle.

L'intervention d'Agnès Buzyn, qui donnait plutôt l'impression d'un soutien ministériel au projet plutôt qu'un rejet, a ajouté à la confusion. « Nous sommes très respectueux des métiers, mais il nous semble que, dans certaines situations très normées, et dans des zones où il est difficile d’avoir un rendez-vous chez le médecin en urgence, il pourrait y avoir, dans le cadre d’une expérimentation bien cadrée, une forme, non pas de délégation de tâche, mais disons de coopération entre médecins et pharmaciens », a-t-elle justifié tant bien. 

La ministre de la Santé s'est un peu pris les pieds dans le tapis de l'Hémicycle en prenant en exemple les infections urinaires, très fréquentes chez les jeunes filles, pour expliquer son soutien à l'amendement du Dr Mesnier. « Dans certaines zones de France, il faut deux ou trois jours pour obtenir un rendez-vous chez le médecin en urgence : une jeune fille atteinte d’une infection urinaire va donc souffrir atrocement pendant deux ou trois jours, alors que son infection pourrait être traitée par un comprimé d’antibiotique, un traitement minute. ». Un exemple… utilisé par la députée Bagarry dans l'exposé des motifs de son propre amendement. 

Dernier signe qui témoigne d'un débat chaotique : le président de l'Assemblée nationale a dû demander à deux reprises aux députés de voter avant d'écarter définitivement le texte.


Source : lequotidiendumedecin.fr