Les mots des jeunes ont résonné avec fracas dans les couloirs du Sénat le 13 janvier. Devant la commission d’enquête sur l’hôpital, internes et jeunes médecins ont été auditionnés pendant près de deux heures par les sénateurs. Et les juniors n’y sont pas allés avec le dos de la cuillère pour décrire la situation des internes dans les services.
« Les internes sont le thermomètre de l’hôpital, et ce thermomètre est cassé », alerte d'emblée Gaétan Casanova, président de l’Intersyndicale nationale des internes (Isni). Alors qu’ils représentent 40 % de la force médicale des établissements publics, « seulement 23 % des internes considèrent aujourd’hui l’activité hospitalière comme attractive », s'alarme le président de l’Isni.
« Hydre managériale »
Temps de travail à rallonge, matériel vétuste, paperasse, flexibilité impossible… Face aux maux de 30 000 internes français, Gaétan Casanova fustige « l’hydre managériale hospitalière ». « Un péché originel » causé « par l’absence de séparation entre le grade et la fonction ». « D’une part, vous avez les mandarins, l’aristocratie médicale qui n'a jamais reçu aucune formation de management, accuse le président de l’Isni. Et d’autre part : les directeurs d’hôpitaux qui sont dans un système de pensée unique ». Deux têtes pensantes « qui se parlent peu, souvent se détestent », selon l’interne.
Résultat : les jeunes se trouvent coincés entre le marteau et l’enclume, souvent isolés dans leur spécialité. Devant les sénateurs, le représentant des juniors va plus loin. « Les internes sont séquestrés dans les CHU, ose-t-il, on ne veut pas qu’ils partent dans les hôpitaux périphériques ou dans le privé ». En conséquence, 25 % des jeunes se disent en dépression, selon la dernière étude Santé mentale, deux tiers déclarent des signes de burn-out.
Commission d'enquête sur l'hôpital : "Les internes sont un thermomètre, qui est si grippé que l'on séquestre les internes dans les CHU. La conséquence c'est 25 % de dépressions chez les internes en médecine l'année dernière." @CasanovaGaetan #CEhopital pic.twitter.com/JYJeahhdoi
— Public Sénat (@publicsenat) January 13, 2022
Le poids de la paperasse
Si la pandémie a accentué la souffrance des internes, « elle n’a fait que mettre en lumière un constat que nous avions depuis plusieurs années », atteste Mathilde Renker, présidente de l’Isnar-IMG (Intersyndicale nationale autonome représentative des internes de médecine générale). La future généraliste met en garde les sénateurs : « Ce qui était une vocation devient de plus en plus un fardeau ».
Face aux cadences toujours infernales – 70 % des internes dépassent le temps de travail légal, selon une enquête ministérielle révélée par « Le Quotidien » – « les internes sont pressurisés pour maintenir à flot des hôpitaux presque submergés », constate Mathilde Renker.
À cela s’ajoutent les tâches administratives récurrentes, qui incombent souvent aux carabins. « Une des tâches majoritaires des externes consiste aujourd’hui à faire des fax pour envoyer des bons… Alors qu’on est censé apprendre notre métier », se désole Mathilde Renker. Sénateurs, internes et jeunes médecins se sont accordés sur l’apport des outils numériques, interopérables entre la ville et l’hôpital, pour alléger le fardeau administratif qui touche toutes les générations de médecins.
« Si les Français entendent ça, ils vont tomber de leur chaise »
Manque de moyens humains et financiers, locaux parfois délabrés, perte de sens… La tension exercée sur les étudiants entraîne, inévitablement, des formes de maltraitance. « La culture hospitalière normalise ces violences, dans une totale impunité, la maltraitance est devenue quasi institutionnalisée », avance la présidente de l’Isnar-IMG. 25 % des internes disent avoir subi du harcèlement, 23 % des humiliations.
Des propos qui ont frappé le Dr Bernard Jomier, médecin généraliste, sénateur socialiste de Paris et président de la commission d’enquête sur l’hôpital. « J’ai été très marqué par cette question de culture hospitalière qui favorise la violence et les agressions, réagit le Dr Jomier. Si les Français entendent ça, ils vont tomber de leur chaise car, pour tout le monde, la culture du monde hospitalier c’est la bienveillance ». Réponse de la Dr Agathe Lechevalier, présidente du Regroupement autonome des généralistes jeunes installés et remplaçants (ReAGJIR) : « Je ne pense pas que, quand on est déjà soi-même en souffrance, on soit capable d’être dans l’empathie et de prendre soin des autres. »
Le monde a changé
Les sénateurs présents – dont bon nombre de professionnels de santé – se sont émus du constat terrible posé par les jeunes, et ont parfois semblé surpris de cette situation, pourtant martelée depuis des années par les centrales étudiantes. « Je suis très triste d’entendre tout ça, soutient la Dr Sonia de la Provôté, médecin du travail et sénatrice centriste du Calvados. J’ai un souvenir formidable de mes études de médecine. Est-ce que ça a changé à ce point ? »
Oui, lui répondent unanimement les jeunes. « Le monde hospitalier a complètement changé et c’est un vrai problème que l'on a avec les anciennes générations. Eux voient la réalité actuelle avec leur filtre du monde d’avant », justifie Gaétan Casanova. Le président de l’Isni prend l’exemple d'internes, aujourd’hui surspécialisés, en compétition intense avec le reste de leurs camarades. « Cela donne des personnes dures, peu solidaires, qui cachent leurs bouquins », détaille-t-il.
À l’issue de l’audition, le président de la commission d’enquête, Bernard Jomier, s’est dit « marqué ». Il l’assure aux jeunes : « Ce que vous nous dites ne restera pas lettre morte, nous allons faire des propositions car nous avons à cœur d’améliorer votre situation. »
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