La migraine touche à l’âge adulte environ 16 % des femmes et 5 % des hommes. Les trois quart d’entre eux souffrent de crises sévères ou très sévères. Toutefois, « 40 % n’ont jamais consulté. 60 % ont consulté un médecin pour une crise, 20 % sont suivis actuellement et 39 % ont arrêté de consulter. Ce qui signifie que huit migraineux sur dix ne sont pas suivis alors même que le handicap généré par la migraine est souvent important ! », remarque le Dr Romatet. La moitié d’entre eux ont au moins 2 crises par mois et la migraine retentit sur les activités professionnelles, domestiques, sociales, familiales, récréatives, …
-› De plus, nombre de patients ne sont pas satisfaits de leur traitement. Environ 50% des patients migraineux ayant traité leur dernière crise avec des antalgiques non-spécifiques répondent négativement à au-moins une des questions suivantes: soulagement dans les 2 heures post-prise, tolérance-efficacité avec une seule prise médicamenteuse, reprise normale et rapide des activités quotidiennes (lire encadré E1). Ceci signifie que 50 % des patients migraineux traités doivent voir leur traitement réévalué.
-› Une autre des principales difficultés rencontrées par le médecin, c’est le nombre d’idées fausses et qu’acceptent des patients étonnamment fatalistes. On entend souvent : « de toutes les façons, il n’y a rien à faire », « ma mère en a eu jusqu’à la ménopause, il suffit que je patiente jusque là », « j’ai tout essayé, rien ne marche », …
7 ÉTAPES POUR REUSSIR UNE CONSULTATION
Plusieurs motifs peuvent amener un patient migraineux à consulter :
- la fréquence et/ou la sévérité de ses crises (84%),
- le retentissement sur sa vie professionnelle et familiale (31%),
- l’impression de prendre trop de médicaments (12%).
Les attentes du patient sont de trois ordres : recevoir un médicament efficace (76% des cas), connaître les facteurs déclenchants de ses crises (68% des cas), connaître l’origine de ses crises (60% des cas).
1- Faire connaissance
C'est-à-dire appréhender le patient sur le plan médical et psychologique en lui faisant décrire ses douleurs (type de céphalées, localisation, intensité, …)
2- Poser un diagnostic
Toute céphalée n’est pas systématiquement une migraine.
-› Le diagnostic positif de la migraine repose sur la clinique seule, en se référant aux critères de la HAS :
- une évolution par crises récurrentes, séparées par des intervalles libres de toute douleur,
- des caractéristiques sémiologiques propres (cf encadrés migraine avec aura et migraine sans aura)
- un examen clinique normal.
La migraine sans aura est la plus fréquente (80% des cas environ) (7).
Quelques variantes existent. Une migraine peut aussi se manifester par des douleurs faciales ou diffuses, des crises réduites à l’aura, une intensité variable d’une crise à l’autre.
-› Eliminer une autre cause de céphalée : algie vasculaire de la face, céphalée de tension ou névralgie du trijumeau.
-› Reconnaître les signes d’urgence :
- des céphalées « de novo » survenant à un âge supérieur à 50 ans
- une céphalée d’apparition soudaine, inhabituelle
- une céphalée qui persiste ou qui s’aggrave
- un signe physique à l’examen (1).
3- Pointer avec le patient les facteurs déclenchants de ses crises
Un ou plusieurs facteurs favorisants ou déclenchants sont retrouvés chez la plupart des migraineux. Ils peuvent être alimentaires (chocolat, alcool, œufs, fritures, …), psychologiques (contrariétés, émotions, stress), climatiques (vent, variations de pression), sensoriels (lumière, bruit, odeurs, efforts sportifs), des modifications du rythme de vie, de sommeil, des évènements liés à la vie hormonale de la femme (puberté, contraception orale, grossesse, 60 % des femmes indiquent souffrir au moment de leurs règles, 5 à 7 % n’ont que des crises cataméniales (6)).
4- Apprécier le handicap et le retentissement de la migraine.
Les questions vont porter sur le vécu psychologique, les conduites d’évitement, les jours de travail perdus, le rapport du patient aux médicaments, l’attitude de l’entourage.
5- Expliquer au patient ce que l’on sait sur la migraine.
La migraine est une maladie neurovasculaire sous-tendue par une susceptibilité génétique. Chaque crise est due à l’activation du système trigémino-vasculaire. Ce système correspond à l’innervation extrinsèque de la vascularisation cérébrale et de la dure-mère qui est supportée par la branche ophtalmique du nerf trijumeau et les premières racines cervicales. L’activation de ce système va induire une vasodilatation et une extravasion des protéines plasmatiques constituant une authentique « inflammation stérile » d’origine neurogène (5).
Ces explications permettent notamment de chasser les idées fausses et les fausses craintes (tumeur du cerveau, anévrysmes, dysfonction hépatique, troubles de la vue, atteinte des sinus, anomalies du rachis cervical, …)
6- Rappeler qu’aucune imagerie n’est nécessaire en l’absence d’atypie sémiologique ou évolutive (HAS).
L’imagerie est réservée à des cas très précis : céphalée récente se différenciant de la céphalée habituelle ; anomalie à l’examen clinique ; céphalée aiguë sévère s’installant en moins d’une minute, prolongée durant plus d’une heure et jugée intense.
7- Etablir un historique « policier » des traitements déjà testés.
- Quels sont ou ont été les traitements pris en cas de crise ? leur efficacité ? leur délai d’action ? leurs effets indésirables ? leur niveau de consommation ? Evaluer l’automédication permet d’apprécier des prises antalgiques trop fréquentes caractéristiques des CCQ (céphalées chroniques quotidiennes) qui justifient une prise en charge spécifique.
- Les traitements de fond : quelles molécules ? pendant quelle durée ? à quelles doses ? avec quelle efficacité ? Quelle a été l’observance, les effets secondaires ?
Sophie Romatet souligne : « C’est quasiment gagné si le patient a senti de la part du médecin écoute et empathie ! »
INSTAURATION DU TRAITEMENT DE LA CRISE
La HAS recommande de prescrire en première intention, et sur la même ordonnance, un AINS (sauf s’il existe une contre-indication ou une mauvaise tolérance) validé dans la crise migraineuse et un triptan. Le patient commence par prendre l’AINS, le triptan sera pris en seconde intention, deux heures plus tard si l’AINS n’a pas calmé la crise.
Cette stratégie doit être évaluée sur 3 crises. Si l’AINS est efficace sur au moins 2 des 3 crises traitées, cette stratégie sera poursuivie. Dans le cas contraire, les triptans doivent être utilisés d’emblée pour les crises ultérieures.
-› Les AINS indiqués sont le diclofénac, le ketoprofène, le naproxène et l’ibuprofène. Ils agissent de façon non spécifique en limitant l’intensité de l’ « inflammation stérile ». Leur efficacité est bonne, moins que celle des triptans, mais sont d’un coût moindre (4).
-› Le triptan peut être prescrit en première intention si l’impact fonctionnel de la crise migraineuse est important ou en cas de crise récurrente, c'est-à-dire en cas de réapparition de crises entre 2 et 24 heures après son soulagement initial. Dans certains cas, il est même possible d’associer d’emblée triptan+ AINS (3).
Les migraines cataméniales doivent être traitées comme les autres crises, on peut aussi prescrire en association au traitement de crise un estrogène naturel par voie percutanée 48 heures avant la date présumée des règles et pendant 4-5 jours.
Optimiser l’efficacité d’un triptan
- L’administrer le plus précocement possible, dès l’apparition de la céphalée. L’intervention précoce permet d’en augmenter l’efficacité, de diminuer le risque d’effets secondaires et de récurrence (4).
- Tester son efficacité sur au moins 3 crises avant de conclure à son inefficacité, excepté en cas de mauvaise tolérance.
- Prévenir et expliquer les éventuels effets indésirables en précisant au patient que ces effets sont habituellement d’intensité modérée et transitoires. Il s’agit du « syndrome triptan » correspond à une sensation d’oppression thoracique ou de striction laryngée survenant dans 2 à 13 % des cas, ou, plus fréquemment , d’ effets centraux (somnolence, asthénie, troubles de la concentration). Le plus souvent ces effets s’atténuent ou disparaissent avec la poursuite du traitement.
- Expliquer le mode d’action des triptans : ils agissent grace à leurs propriétés agonistes sur des récepteurs serotoninergiques 5 HT, situés sur les artères dure-mériennes et du tronc cérébral.
Toutes ces explications favorisent la confiance dans la molécule et une prise adéquate donc davantage de satisfaction liée à son efficacité, ce qui renforce l’adhésion (6).
Choisir un triptan
Certains triptans ont un effet « rapide » : zolmitran, eletriptan, rizatriptan, almotriptan, sumatriptan. D’autres ont une délai d’action plus long : naratriptan et frovatriptan. Ces derniers seront préférés en cas de crises lentement progressives, les premiers pour les crises d’installation plus rapide.
- Il n’existe pas d’échappement thérapeutique si le patient est initialement répondeur. Il n’y a pas non plus d’inefficacité croisée. Si après 3 essais, le patient n’est pas soulagé par un triptan, on en essaye un autre.
L’incidence et l’importance des effets indésirables induits par un triptan sont très variables d’un patient migraineux à un autre car il existe une grande variabilité inter individuelle qu’il faut savoir prendre en compte.
- Les triptans sont des vasoconstricteurs de par leur effet agoniste sur les récepteurs serotoninergiques vasculaires de type 5-HT1B. Aussi ils sont contre-indiqués en cas d’importants facteurs de risque vasculaires non maitrisés : angor, infarctus du myocarde ou cérébral, toute HTA non contrôlée, syndrome de Raynaud ou en cas d’insuffisance hépatique sévère. Ils ne sont pas recommandés au-delà de 65 ans
- Selon l’étude Framig 3, 72% des patients ayant pris un triptan pour traiter leur dernière crise se déclarent totalement satisfaits (2).
PRESCRIRE UN TRAITEMENT DE FOND
L’objectif principal des traitements de fond est de réduire la fréquence des crises. Ce qu’il faut bien expliquer au patient qui espère de son côté une disparition totale de ses crises. Un traitement est considéré comme efficace s’il réduit de 50 % le nombre des crises.
Mais, en général, les traitements de fond peuvent apporter d’autres bénéfices : baisse de l’intensité des crises, meilleure réponse aux traitements de crises, moindre sensibilité aux facteurs déclenchants. Ils représentent le meilleur moyen de prévenir les CCQ par abus médicamenteux.
-› Un traitement de fond est prescrit si les crises sont fréquentes (au-moins 3 à 4 par mois) et/ou s’il existe un handicap socioprofessionnel important. En pratique, la décision se prend en accord avec le patient en fonction de son handicap et de l’efficacité des traitements de ses crises. Presque 40% des migraineux relèvent d’un traitement de fond (Lipton, Neurology 2007) mais seuls 13% en prennent selon l’étude Framig (2).
-› Il importe d’instaurer le traitement de fond à doses progressives jusqu’à la dose efficace puis de le maintenir ainsi pendant au moins 9 à 12 mois. Il est toujours prescrit en monothérapie.
Le délai d’action d’un traitement de fond est de 2 à 3 mois, il est donc réévalué 3 mois après la première dose thérapeutique. L’arrêt d’un traitement de fond doit se faire progressivement.
-› Le choix du traitement de fond doit s’opérer selon les co-morbidités du patient. Ainsi, selon le Dr Romatet :
- Le pizotifène ou l’oxétorone, qui sont des antisérotoninergiques, sont particulierement proposés s’il existe des troubles du sommeil ; mais gare au glaucome à angle fermé. Ces molécules peuvent induire une somnolence et une prise de poids.
- Un betabloquant (propanolol, metoprolol) sera privilégié si le patient est plus âgé, s’il est hypertendu ou de nature « stressée » ; ceci en respectant les contre-indications.
- Le topiramate présente l’avantage de parfois produire une perte de poids et serait donc à privilégier chez les sujets en surpoids. Des paresthésies peuvent survenir en début de traitement dans 25 % des cas. Le topiromate est contre indiqué en cas de syndrome dépressif et il faut veiller à l’efficacité contraceptive car cette molécule peut diminuer l’efficacité des contraceptifs oraux si elle est prescrite à une dose ≥ à 200mg/j.
- L’amitriptyline traite efficacement les CCQ par abus médicamenteux ou de céphalées de tension intriquées aux migraines.
- A noter que la dihydro-ergotamine n’a pas démontré de supériorité par rapport au placébo et que de plus, elle contre-indique l’utilisation des triptans.
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