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Dossier

Quatre ans déjà…

Hollande a-t-il changé la santé ?

Publié le 22/04/2016
Hollande a-t-il changé la santé ?

Ouverture
GARO/PHANIE

Tout a commencé par la limitation des dépassements et quelques revalos ciblées en secteur 1. Et tout s'achève dans la contestation du tiers payant généralisé. Concernant la santé, le président de la République n'avait guère promis et il n'a pas vraiment convaincu. Seul un accord en bonne et due forme cet été sur une nouvelle convention pourrait rabibocher l'exécutif avec les professionnels de santé…

Cela va faire quatre ans que François Hollande a été élu Président de la République. Et, près de 1 500 jours après avoir pris la tête de l’État, il semble que le locataire de l’Élysée ait mené, en matière de santé, l’essentiel de sa politique.

Pour les médecins, le quinquennat avait démarré en fanfare avec la conclusion de l’avenant 8, dès 2012 ; et il semble s’achever avec la mise en place de la réforme du système de santé, votée en décembre dernier. 

Aucune annonce majeure n’étant plus à attendre, les seules nouveautés de cette dernière année du quinquennat viendront des textes d’application de la loi Touraine, leur publication devant s’échelonner jusqu’à fin 2016. Il n’est donc pas trop tôt pour s’interroger : comment la politique de santé a-t-elle bougé depuis que François Hollande est arrivé à l’Élysée ?
 

Déception

Dresser un bilan, exercice classique qui n’enthousiasme pourtant guère, cette fois-ci, observateurs et fins connaisseurs du système de santé. Question de point de départ peut-être : la campagne pour les présidentielles pouvait être l’occasion d’annonces fortes alors que le souvenir de la loi HPST et des Agences régionales de santé (ARS) créées à cette occasion était encore vif.

Et pourtant, « on n’a jamais aussi peu parlé de santé que lors des élections de 2012 », rappelle Frédéric Pierru. « François Hollande s’est bien gardé d’avoir un programme étoffé sur ces questions alors même que différents think tanks avaient essayé d’apporter des éléments de réforme du système de santé dans un sens plus progressiste que la politique qui avait été menée jusqu’alors », poursuit le sociologue.

Associé à André Grimaldi, Didier Tabuteau ou encore François Bourdillon, lui-même avait cosigné à l’époque un « manifeste pour une santé égalitaire et solidaire ». Déçu, il constate que « François Hollande a peu promis ; à part une déclaration d’intention –  “on va faire une politique de santé autrement” – il ne risque pas d’être pris en défaut », conclut-il.
 

Improvisation 

« François Hollande ne s’est pas beaucoup occupé de la santé », estime aussi d’emblée Claude Le Pen. Pour l’économiste de la santé, « il y a plus eu une logique de gestion, la santé a davantage été gérée dans un contexte de difficultés financières ». À ses yeux, « il n’y a pas eu de mesures pensées ou réfléchies selon une vision », voyant même derrière certaines d’entre elles le sceau de l’improvisation.
 

François Hollande ne s’est pas beaucoup occupé de la santé


Claude Le Pen


Pour se faire une idée, un détour du côté des promesses faites par le candidat puis des textes présentés par le gouvernement et votés par le Parlement s’impose. Trois lois en tout et pour tout Sur les soixante engagements formulés par François Hollande, seuls trois concernaient pleinement la santé, qu’il s’agisse de la fin de vie, de l’accès aux soins ou encore de l’hôpital public. Ces deux dernières ambitions étant conjuguées au souhait de renouer avec « l’excellence de notre système ».

À ces axes viennent s’ajouter quelques autres mesures évoquées sous des items différents ou à d’autres occasions. Au final, trois lois conséquentes – de modernisation du système de santé, d’adaptation de la société au vieillissement et sur la fin de vie - ont été votées et des dispositifs intéressant la santé intégrés dans divers textes. Mais cela suffit-il à faire un bilan positif ? Pas sûr.
 

Dépassements: un chantier inachevé


Les élections à peine passées, le gouvernement s’était pourtant attelé, avec un volontarisme certain, aux dépassements d’honoraires. Entamées dès l’été, avec obligation de résultat pour les caisses et les syndicats, réunions, discussions et négociations ont abouti sur l’avenant 8 signé le 25 octobre 2012.

En créant le contrat d’accès aux soins (CAS), il s’agissait de limiter les dépassements d’honoraires. Et, en ce sens, tenir l’une des promesses faites par François Hollande tendant à encadrer ces dépassements afin de sécuriser l’accès aux soins.

 

Avec l’encadrement des dépassements, on a pointé du doigt toute une profession

 


 Arnaud ROBINET, Député-maire de Reims, chargé de la Santé chez Les Républicains


Malgré ce dispositif, l’objectif est-il pleinement atteint ? Les avis sont partagés. Derrière la volonté politique affichée sur ce dossier, Frédéric Pierru pointe « un échec ». « On a affiché un accord, mais il légitime les dépassements et le mécanisme de sanction est symbolique », estime-t-il. Arnaud Robinet a vu, lui, « un jeu de dupes qui n’a pas du tout réglé » la situation. « On a pointé du doigt toute une profession », déplore le député-maire de Reims, chargé de la Santé chez Les Républicains.

Moins sévère, Claude Le Pen retient que le dispositif a surtout « écrêté les dépassements les plus élevés » observés dans certaines spécialités et dans des zones limitées, essentiellement urbaines. À côté de cela, le mécanisme a permis de « modérer les dépassements », sans compter « l’effet psychologique » qu’il a pu avoir, ajoute l’économiste.

Les statistiques leur donnent raison et tort à la fois. Selon les chiffres de l’Assurance Maladie, le taux moyen de dépassement des professionnels en secteur 2 est, certes, passé de 55,4 % en 2012 à 53,4 % en septembre 2015, mais celui des actes à tarif opposable a progressé de 32,9 % à 34,7 % sur la même période.

Et, surtout, le montant total des dépassements continue, lui, d’augmenter sensiblement chez les spécialistes (+7,7 % entre 2012 et 2014) tandis qu’il a diminué chez les généralistes (-1,5 %). Le compte n'y est pas pour l’Observatoire citoyens des restes à charge en santé, animé notamment par le Ciss, qui jugeait, en mai 2015, que « le Contrat d’accès aux soins a provoqué un effet d’aubaine chez nombre de spécialistes ».
 

Quelques revalos ciblées en début de quinquennat


S’il tente d’amoindrir l’attractivité du secteur 2, l’avenant 8 n’oublie pas pour autant le secteur 1 auquel il octroie plusieurs revalos. Manière, en creux, de faire avaler la pilule à ceux qui trouvaient le mécanisme relatif aux dépassements trop léger. Et de faire un geste en direction des praticiens qui respectent les tarifs de base.

Outre la hausse de tarifs de certains actes techniques, l’accord signé par la CSMF, le SML et MG France créé un nouveau forfait médecin traitant. Soit 5 euros versés annuellement, par patient hors ALD, pour les praticiens en guise de rémunération du suivi, de la prévention…

Autre nouveauté : la majoration personne âgée (MPA), également de 5 euros, allouée trimestriellement aux praticiens pour chacun de leurs patients de plus de 80 ans. Autant de coups de pouce qui confirment l’engagement pris par François Hollande d’« améliorer la prise en compte de la santé publique notamment en augmentant la part de rémunération forfaitaire des médecins généralistes ».

Et Claude Pigement, membre du pôle social de l’équipe de Hollande pour les élections de 2012, d’attester la réussite des mesures, chiffres de la Cour des comptes à l’appui : selon celle-ci, en additionnant forfaits et exonérations de cotisations, le revenu des médecins aurait augmenté de 12,3 %, entre 2006 et 2014, la part de rémunération forfaitaire doublant quasiment entre 2006 et 2013. Au prix toutefois d’un gel continu du C.
 

Pas question de réguler les installations


Offensif sur les dépassements d’honoraires, le gouvernement s’est montré nettement plus prudent sur la liberté d’installation. Pilier de la médecine libérale, elle a été « sanctifiée », selon Frédéric Pierru, alors même que, pendant la campagne de 2012, « on disait qu’elle pouvait être aménagée », regrette-t-il.

Cette question s’inscrit, plus largement, dans le cadre de la problématique de l’accessibilité territoriale aux soins. Un point essentiel que François Hollande, lors de sa campagne, n’a pas négligé, s’engageant à favoriser une meilleure répartition des professionnels, via la création de « pôles de santé de proximité dans chaque territoire », et fixant à 30 minutes le délai maximum « pour accéder aux soins d’urgence ». C’est dans le « Pacte territoire santé » que se trouvent les – tentatives – de réponses à ces enjeux.

Faisant la part belle à l’incitation – Marisol Touraine considérant, elle aussi, que la coercition représente une fausse solution –, le premier Pacte, lancé dès 2012 pour 3 ans et complété par un second en 2015, avait notamment pour objectif de stimuler la signature de contrats d’engagement de service public. Autrement dit le versement de bourses à des étudiants volontaires en échange de leur engagement à s’installer dans une région qui manque de professionnels. Plus nouveau, le Pacte a créé un statut inédit, celui de praticien territorial de médecine générale (PTMG), qui offre une garantie de revenus et une protection sociale améliorée aux jeunes s’installant dans des territoires en besoin.

Ces dispositifs n’en ressemblent pas moins, tant sur le fond que sur la forme – des annonces faites à grand renfort de déplacements sur le terrain –, à ceux déjà déployés par Xavier Bertrand, dès 2006. Mais, couplés à l’essor des maisons de santé, dont le nombre devrait franchir la barre symbolique de 1 000 à l’horizon 2017, ils n’ont toutefois pas permis de résoudre la question des déserts médicaux.

Bien que la ministre se soit satisfaite, à l’occasion d’un bilan en 2014, des résultats obtenus, Claude Le Pen considère que le problème reste entier. « Il n’y a rien, mais à sa décharge, il n’y a pas de solution, concède-t-il, les jeunes médecins ne vont pas s’installer plus à la campagne qu’avant ». Là encore, « pas grand-chose n’a été fait », même s’il note, avec contentement, la « fin de la solution liée à l’augmentation du numerus clausus ».
 

 

Il y a eu une amélioration de la couverture médicale, mais le problème de fond n’est pas résolu

 


 Claude PIGEMENT, Ancien responsable santé du PS


Considérant également qu’aucune action majeure n’a été entreprise, Arnaud Robinet déplore qu’« il n’y ait pas eu de réponse quant à la répartition » des professionnels. Et, en ce qui concerne les pôles de santé, « on est dans la continuité, beaucoup d’élus sont allés vers ces maisons et pôles de santé », constate-t-il, alors même qu’à ses yeux, il n’y a pas de solution unique mais une pluralité de réponses. Claude Pigement décèle tout de même une « amélioration de la couverture médicale », mais lui aussi admet que « le problème de fond n’est pas résolu ».

 

Le fiasco de la loi de modernisation de la santé



Au-delà des mesures prises ici et là, les quatre premières années du quinquennat auront été occupées par ce qui allait devenir la réforme du système de santé.Tout avait – plutôt bien – commencé avec la stratégie nationale de santé pour se finir, dans une massive contestation syndicale et professionnelle et une vive hostilité à la loi de « modernisation du système de santé ».Ce qui devait être l’épine dorsale de la politique de santé en a déçu plus d’un.

« La “grande” loi de santé n’est qu’une toute petite loi », juge, sans détours, Frédéric Pierru, guère convaincu que les dispositions d’ordre préventif parviennent à réduire les inégalités de santé. Quant au tiers payant, sa généralisation ne figurait pas dans le programme initial de François Hollande mais fut annoncée à l’occasion d’un déplacement de campagne dédié aux questions de santé. « À l’époque, ça n’avait fait aucune vague, se rappelle Claude Pigement, et trois ans après, c’est devenu la mesure-phare de la loi de santé. »

Avec le paquet neutre, ce sujet a occulté le reste de la réforme « très riche » portée par Marisol Touraine, regrette-il pourtant. « C’est une grande bataille qui s’est terminée en queue de poisson », estime aussi Claude Le Pen. Même si « le principe est voté, ça reste extraordinairement flou », poursuit-il, soulignant que le tiers payant généralisé, retoqué par le Conseil constitutionnel, se limitera à un « TPG public ».

Critique, lui aussi, à l’égard du tiers payant, « une mesure d’opportunisme » dont il ne voit pas l’intérêt étant donné qu’« aujourd’hui, les plus défavorisés ont accès à un TPG »,
Arnaud Robinet juge « la partie préventive plutôt positive. Tout ce qui va dans le sens de la prévention est bon et doit être amplifié. »
 

Plan Cancer 3 : le président en première ligne

La lutte contre le tabagisme apparaît aussi parmi les objectifs du Plan Cancer dévoilé par François Hollande, en février 2014. Après ceux de Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy, le président de la République n’a pas dérogé à la règle en présentant un tel plan, le troisième du nom. Outre la lutte contre la cigarette, il participe au renforcement du « droit à l’oubli » et entend généraliser le dépistage du cancer du col de l’utérus.

D’autres dispositions relatives à la santé des femmes, comme celles relatives à l’IVG, ont, par ailleurs, été prises ces quatre dernières années. Elles relèvent toutefois davantage de la politique menée par Marisol Touraine que du bilan de François Hollande.

Complémentaire pour tous : l'autre réforme de l'accès aux soins

Aux mesures liées directement à la santé viennent s’ajouter des dispositifs qui l’impactent indirectement. C’est notamment le cas de l’Accord national interprofessionnel (ANI). Parallèlement aux mesures de flexibilité pour les entreprises, il prévoit des nouveaux droits pour les salariés, comme celui de bénéficier d’une complémentaire santé collective dont le coût est partagé entre employeurs et salariés.

Un compromis qui fait dire à Claude Le Pen que cette « mesure improvisée a été prise pour en faire passer d’autres, elle n’a pas été pensée ou réfléchie selon une vision ». « Les Républicains étaient opposés à l’ANI car il y a un risque d’avoir des complémentaires au rabais qui ne couvrent pas l’ensemble des besoins »,  explique Arnaud Robinet.

Claude Pigement préfère, pour sa part, voir « le verre à moitié plein : la complémentaire pour tous bénéficie à 4 millions de personnes ». Même s’il reconnaît une faiblesse à la mesure : elle ne touche pas « les jeunes, les retraités et les chômeurs ». Bien plus virulent sur le sujet, Frédéric Pierru considère qu’« au regard de ce que doit être une politique de gauche, l’ANI est une forfaiture ».

L’accord « ne fait que poursuivre le désengagement de l’Assurance Maladie au profit de l’extension des mutuelles », poursuit-il sans mâcher ses mots, estimant qu'« il consacre les complémentaires santé ». Et de conclure, « la substitution du financement public par le privé aurait nécessité un débat ». Une question qui pourrait rejaillir, pour de bon, à la faveur de la campagne à venir.
 

L'incertitude de la prochaine convention

L’année qui nous sépare des présidentielles sera tout de même intéressante du point de vue des relations entre les médecins et les pouvoirs publics. Car, pour l’instant, le bilan du gouvernement en place à cet égard est plutôt négatif, ces derniers temps ayant été marqués par une très haute et persistante tension.

Si ce climat est moins dû à François Hollande – qui s’est efforcé de rassurer les médecins quant au tiers payant, notamment, à l’occasion du congrès de l’Ordre des médecins ou des 70 ans de la Sécurité sociale – qu’à sa ministre en charge de la Santé, il pourrait connaître certains rebondissements. Tout dépendra en fait de l’issue des négociations conventionnelles…

Dossier réalisé par Luce Burnod