« Ah, si j’étais plus jeune… » Après 33 ans de carrière dans un hôpital de grande banlieue, Martine, infectiologue, se demande encore pourquoi elle reste : « on nous a supprimé des lits, on travaille avec moins d’effectifs, on nous demande plus de turn-over, l’administration instrumentalise des bed-managers, de pauvres collègues qui se trouvent coincées, obligées à « caser » dans des lits de pauvres patients qui sont échoués sur des brancards aux urgences. Mais je suis à 5 ans de la retraite, alors ce n’est pas maintenant que je vais partir. ».
À l’autre extrémité de la pyramide des âges, on trouve Yohan, PH trentenaire à l’AP-HP : « Je suis hospitalier. Je crois avant tout aux soins pour tous. Je reste attaché aux valeurs républicaines. La société française m’a permis de faire mes études de médecine, et je lui en suis reconnaissant. Néanmoins, de plus en plus, le manque de rigueur et de reconnaissance au mérite me fait douter. Je ne sais pas si je passerai ma vie à l’hôpital public ».
Une grande partie de ceux qui restent hospitaliers parlent de passion, de devoir, de valeurs, de motivations qui vont bien au-delà du confort de vie. L’hôpital est leur vie, du moins une grande partie de leur vie. Et pas question de jeter la pierre aux confrères ou aux intérimaires : « il ne faut pas stigmatiser l’intérim, il faut s’interroger sur l’attractivité des postes de PH actuellement », analyse Bruno. Ce syndicaliste ne désespère pas, pourtant : « Il n’est pas interdit d’imaginer que si les postes redeviennent attractifs, certains médecins du privé reviendront à l’hôpital ».
Le poids de l’administration
Nathalie, PU-PH, assume son choix. Cette directrice d’Unité INSERM manifeste vocation et enthousiasme intacts : « c‘est grâce à l’hôpital que j’ai pu faire une carrière dans la recherche. C’est ma passion. Après avoir passé toutes les étapes qui m’ont menée à ce poste, je ne me vois pas abandonner ni mes sujets d’intérêt, ni mes équipes ». Son mari – qui travaille avec elle — abonde, malgré tout : « c’est un choix que nous avons fait en famille. Moi, j’aurais pu rester aux États-Unis à la suite de ma thèse de science, que j’ai faite en plus de ma thèse de médecine, mais notre choix a été différent. Nous ne le regrettons pas, même si le poids de la double administration hôpital-organisme de recherche, est de plus en plus lourd ».
La carrière hospitalière, c’est aussi pour certains l’assurance de pouvoir faire valoir leurs droits sociaux. Ainsi de la prise de congés maternité. Marine, 39 ans, est encore à son poste en bactériologie. Elle explique : « J’ai toujours rêvé avoir 5 enfants, A l’hôpital, je pense que c’est faisable, j’en ai déjà eu 4 sans stress particulier. Et désormais, je suis passée à mi-temps ».
Et puis, certains admettent qu’ils ne quittent pas l’hôpital parce que leurs conditions de travail se sont moins dégradées dans leurs services que dans d’autres. Ainsi, Hervé, 58 ans, dont 30 de SMUR exclusif, affirme, « moi j’aurais été aux urgences et seulement aux urgences, j’aurais quitté l’hôpital depuis 10 ans. Là, j’ai fait ma vie dans les camions et je sais que je suis l’un des derniers dinosaures à avoir travaillé de cette manière. Aujourd’hui, 800 postes d’urgentistes ne sont pas pourvus en région parisienne et désormais, les postes sont partagés entre les urgences et les SMUR. Moi, je ne veux pas de ça. Si on me l’impose, je pars… Reste à savoir ou ? ».
Chez les médecins étrangers, pas le choix…
On trouve enfin à l’hôpital public, des médecins étrangers qui y restent par absence de choix. Ainsi Gaël, pneumologue burkinabé, « déjà nous bénéficions d’un statut spécial en tant que médecins diplômés à l’étranger. Je sais que le privé ça ne sera pas pour moi. On est plusieurs dans le même cas à l’hôpital. Un de nos collègues, algérien arrivé tardivement en France, est récemment décédé d’infarctus en sortie de garde. Il faut dire que, comme il n’avait pas acquis ses droits à la retraite, il continuait à travailler à 69 ans »...
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