ULTRA-VIOLE(N)TS !
Le soleil est classé cancérigène pour l’Homme par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) depuis 1992. On a longtemps cru que les UV les plus énergétiques (UVB), responsables des coups de soleil, étaient les seuls à augmenter le risque de cancer. Cependant, comme ils sont capables d’atteindre les couches les plus profondes de l’épiderme, les UVA ont un rôle au moins aussi important que les UVB dans la cancérogenèse des tumeurs cutanées (voir figure 1).
► Même en l’absence de coups de soleil, le capital de résistance aux UV est entamé et le risque de cancer augmente [2]. De même, les UV étant des rayons froids, il faut bien comprendre que l’intensité de leur rayonnement n’est pas corrélée à la sensation de chaleur cutanée : « Attention aux fausses impressions de sécurité, par temps couvert ou au sortir d’une baignade », insiste l’INCa [2].
La protection solaire ne peut être obtenue par les compléments alimentaires ni les autobronzants qui sont de simples colorants.
► Les séances d’UV en cabine permettent un bronzage artificiel, superficiel, qui ne “prépare” pas la peau au soleil, car il n’y a pas d’épaississement de la peau. En France, les cabines à UV émettent un rayonnement UVA “extrême” (OMS), équivalent à l’ensoleillement des zones subtropicales. Le CIRC a mis en évidence [16] une association entre mélanome et exposition « au moins une fois dans sa vie à un appareil émettant des UV artificiels » avec un risque relatif de 1,15. En particulier, le risque est augmenté de 75 % pour une première exposition < 35 ans. L’exposition aux UV artificiels n’apporte aucun bénéfice pour la santé et est dangereuse. Il faut la déconseiller sans réserve [4] (voir tableau 1).
CANCERS CUTANÉS
► Plus de 7 000 nouveaux mélanomes par an : c’est trois fois plus qu’il y a 20 ans, traduisant une évolution de nos rapports au soleil. Les deux tiers des mélanomes sont liés à des expositions solaires excessives, principalement les coups de soleil de l’enfance et les expositions solaires intermittentes et intenses (typiques des périodes de vacances).
► Contrairement à une idée reçue, les mélanomes se développent le plus souvent sur peau saine, et non sur un nævus préexistant.
► 5 à 10 % des mélanomes sont liés à des caractéristiques génétiques : on estime que le risque est multiplié par deux ou trois si un parent de premier degré (parents-enfants, frères-sœurs) a eu un mélanome. En pratique, le médecin de famille connaît les antécédents familiaux : sa place lui permet de sensibiliser les patients à se protéger et à se faire dépister.
Les carcinomes baso et spino-cellulaires représentent 90 % des cancers de la peau, avec plus de 50 000 nouveaux cas par an en France. Ils surviennent généralement après 50 ans sur des zones photo-exposées (visage, cou, épaules, avant-bras, dos des mains…).
► La médecine préventive doit aussi porter sa vigilance sur l’exposition solaire d’origine professionnelle, qui concerne les milieux de l’agriculture, du BTP et les sportifs, notamment.
L’ÉTÉ, FAUX-AMI DE L’ACNÉ
Le soleil améliorerait transitoirement les lésions d’acné : jusqu’à 70 % des patients font ce constat. Effectivement, les UV ont dans un premier temps un effet anti-inflammatoire – propriété exploitée dans la puvathérapie. Pourtant, une aggravation automnale de l’acné survient le plus souvent.
► Cette photo-aggravation secondaire s’explique par l’épaississement progressif de la couche cornée sous l’effet des UV, qui favorise l’obstruction des follicules pilosébacés. L’aggravation est également médiée par l’oxydation du squalène. Le squalène est un des lipides du sébum des sujets acnéiques : plus il est oxydé et plus les glandes sébacées s’élargissent en comédons ; les kératinocytes prolifèrent et les cytokines pro-inflammatoires recrutent les PNN et macrophages. Enfin, le squalène peroxydé favorise la prolifération de Propionibacterium acnes.
► Dans tous les cas, le traitement de l’acné doit donc comporter une photoprotection, pour toute la période estivale comme pour des expositions occasionnelles. Il faut rechercher un écran solaire portant la mention “non comédogène”.
La photoprotection est justifiée également par le risque de photosensibilisation lié à de nombreux anti-acnéiques : trétinoïne, isotrétinoïne, cycline, peroxyde de benzoyle. En général, on interrompt le traitement par cyclines mais on poursuit le traitement local appliqué le soir, afin de limiter les risques de poussées à la rentrée.
PROTÉGER LES ENFANTS
Quel que soit le phototype de l’enfant, sa peau est trop fine pour être exposée au rayonnement UV. De plus, on l’a vu, l’exposition excessive au soleil pendant l'enfance est un facteur de risque majeur de mélanome à l'âge adulte.
Les UVA sont particulièrement dangereux pour les yeux des enfants dont le cristallin, très transparent jusqu’à l’âge de sept ans [4], ne joue qu’imparfaitement le rôle de filtre, induisant des microlésions de la rétine.
► Quelques consignes primordiales :
• Jamais d’exposition au soleil avant un an. Il existe un risque de passage systémique des produits de protection solaire.
• Limiter l'exposition au soleil, en évitant toujours les heures où les rayons UV sont les plus intenses (12 heures – 16 heures en France métropolitaine) ;
• Appliquer régulièrement un écran solaire adapté, même si l’enfant reste à l'ombre. Attention : l’utilisation d’un protecteur solaire ne permet pas de prolonger la durée d’exposition. Le coup de soleil est retardé mais la dose UVA reste constante !
• Toujours porter un t-shirt pour les activités sportives de plein air. Mais tous les textiles ne se valent pas. Selon la nature de ses fibres textiles, la technique de tissage et sa couleur, le vêtement transmet à la peau entre 0,1 % et 24 % des rayons UV incidents [19, 22]. Ne pas oublier la crème solaire sur les zones non couvertes par les vêtements avant les matchs de football ou de tennis.
• Recommander le port d'un maillot anti-UV à la plage. Un t-shirt mouillé n'apporte aucune protection.
• Chapeau et lunettes de soleil sont obligatoires. Les UVA peuvent traverser la paupière et entraîner des atteintes oculaires à long terme : cataracte et DMLA [6].
LES MILIAIRES SUDORALES
Le système sudoral des enfants est immature également, pouvant les exposer aux “boutons de chaleur”, ou miliaires sudorales [17]. L’étiologie de ces affections est mal connue : il pourrait s’agir d’une hyperhydratation de la couche cornée par la sueur riche en sodium et/ou d’une délipidation des kératinocytes bordant des pores sudoraux. Les miliaires sudorales sont très fréquentes chez les jeunes enfants, surtout avant 4-5 ans.
La miliaire cristalline
Elle survient après une hypersudation brutale (exposition à la chaleur ou accès fébrile). Elle se traduit par de multiples lésions microvésiculeuses fragiles à contenu clair dites “gouttes de rosée”. Les microvésicules contiennent de la sueur et prédominent dans les régions riches en glandes sudoripares : front, cou, torse, visage. Il n’y a pas de prurit et les lésions disparaissent spontanément en quelques heures, laissant une fine desquamation.
La miliaire rouge
Encore appelée “bourbouille”, cette miliaire survient après une exposition prolongée en atmosphère chaude, sèche ou humide. Les lésions élémentaires sont des papules et papulo-vésicules de même taille (1 à 2 mm), rouge vif, sur fond inflammatoire. Le prurit est fréquent ; les plus grands enfants décrivent une sensation de brûlure ou de piqûre (prickly heat rash = éruption piquante liée à la chaleur). Le siège préférentiel des lésions est un élément précieux pour le diagnostic : les faces latérales du tronc, le dos, le cou et les zones de friction des vêtements – a fortiori trop serrés ou imperméables — et/ou de la couche (pli inguinal, pli abdominal), le visage et les creux poplités chez le tout-petit. L’exposition à la chaleur exacerbe le prurit. La miliaire rouge guérit en quelques jours, laissant une desquamation farineuse (“furfuracée”) caractéristique.
Le traitement de la miliaire rouge vise à diminuer la sécrétion sudorale, accélérer l'évaporation de la sueur déjà sécrétée, de prévenir les complications et favoriser la desquamation. De manière empirique, il s’agit de soustraire l’enfant à la chaleur, d’utiliser des climatiseurs ou des ventilateurs. Les cosmétiques occlusifs doivent être proscrits. Dans les formes les plus étendues, les antihistaminiques peuvent limiter le prurit ; antiseptiques et bains émollients peuvent être nécessaires.
Parfois, les lésions de bourbouille deviennent pustuleuses, définissant la miliaire pustuleuse dont les lésions sont amicrobiennes, mais difficiles à distinguer formellement d’une surinfection (folliculite superficielle).
ATTENTION, PHOTOSENSIBILISANTS !
De nombreux médicaments peuvent être photosensibilisants et le risque est rarement chiffré dans le RCP. Un médicament connu pour son potentiel de photosensibilisation ne doit pas forcément être exclu, s’il est nécessaire : c’est le cas de la doxycycline dans la prophylaxie anti-palustre. Le risque exact est inconnu mais il est recommandé, pour diminuer ce risque, de prendre le médicament le soir au dîner.
► La photosensibilisation peut également se manifester par une photo-onycholyse [19], c’est-à-dire un décollement plus ou moins important du bord distal de l’ongle. Le phénomène est favorisé par l’effet “loupe” de l’ongle et la très faible quantité de mélanine de son lit, permettant une pénétration UV importante. Plusieurs médicaments ont été associés à la photo-onycholyse : en premier lieu les tétracyclines (doxycycline surtout), qui s’accumulent dans les phanères, mais aussi les AINS, les psoralènes au cours de la PUVA, les fluroquinolones, la quinine, l'indapamide [21], la paroxétine, des anti-VEGF et anti-EGFR [20].
► Une réaction de photosensibilité médicamenteuse justifie toujours une enquête en milieu spécialisé, pour déterminer s’il s’agit de phototoxicité (réaction inflammatoire dose-dépendante) ou de photoallergie (mécanisme immunologique, avec un risque de réaction croisée et d’anaphylaxie).
► La photophytodermatose [12, 13] ou dermite des prés, est une forme particulière de réaction de photosensibilité. Elle est liée au contact de la peau humide (sueur, baignade…) avec une plante photosensibilisante, sous l’effet de l’exposition directe au soleil. Les plantes responsables sont celles contenant des furocoumarines qui sont des psoralènes. Les furocoumarines ont des propriétés antifongiques pour les plantes qui en produisent donc davantage en cas d'infestation. Il s'agit de toutes les ombilifères (grande berce du Caucase, cerfeuil, fanes de carottes, panais, fenouil, céleri, persil, coriandre, anis, aneth), des astéracées (chicorée, pissenlit, chardons), moracés (figuier), de certaines mousses et de lichens.
► Le délai d’apparition des lésions – érythémateuses, vésiculo-bulleuses voire phlychténulaires – est de quelques heures à 48 heures. Après desquamation, une pigmentation résiduelle peut persister. L'interrogatoire retrouve souvent une activité préalable dans un jardin ou parmi des herbes sauvages, qui peut être d’origine professionnelle : maraîchers, jardiniers, fleuristes, etc. Chez l'enfant, rechercher la notion de manipulation de végétaux, d'un citron vert, le jeu avec des branches de figuier.
► Enfin, la dermite pigmentaire en breloque, sur les faces latérales du cou, est une hyperpigmentation persistante, secondaire à une exposition solaire après application de parfums contenant des psoralènes ou des huiles essentielles (bergamote, lavande, cèdre, vanille, santal).
LA LUCITE ESTIVALE
On distingue plusieurs tableaux de lucite estivale : le plus fréquemment, il s’agit de papules érythémateuses urticariennes disséminées. Les placards urticariens sont moins fréquents, et les papulo-vésicules très rares. Les anglophones les regroupent sous le terme polymorphic light eruptions (PLE). Peu connue, leur pathogénie se concrétise via une réponse auto-immune anormale et des photosensibilisants non identifiés. Les UVA seraient majoritairement responsables du déclenchement des PLE (70 % des cas).
Dans huit cas sur dix, il s’agit d’une femme de 20 à 30 ans de phototype clair. Mais on l'observe également chez les enfants, plus souvent les filles.
► Classiquement, l’éruption survient lors des premières expositions printanières, parfois après des prodromes à type de brûlure. La lucite peut affecter tout le tégument photo-exposé, avec une prédilection pour le décolleté et les membres supérieurs.
► Des antihistaminiques peuvent être prescrits pour réduire le prurit. Lors des poussées sévères, un traitement par dermocorticoïdes, voire une courte corticothérapie orale peut être nécessaire. Toutefois, les récidives sont fréquentes les années suivantes. La prévention repose sur une photoprotection stricte, renouvelée toutes les deux heures (six cuillers à café pour un adulte de taille moyenne). Divers traitements préventifs ont été étudiés : antipaludéens de synthèse à débuter avant les beaux jours (chloroquine 300 mg/j ou hydroxychloroquine, 400 mg/j), antioxydants, nicotinamide. La puvathérapie peut être efficace (à répéter chaque année avant les premières expositions pendant trois à quatre ans).
Bibliographie
1- Institut National du Cancer. Exposition aux rayonnements UV. Juin 2017. Disponible sur http://www.e-cancer.fr/Comprendre-prevenir-depister/Reduire-les-risques…
2- Institut National du Cancer. Soleil, mode d’emploi. Disponible sur http://soleilmodedemploi.e-cancer.fr/
3- Institut National du Cancer. Fiche repères : la prévention primaire des cancers en France. http://www.e-cancer.fr/content/download/128308/1560095/file/FR%20Facteu…
4- Institut National du Cancer. Fiche repères : rayonnements UV et risque de cancer. 2011. Disponible sur http://www.e-cancer.fr/content/download/95858/1020708/file/FRRAYUV11.pdf
5- Santé Publique France. Campagne « risques solaires ». Disponible sur http://www.prevention-soleil.fr/
6- INPES. Baromètre cancer 2010. Disponible sur http://inpes.santepubliquefrance.fr/30000/pdf/BS_Cancer_2010_soleil.pdf
7- Institut Pasteur de Lille. Risques et précautions vis-à-vis de la chaleur, du soleil et du grand froid Extrait des recommandations du Haut Conseil de la Santé Publique. 2017. Disponible sur https://www.pasteur-lille.fr/vaccinations-voyages/fiches_recommandation…
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10- Leccia MT. Allergie solaire : quelle prévention. Rev Prat Med Gen 2011;25:460-1.
11- Farhi D. Acné vulgaire et soleil. Rev Prat Med Gen 2005 ; 19 (696/697) : 687
12- Birebent J, Crueghe T, Canel C, Freyens A, Oustric S. Avec le soleil pour témoin ? Rev Prat Med Gen 2016 ; 30 (962) : 412
13- Académie de Médecine. Photophytodermatose. Dictionnaire médical de l'Académie de Médecine – version 2016-1. Disponible sur http://dictionnaire.academie-medecine.fr/?q=photophytodermatose
14- Ly S, Bayen M. Psoriasis, mycoses, traitements systémiques.La dermatologie quotidienne en médecine générale. Forum des médecins généralistes, Journées Dermatologiques de Paris. 12 décembre 2017.
15- Renaud C. L’acné : une pathologie multifactorielle – Facteurs de risque et traitements. Thèse pour le doctorat en Pharmacie. Université de Lorraine, 2014. Disponible sur http://docnum.univ-lorraine.fr/public/BUPHA_T_2014_RENAUD_CLEMENT.pdf
16- El Ghissassi, F., et al., A review of human carcinogens--part D: radiation. Lancet Oncol, 2009. 10(8): p. 751-2.
17- Traore A. Miliaires sudorales. Thérapeutique dermatologique 2005. Disponible sur http://www.therapeutique-dermatologique.org/spip.php?article1219
18- Schmutz JL, Barbaud A, Trechot P. Photosensibilisation et contraception. Annales de Dermatologie et de Vénéréologie 2011 ; 138 (4) : 367-8. Disponible sur http://www.em-consulte.com/en/article/286690
19- Repellin A, Roure S. La photosensibilisation iatrogène et les réactions croisées : le pharmacien d’officine au cœur de la prise en charge. Thèse pour le doctorat en pharmacie, 2009, université de Grenoble. Disponible sur https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-00592338/document
20- Negulescu M, Baran R, Boulinguez S. La photo-onycholyse, une nouvelle manifestation de phototoxicité induite par le vandétanib. Annales de Dermatologie et de Vénéréologie 2016 ; 143 (12) : S412-3. Disponible sur https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0151963816310791
21- Rutherford T., Sinclair R. Photoonycholysis due to indapamide. Australian Journal of Dermatology 2007; 48: 35-36
22- GAMBICHLER T., LAPERRE J., HOFFMANN K. The European standard for sun-protective clothing. J Eur Acad Dermatol Venereol 2006; 20: 125-130
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