Plus d'un an après les accords du Ségur de la santé, une étude illustre la perte au sens au travail des soignants de l’hôpital public – et plus largement des agents du service public. Manque de moyens, de reconnaissance, contraintes administratives, lourdeur des procédures, poids de la structure et de la hiérarchie… Les résultats d’une vaste enquête en ligne (du 30 avril au 31 août 2021) du collectif Nos services publics –qui milite contre les dysfonctionnements des administrations – témoignent d’un profond mal-être parmi les personnels interrogés.
Alors que la grande majorité déclare avoir rejoint le service public pour servir l’intérêt général (plus de deux tiers des sondés), 97 % des 4 555 répondants (dont 11 % sont issus du secteur de la santé) ont ressenti au moins une fois un sentiment de perte de sens dans leur cadre professionnel en se disant : « C’est absurde… ou si cela a un sens, ce n’est pas celui pour lequel je me suis engagé. » Et 80 % d’entre eux déclarent même être confrontés « régulièrement » ou « très fréquemment » à un sentiment d’absurdité dans l’exercice de leur travail.
Faire plus avec moins
Le mal-être se révèle encore plus intense dans les catégories soignantes. Lorsqu'on les interroge sur les raisons/motivations de rester dans la fonction publique (intérêt général, intérêt pour la mission, conditions de travail, stabilité de l’emploi, collègues…), les agents du secteur de la santé déclarent toujours moins de raisons de rester que leurs collègues des autres secteurs. Seule exception : les collègues (31 % versus 22 % pour les répondants hors santé). En revanche, le manque de moyens et les mauvaises conditions de travail reviennent plus régulièrement chez soignants. Avec respectivement 74 % et 52 % de soignants répondants qui les déplorent (contre 62 % et 40 % hors santé).
La lecture des témoignages anonymisés des soignants montre que médecins et paramédicaux dénoncent le fait de devoir « faire toujours plus avec moins de moyens » (humains et matériels). Sont évoquées en priorité dans l’enquête la surcharge administrative, l’absence de reconnaissance pour le travail accompli et la course à la productivité, liée notamment à la tarification à l’activité à l'hôpital.
Choix budgétaires et soin
L'enquête du collectif est une plongée dans le ressenti des soignants. Pour « Sisyphe », praticien hospitalier, le directeur d'hôpital obéit « à des objectifs purement comptables de rendement et de réduction des coûts ». Ce qui passe à ses yeux par « la réduction de la masse salariale et des investissements contraints, conditionnés par des réductions de lits ». Pour ce médecin qui participe à des CME, les avis du corps médical passent souvent après les « objectifs budgétaires ». Une analyse partagée par un autre PH persuadé que « les choix et considérations financières prévalent sur les considérations sanitaires et médico-sociales de la population ».
Son de cloche similaire chez « Giacomo », interne en réanimation, qui dénonce « une organisation générale visant à la rentabilité, ce qui constitue une hérésie lorsqu'on parle de soins et de santé ». Sont pointés au passage « l'hypocrisie » des autorités qui « détruisent le service public afin de le privatiser ». Le même junior proteste contre « l'impossibilité de faire grève car ce serait abandonner les patients » et en conclut que « nous sommes prisonniers de notre conscience professionnelle jusqu'au burn-out ».
La paperasse et le codage, boulets des soignants
L'enquête qualitative confirme le motif de mécontentement récurrent des soignants hospitaliers : la surcharge administrative. Un jeune médecin se désole de « passer énormément de temps à la cotation des actes », alors que « l'on ressent le manque de médecins et le manque d'infirmiers au quotidien ». Ce temps passé à coter ou à coder est interprété « comme du gâchis de temps médical », « très éprouvant psychologiquement », à cause de son caractère « répétitif », « fastidieux », mais aussi en raison de la « mauvaise qualité des logiciels ».
Dans cette même veine, le PH « Peripheryk » confie « passer beaucoup plus de temps à remplir des dossiers informatiques sur des logiciels mal foutus qu'à s'occuper de nos patients ». Cet épidémiologiste brosse le tableau d’une administration « obsédée par des chiffres (dans mon domaine impact sanitaire, nombre de morts, de passages aux urgences) », qui « ne se préoccupe pas de comprendre ce qu'ils signifient ».
Même si le gouvernement a engagé plusieurs réformes de la tarification hospitalière, la « course à la T2A » revient fréquemment. Ce praticien regrette « la réduction de la durée moyenne de séjour », au détriment à ses yeux de « la qualité des soins et de la satisfaction des patients ». Cet autre médecin affirme qu’on lui demande d'hospitaliser des gens pour des traitements lourds « dont le bénéfice est discutable, alors qu'une alternative plus confortable pour le patient serait possible à domicile, mais moins rémunératrice pour le service ».
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