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Troubles psychiatriques : quand évoquer une maladie neurodégénérative ?

Publié le 08/11/2024
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Presque tous les patients atteints de maladie d’Alzheimer ou apparentée présentent des troubles neuropsychiatriques qui peuvent être présents aux stades précoces, voire constituer les principaux symptômes inauguraux de la maladie. Avec, à la clé, un risque de retard diagnostique ou de prescriptions inappropriées. Connaître les signes d’alerte et certains principes de bonne pratique aide à limiter ces risques.

Crédit photo : BURGER/PHANIE

Par le Dr Emmanuel Cognat (neurologue, centre de neurologie cognitive, centre mémoire de ressources et de recherche, AP-HP Nord, site Lariboisière-Fernand-Widal, Paris)

En résumé

Toute maladie neurodégénérative peut se présenter avec des troubles psychiatriques inauguraux.
Ces situations posent le plus souvent des difficultés diagnostiques.
Certains drapeaux rouges généraux (premier épisode psychiatrique tardif, troubles cognitifs importants durant un épisode psychiatrique, mauvaise réponse au traitement) ou tableaux cliniques spécifiques ont une valeur d’alerte.
Leur identification est cruciale pour permettre de poser précocement la question du diagnostic différentiel ou sous-jacent, avec un très fort impact positif sur la prise en charge et l’évolution.
Certains psychotropes sont inadaptés, voire dangereux, en cas de troubles psychiatriques liés à une maladie neurodégénérative. Dans la maladie à corps de Lévy, antipsychotiques et antidépresseurs tricycliques sont formellement contre-indiqués.

INTRODUCTION

Les « troubles neuropsychiatriques » ou « troubles psychiatriques et comportementaux associés aux démences » (behavioral and psychological symptoms of dementia, BPSD dans la littérature internationale) recouvrent l’ensemble des symptômes et troubles psychiatriques compliquant l’évolution des MAMA (maladies d’Alzheimer et apparentées). Soit : la dépression et l’anxiété, mais aussi les troubles délirants, les hallucinations, l’apathie, l’agitation ou encore la désinhibition.

Ils sont observés dès les stades de trouble neurocognitif léger (mild cognitive impairment, MCI) chez 35 à 85 % des patients et dans l’évolution de la maladie chez la quasi-totalité (jusqu’à 96 %) (1), avec des variations dans le type de troubles et la fréquence, selon l’étiologie. Ils en sont parfois le premier signe, s’associant aux symptômes neurocognitifs typiques ou apparaissant de manière isolée, ce qui pose un important problème de diagnostic différentiel. Par exemple, environ 50 % des patients qui présentent une démence frontotemporale (DFT) variant comportemental reçoivent un diagnostic initial de pathologie psychiatrique (dépression, état maniaque…), avec pour corollaire un délai diagnostique moyen de cinq ans (2). De même, il a été montré une nette surprescription de psychotropes (antidépresseurs, antipsychotiques) dans les dix ans qui précèdent le diagnostic de maladie d’Alzheimer (MA), suggérant une fréquence élevée de troubles psychiatriques prodromaux non rattachés à la maladie (3).

Au-delà de l’errance diagnostique, cette situation expose à un risque élevé, voire majeur en cas de maladie à corps de Lewy diffus, de complications iatrogènes (détérioration cognitive, confusion, syndrome parkinsonien…) (4).

Cet article aborde les « drapeaux rouges » à connaître et les principes de bonne pratique pour limiter ces risques.

LES DRAPEAUX ROUGES

On peut identifier trois grands points d’appel ou « drapeaux rouges » transversaux qui doivent faire évoquer une maladie neuro-évolutive face à un trouble psychiatrique du sujet âgé :

La survenue d’un premier épisode de trouble psychiatrique après 60 ans (épisode dépressif caractérisé, trouble anxieux, trouble délirant…) est le plus important signe d’alerte, qui doit faire rechercher une origine secondaire. Les maladies psychiatriques primaires sont effectivement des pathologies de début généralement précoce, apparaissant le plus souvent avant 45 ans (dépression), voire plus jeune (avant 25 ans pour les épisodes psychotiques). Lorsque les causes les plus classiques (hypothyroïdie, maladie inflammatoire, alcool…) ont été éliminées, la possibilité d’une maladie neurodégénérative doit être évoquée en priorité.

Des troubles cognitifs marqués ou au premier plan doivent également faire soulever l’hypothèse d’une maladie neuro-évolutive sous-jacente, en particulier si ces troubles prédominent sur les fonctions instrumentales (langage, praxies, gnosies…) ou la mémoire épisodique plutôt que sur les fonctions exécutives ou l’attention.

Des troubles psychiatriques ne répondant pas ou seulement partiellement à un traitement bien conduit chez un sujet âgé sont également suspects d’une origine secondaire, et en particulier de l’existence d’une pathologie neurodégénérative sous-jacente. De la même manière, une réponse obtenue au prix d’effets indésirables marqués (syndrome extrapyramidal, hypotension orthostatique, troubles cognitifs) doit être considérée comme anormale en première approche.

DÉPRESSION ET TROUBLES ANXIEUX

La dépression est une pathologie très fréquente, y compris chez les sujets vieillissants (5 à 8 % des plus de 60 ans), qui traversent de multiples événements de vie à même de favoriser la survenue d’un épisode dépressif tels que le départ en retraite, les deuils ou les événements médicaux. Dans ce contexte, il est toutefois essentiel de ne pas surestimer la dimension « réactionnelle » de ces épisodes dépressifs et de savoir évoquer une composante « secondaire » à une pathologie neuro-évolutive sous-jacente, en particulier face à l’un des drapeaux rouges ci-dessus.

Des spécificités peuvent également être pointées selon la pathologie neurodégénérative présentée par le patient :

> Maladie d’Alzheimer

On sait désormais que l’histoire naturelle de la MA comprend une longue phase « silencieuse » durant laquelle, malgré la perte neuronale et les lésions cérébrales progressives, l’évaluation neurocognitive demeure normale. Cette compensation est assurée par une « réserve cognitive » qui n’est pas utilisée au quotidien mais est mise en jeu en condition normale pour faire face aux situations cognitivement exigeantes (examen, problématique complexe du quotidien, par exemple démarche administrative…) et aux stress (infection, suites d’une anesthésie générale…). La sollicitation permanente de cette réserve cognitive et son dépassement chez les patients qui présentent une MA conduisent souvent à l’apparition de symptômes dépressifs, voire d’authentiques épisodes dépressifs caractérisés (EDC) durant la période prodromale ou des troubles neurocognitifs légers de la maladie, comme en atteste l’augmentation de la prescription d’antidépresseurs durant les années qui précèdent le diagnostic (4).

Un exemple de cette problématique est celui des patients qui présentent un « burn-out » à l’approche de l’âge de la retraite, à la suite de changements dans l’organisation ou les outils professionnels, auxquels ils ne parviennent pas à s’adapter. Chez certains d’entre eux dont les troubles dépressifs s’améliorent – voire disparaissent durant les périodes d’arrêt de travail – pour se réactiver lors des tentatives de reprise, la situation est favorisée par une MA au stade prodromal. Ces patients présentent souvent une importante plainte cognitive subjective associée. Il est alors important de déclencher un bilan neurocognitif précoce, même si les examens et évaluations de première ligne (IRM cérébrale, MMS…) sont normaux, car un diagnostic précoce dans ces situations permettra non seulement de mettre en œuvre une prise en charge adaptée mais aussi d’éviter au patient la grande souffrance causée par une situation d’échec professionnel qui paraît à première vue « incompréhensible ».

De plus, les épisodes dépressifs associés à la MA aux stades précoces ont souvent une symptomatologie plus fruste, s’intriquant avec l’apathie liée à la maladie et les attitudes d’évitement qu’elle précipite (arrêt des activités associatives, mise en retrait de la vie sociale…). Ces épisodes répondent également moins bien au traitement antidépresseur.

Ainsi, toute dépression du sujet de plus de 50 ans qui paraît inexpliquée ou qui fait suite à des difficultés d’adaptation à des événements de vie qui n’auraient pas eu de telles conséquences auparavant (selon le patient et/ou son entourage) devra faire évoquer la possibilité d’une MA au stade prodromal ou débutant, ce d’autant qu’il s’agira d’un premier épisode chez un patient indemne d’antécédents psychiatriques, qu’il existera une plainte cognitive associée et/ou que la réponse à un traitement antidépresseur de première ligne paraîtra insuffisante.

> Maladie à corps de Lewy

Des troubles psychiatriques sont observés au diagnostic chez plus de 85 % des patients atteints de maladie à corps de Lewy (MCL) et constituent le mode d’entrée principal dans la maladie chez 10 à 15 % d’entre eux (5).

En pratique, les EDC sont très fréquents chez les patients atteints de MCL, avec souvent un tableau marqué par une anxiété importante et des caractéristiques de sévérité, voire mélancoliques. S’associent en effet volontiers à la tristesse de l’humeur et à l’anxiété des éléments délirants qui peuvent être typiques d’un tableau mélancolique (idées de ruine, d’incurabilité…) ou atypiques (délires de persécution, d’identification…) et sont assez souvent sous-tendus par des phénomènes hallucinatoires (6).

La présence à l’examen neurologique de signes parkinsoniens (ralentissement global, hypokinésie, rigidité, trouble de la marche…) renforcera fortement la présomption diagnostique.

Face à un sujet âgé qui présente un EDC ayant ces caractéristiques, il est essentiel d’évoquer une MCL car ce diagnostic impacte fortement les options de prise en charge thérapeutique. En effet, les patients souffrant de cette maladie ont une très mauvaise tolérance aux traitements psychotropes.

Les antipsychotiques et les antidépresseurs tricycliques sont de ce fait formellement contre-indiqués (hors prescription spécialisée) alors que les antidépresseurs sérotoninergiques et les benzodiazépines doivent être utilisés avec précaution (très faibles posologies de départ, demi-vie courte pour les benzodiazépines) afin d’éviter la survenue d’une aggravation cognitive (confusion), motrice (syndrome parkinsonien) ou d’un syndrome malin des neuroleptiques.

> Démence frontotemporale

La DFT est une maladie neurodégénérative caractérisée dans sa forme la plus fréquente (variant comportemental) par un syndrome dysexécutif cognitif et comportemental au premier plan. Les patients présentent souvent dans ce cadre une apathie importante associée à une réduction des centres d’intérêt et de l’empathie, une négligence de leur hygiène et de leur apparence, une routinisation du quotidien et parfois des plaintes stéréotypées et envahissantes (douleurs et désordres somatiques, « traumatismes » …). Tous ces symptômes peuvent être confondus avec ceux de la dépression, expliquant la fréquence des erreurs diagnostiques et le retard mentionnés précédemment.

Seuls un entretien attentif et un repérage des signes d’alertes permettront d’éviter ce piège diagnostic. Il faudra ainsi préciser s’il existe une authentique tristesse de l’humeur (ce qui n’est pas le cas chez les patients atteints de DFT), identifier la personne à l’origine de la plainte (le patient le plus souvent en cas d’EDC, l’entourage en cas de DFT) ainsi que rechercher les signes « positifs » du syndrome frontal comportemental : perte des convenances sociales, dépenses inconsidérées, modifications alimentaires avec augmentation de l’appétence pour le sucré et de l’appétit, parfois désinhibition sexuelle (2). À noter que ces derniers troubles pourront dans de rares cas faire évoquer à l’inverse un épisode maniaque, qui sera plus facilement éliminé devant le mode d’installation, la durée de l’épisode et l’absence d’exaltation sous-jacente de l’humeur.

DÉLIRES ET HALLUCINATIONS

La dichotomie sujet jeune/sujet âgé est plus marquée encore pour les troubles délirants et hallucinatoires que pour les dépressions et troubles anxieux. Les troubles psychotiques (schizophrénie…) apparaissent en effet exceptionnellement après 40 ans et les délires non dissociatifs observés chez des sujets plus âgés sont le plus souvent bien circonscrits (délire de jalousie…).

Un trouble délirant et/ou hallucinatoire apparaissant après 50 ans, ce d’autant qu’il est associé à une plainte ou des troubles cognitifs, doit donc être considéré comme d’origine « neurologique » jusqu’à preuve du contraire. De plus, certains types de délires et/ou d’hallucinations fréquents sont particulièrement évocateurs d’une telle origine. (voir encadrés ci-dessous)

Attention toutefois, les pathologies neurodégénératives ne sont pas les seules causes neurologiques à évoquer. Il faudra selon le contexte et les symptômes associés penser également aux encéphalites paranéoplasiques (encéphalites auto-immunes associées aux cancers), aux maladies métaboliques ou encore à la maladie de Creutzfeldt-Jakob. Dans tous les cas, un avis neurologique spécialisé rapide s’impose, si possible avant l’introduction de tout traitement psychotrope.

> Maladie d’Alzheimer

Des troubles délirants peuvent être observés chez les patients qui présentent une MA, dès les stades précoces, bien que nettement moins fréquemment que chez les patients atteints de MCL ou de DFT. On identifiera deux principales situations à risque augmenté : les sujets qui présentent une MA « jeune » (< 60 ans), dont la forme est souvent plus atypique, et les sujets plus âgés (> 75 ans), qui peuvent souffrir d’une pathologie mixte MA/MCL.

La présence d’une plainte ou des troubles mnésiques parallèlement au délire est bien sûr évocatrice, alors que les caractéristiques de celui-ci sont souvent peu spécifiques. Il s’agit généralement d’un délire de persécution, volontiers centré sur une crainte de spoliation, par exemple concernant le domicile, voire d’un délire de jalousie. Les hallucinations sont quant à elles rares, hors pathologie mixte.

Un piège diagnostique classique est celui des « fausses croyances ». Dans ce cas, les propos décorrélés de la réalité que tient le patient ne sont pas de nature délirante (conviction inébranlable et construite basée sur des pensées ou une interprétation fausse de la réalité) mais liés à un dysfonctionnement mnésique à l’origine de « faux souvenirs » (par exemple, le patient met la table pour 8 en prévision de la venue de ses enfants et petits-enfants dont il croit se souvenir). Ces fausses croyances sont plutôt observées aux stades évolués de la maladie. Les traitements psychotropes n’apportent aucun bénéfice dans ce cas et ne doivent donc pas être prescrits.

> Maladie à corps de Lewy

Les hallucinations sont un symptôme cardinal de la MCL, observé chez plus de 85 % des patients, souvent dès les stades précoces de la maladie. Il s’agit quasiment toujours d’hallucinations visuelles, parfois associées à des hallucinations dans d’autres modalités (auditives, olfactives…). Chez certains patients, les troubles sont plus discrets (illusions, impressions de présence…). On parle de troubles psychotiques mineurs.

Les troubles délirants ne sont pas rares chez les patients atteints de MCL, dès les stades précoces comme dans l’évolution de la maladie (5). Comme indiqué précédemment, entre 10 et 15 % des patients atteints de MCL présentent une maladie à début psychiatrique avec, dans ce cas, une intrication dans des proportions variables des signes dépressifs et anxieux décrits plus haut et de troubles délirants, qui sont comme dans la MA souvent centrés sur des thématiques de persécution. En revanche, un autre type de délires, ceux d’identification, dans lesquels le patient a la conviction qu’un proche ou un élément de son environnement a été remplacé par un substitut d’apparence identique (voir encadré), semble plus particulièrement évocateur de la MCL (7).

Il n’est pas inutile de souligner encore une fois les risques (dont celui de décès) associés à l’utilisation de certains antipsychotiques chez les patients qui présentent une MCL. Il est donc de bonne pratique d’éviter de prescrire un antipsychotique devant un épisode délirant de novo chez le sujet âgé sans avis spécialisé ou, en cas d’urgence absolue, de se limiter à de très faibles doses d’un antipsychotique atypique à faible action antidopaminergique (clozapine 25 mg ¼ de comprimé ou quétiapine 50 mg LP ½ comprimé, voire aripiprazole solution buvable 0,5 mg), en s’interdisant formellement le recours aux antipsychotiques de première génération (halopéridol, tiapride, loxapine…).

Le syndrome de Capgras, pathognomonique de MCL ?

Le syndrome de Capgras ou délire d’illusion des sosies est un type particulier de délire d’identification dans lequel le patient est convaincu qu’une personne, généralement un proche (conjoint, enfant…) a été remplacé par un double de lui-même. Le patient admet que la personne qui se trouve en face de lui ressemble en tous points à celle qu’elle prétend être mais exprime la conviction inébranlable qu’il s’agit d’une supercherie, sans généralement pouvoir l’expliquer. Le syndrome de Capgras est décrit comme étant quasi-pathognomonique d’une origine neurodégénérative, et en particulier de la maladie à corps de Lewy. Des études ont toutefois montré qu’il pouvait également être observé chez des patients présentant une pathologie psychiatrique primaire. Des délires d’identification de même type mais portant sur d’autres objets (animal de compagnie, domicile…) peuvent également être observés, avec la même valeur d’orientation (7).

> Démence frontotemporale

Comme souligné précédemment, les patients atteints de DFT comportementale reçoivent dans un cas sur deux un diagnostic psychiatrique préalable, majoritairement de dépression. Des présentations délirantes et/ou accompagnées de riches hallucinations se rencontrent également, majoritairement dans certaines formes génétiques de la maladie. Il sera donc important de faire le rapprochement en cas d’antécédent familial de DFT ou de maladie neurodégénérative mal étiquetée chez un parent au premier degré (transmission autosomique dominante).

Les patients atteints de DFT présentent également parfois des préoccupations somatiques envahissantes précoces (7), c’est-à-dire des plaintes concernant des troubles subjectifs et/ou fonctionnels (le plus souvent des douleurs, des troubles du transit, des gênes respiratoires ou à la déglutition…) qui occupent une place croissante dans leur discours et occasionnent souvent des consultations et bilans répétés dont le résultat est normal ou sans rapport avec l’intensité de la plainte. Ce problème, à la limite entre le trouble délirant et le trouble du jugement, impacte significativement la qualité de vie des patients et de leur entourage en même temps qu’il « détourne » l’attention des autres modifications comportementales, que l’on attribue facilement à tord aux conséquences psychologiques des troubles que le patient allègue.

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DÉCOMPENSATION D’UNE MALADIE PSYCHIATRIQUE CHRONIQUE

La maladie d’Alzheimer concerne 2 à 4 % des personnes de plus de 60 ans et 15 à 20 % des plus de 80 ans. Le trouble bipolaire touche 2 à 4 % de la population générale, la schizophrénie 0,5 %. De nombreuses personnes atteintes d’une maladie psychiatrique chronique développent donc avec le vieillissement une MAMA, dont le diagnostic est souvent retardé, non spécifié (« démence vésanique »), voire négligé.

Pourtant, l’installation de la maladie neurodégénérative a souvent un effet déstabilisant sur la maladie psychiatrique de fond, mettant facilement en alerte le médecin averti qui connaît son patient de longue date. En pratique, ces patients qui étaient bien équilibrés sur le plan psychiatrique sous un traitement inchangé depuis de nombreuses années développent des rechutes (EDC, épisode délirant) inexpliquées, de présentation atypique, avec souvent intrication de troubles cognitifs avec les troubles psychiatriques, et un traitement souvent difficile du fait d’une mauvaise tolérance aux psychotropes. Un bilan en consultation mémoire spécialisée incluant des examens paracliniques (dont une ponction lombaire avec dosage des biomarqueurs de MA) doit systématiquement être réalisé devant un tel tableau. Ses résultats permettent en effet à la fois d’établir un diagnostic étiologique et d’éclairer le choix des traitements psychotropes.

Hallucinations visuelles et phénomènes psychotiques mineurs évocateurs de pathologies neurologiques

Parmi les phénomènes hallucinatoires, certains sont très évocateurs d’une origine neurologique et, particulièrement chez le sujet âgé présentant également une plainte/des troubles cognitifs, d’une maladie à corps de Lewy :

• Hallucinations visuelles : perception d’images fixes ou en mouvement en l’absence de tout stimulus visuel. Il s’agit majoritairement de personnages ou d’autres êtres vivants, silencieux ou accompagnés d’une « bande sonore ». Les hallucinations surviennent le plus souvent en fin de journée et/ou dans la pénombre. Aux stades débutants, le patient est souvent capable de critiquer ces hallucinations bien qu’il puisse questionner la réalité de ses perceptions sur l’instant.

• Illusions visuelles : perception erronée d’images réelles (par exemple un manteau accroché à une patère est pris pour un personnage, un bibelot sur un meuble pour un animal…). Caractéristiques similaires à celles des hallucinations pour tous les autres aspects.

• Impressions de présence : perception erronée d’une présence à proximité (derrière le patient le plus souvent) ou bien au sein du domicile. Cette présence n’est généralement pas identifiée, mais peut parfois l’être (enfant, voisin, intrus) avec dans ce cas souvent des actions entreprises par le patient pour y répondre (recherche, tentatives de « chasser » l’intrus…).

• Impressions de passage : phénomène « intermédiaire » entre les hallucinations et les impressions de présence. Le patient décrit l’impression d’une ombre ou d’un petit animal (souris, chat…) qui passerait fugacement dans le coin de son champ de vision.

Bibliographie :
1. Cerejeira et al. 2012. Behavioral and Psychological Symptoms of Dementia. Frontiers in Neurology 3 (mai):73.
2. Ducharme et al. 2020. Recommendations to Distinguish Behavioural Variant Frontotemporal Dementia from Psychiatric Disorders. Brain 143 (6): 1632‑50. 8.
3. Damsgaard et al. 2024. Prescription medication use in the 10 years prior to diagnosis of young onset Alzheimer’s disease: a nationwide nested case-control study. Alzheimer’s Research & Therapy 16 (juillet):150.
4. Kobayashi et al. 2024. Clinical Presentations and Diagnostic Application of Proposed Biomarkers in Psychiatric-Onset Prodromal Dementia with Lewy Bodies. Psychogeriatrics 24 (4): 1004‑22.
5. Aveneau et al. 2023. Is the Clinical Phenotype Impact the Prognosis in Dementia with Lewy Bodies? Alzheimer’s Research & Therapy 15 (1): 169.
6. Jellinger et al. 2023. Depression in Dementia with Lewy Bodies: A Critical Update. Journal of Neural Transmission 130 (10): 1207‑18.
7. Cressot et al. 2024. Psychosis in Neurodegenerative Dementias: A Systematic Comparative Review. Journal of Alzheimer’s Disease, avril 2024.

 

Liens d’intérêts : l’auteur est investigateur principal dans un essai thérapeutique concernant la prise en charge des BPSD ­financé par Acadia Pharmaceuticals.


Source : Le Quotidien du Médecin