DES ORIGINES DIFFÉRENTES POUR LES ONGLES DES MAINS OU DES PIEDS
Les onychomycoses regroupent l’ensemble des infections fongiques de l’ongle causées le plus souvent par les dermatophytes (photos 1 et 2), plus rarement par les levures et exceptionnellement par les moisissures. Les dermatophytes le plus souvent rencontrés sont Trichophyton rubrum dans 90 % des cas ou Trichophyton interdigitale. Le Candida albicans est quasi la seule levure responsable d’onychomycose (photo 3), et les principales moisissures pathogènes pour l’ongle sont Aspergillus sp, Fusarium sp, Acremonium sp, Scopulariopsis sp.
Ces infections peuvent toucher un ou plusieurs ongles des doigts ou des orteils, l’atteinte du pied étant la plus fréquente, et le gros orteil la cible principale des dermatophytes.
Onychomycoses des orteils
– Elles sont dues dans plus de 90 % des cas à des dermatophytes (volontiers sous-unguéales distolatérales), toujours par extension à l’ongle d’une dermatophytie cutanée (interorteils et/ou plantaire) (photo 1).
– Dans 5 à 10 % des cas, elles sont dues à des moisissures (photo 5). Mais les moisissures ne sont pas systématiquement pathogènes, elles peuvent être des saprophytes environnementaux qui colonisent un ongle un peu décollé, ce qui pose des problèmes d’interprétation. La réalité de l’infection est parfois difficile à affirmer.
Onychomycoses des doigts
Les onychomycoses des doigts sont dues dans 50 % des cas à une levure de type Candida, surtout Candida albicans (photo 3) - favorisée par l’humidité et débutant volontiers par un périonyxis - et pour moitié à des dermatophytes (et dans ce cas le foyer source se trouve au niveau des pieds), plus rarement des moisissures (photo 4).
→ Les modes de contamination varient selon l’agent responsable.
– Pour les levures de type Candida albicans, il n’y a pas de contamination inter-humaine : le principal facteur de risque est le mode de vie (infirmiers, boulangers, femmes de ménage : mains dans l’eau en permanence, acidité, sucre, manucure abusive…).
– Pour les moisissures, là non plus il n’y a pas de contamination inter-humaine, c’est un champignon saprophyte de l’environnement qui devient brutalement pathogène pour des raisons qu’on ne connaît pas toujours (parfois un traumatisme de l’ongle est noté, parfois rien).
– Pour les dermatophytes, la contamination est toujours inter-humaine. Elle se fait de manière indirecte par les spores qui peuvent demeurer viables pendant plusieurs années, notamment dans les lieux collectifs où règne un environnement chaud et humide et où l’on marche pieds nus. Le sol, dans de nombreux espaces publics, est contaminé, en particulier dans les piscines, hammams, gymnases, les endroits récréatifs de type paradis tropical, les mosquées et sa propre salle de bains, et plus rarement par échange de ciseaux à ongles.
Identifier les facteurs favorisants.
S’il existe un terrain favorable aux dermatophytes qui est visiblement génétique (beaucoup de familles à champignons !), les principaux facteurs pour les dermatophytoses sont environnementaux – à prendre en compte dans la prise en charge et la prévention – soit :
– les activités sportives, piscine, sports de combat, marathon…
– certaines professions (militaires, maîtres nageurs) ;
– les traumatismes des ongles (hallux valgus, chaussures fermées, microtraumatismes…) ;
– une atteinte familiale (fréquente) ;
– une onychopathie préexistante (psoriasis…).
L’ASPECT CLINIQUE ORIENTE DIAGNOSTIC ET PRISE EN CHARGE
Plusieurs formes cliniques ont été définies en fonction du mode de pénétration des champignons dans l’appareil unguéal.
[[asset:image:11881 {"mode":"small","align":"left","field_asset_image_copyright":["Dr Genevi\u00e8ve CREMER"],"field_asset_image_description":[]}]]
→ L’onychomycose distale sous-unguéale, la plus fréquente (85 %), est provoquée dans la majorité des cas par un dermatophyte. L’infection commence par une décoloration distale de l’ongle puis progresse en direction proximale, le long de la face ventrale de l’ongle. On note une hyperkératose sous-unguéale, qui entraîne une séparation de l’ongle et de son lit. À mesure que l’infection progresse, une dystrophie unguéale s’installe : l’ongle devient alors décoloré et friable.
→ L’onychomycose blanche superficielle se caractérise par un envahissement de la face dorsale de l’ongle. Elle n’affecte jamais les ongles des doigts. La surface de l’ongle est rugueuse et devient graduellement friable.
→ L’onychomycose sous-unguéale proximale, la plus rare. Le pathogène pénètre par la portion proximale de l’ongle et migre distalement. Le premier signe est l’apparition d’une zone blanche dans la partie proximale de l’ongle.
→ L’onychomycose à Candida débute souvent par un périonyxis avec dystrophie secondaire de la tablette. Elle affecte quasi exclusivement les ongles des doigts.
→ L’onychomycose due à des moisissures peut démarrer par un périonyxis assez étendu sur la phalange puis s’étendre à l’ongle par sa partie proximale, mais peut aussi démarrer par le bord libre comme une dermatophytose. Elle est volontiers douloureuse.
[[asset:image:11882 {"mode":"small","align":"right","field_asset_image_copyright":["Dr Genevi\u00e8ve CREMER"],"field_asset_image_description":[]}]]TOUTE ONYCHODYSTROPHIE N’EST PAS UNE ONYCHOMYCOSE
L’existence d’une atteinte clinique d’un ongle ne signifie pas onychomycose : 50 % ne sont pas des mycoses (1). Il peut être difficile, voire impossible, de différencier cliniquement une onychomycose d’autres maladies de l’ongle.
→ Diagnostics différentiels
– onychodystrophies dues aux traumatismes répétés (marche, activités sportives), ce sont les plus fréquentes (photo 6) ;
– lésions liées à certaines affections : eczéma, lichen plan, psoriasis (photo 7), pelade ;
– tumeurs bénignes (exostoses, kystes…).
→ S’enquérir d’antécédents de lésions cutanées, examiner le reste du tégument à la recherche d’une autre localisation de mycose (intertrigo interdigital, inguinal) ou d’autres lésions cutanées à prélever en parallèle participe au diagnostic différentiel.
→ L’association possible d’une onychomycose et d’une onychopathie justifie la demande d’un examen mycologique dans la grande majorité des cas.
[[asset:image:11883 {"mode":"small","align":"left","field_asset_image_copyright":["Dr Genevi\u00e8ve CREMER"],"field_asset_image_description":[]}]]UN PRÉLÈVEMENT MYCOLOGIQUE INDISPENSABLE AVANT TRAITEMENT
La Société française de dermatologie conseille le prélèvement mycologique systématique de toute lésion unguéale avant de se lancer dans un traitement antifongique (long, contraignant, potentiellement coûteux et toxique) [2]. Il n’y a pas de diagnostic de mycoses sans champignons.
→ Le prélèvement obéit à certaines conditions :
– toilette normale le jour du prélèvement, sans vernis depuis au moins 48 heures, sans soins de pédicurie récente ;
– arrêt de 15 jours pour les crèmes, gels, poudres et sprays et 3 mois pour tout traitement filmogène antifongique ou per os (terbinafine).
→ L’objectif est d’aller chercher le champignon là où il est « vivant » pour le faire pousser en culture :
– en cas d’atteinte sous-unguéale distolatérale, l’ongle est découpé sur toute la longueur de la zone décollée (geste indolore bien que parfois impressionnant), pour récupérer les squames encore attachées au lit de l’ongle au niveau proximal, c’est-à-dire à la jonction entre les parties saine et malade ;
– en cas d’onychomycose superficielle, le prélèvement est fait par grattage de la tablette unguéale et
– en cas d’atteinte proximale, par découpage de la leuconychie.
→ L’examen direct confirme la mycose (l’aspect des filaments mycéliens au microscope peut déjà orienter vers une origine précise) et la culture permet l’identification (les levures ont une croissance rapide en 48 heures, les moisissures poussent en quelques jours, et les dermatophytes en 3 semaines).
– Les dermatophytes sont toujours pathogènes (5)
– Parmi les levures, seule Candida albicans est pathogène ; les autres sont des champignons saprophytes de la peau dont la responsabilité dans l’onychopathie est à interpréter en fonction de l’examen direct et de la clinique.
– Seules quelques moisissures peuvent être pathogènes ; elles colonisent volontiers une onychopathie d’autre origine ; un second prélèvement avec un examen direct montrant des filaments mycéliens et une culture pure sont nécessaires pour affirmer leur pathogénicité.
– Si le résultat est négatif, il faut envisager d’autres hypothèses diagnostiques
UN CHOIX THÉRAPEUTIQUE ADAPTÉ
Le traitement ne sera jamais commencé sans avoir eu le résultat d’au moins l’examen direct et de la culture du prélèvement mycologique.
→ La présence de spores dormantes en grande partie résistantes aux antifongiques et ne devenant sensibles qu’en phase de croissance impose un traitement prolongé. C’est une cause des échecs thérapeutiques et des récidives.
→ Le choix thérapeutique doit être adapté au type clinique de l’onychomycose et à la nature du champignon, sans oublier de traiter les autres localisations (intertrigos…) ainsi que l’entourage contaminé.
→ Le traitement des rares onychomycoses à moisissure relève du dermatologue.
→ On ne peut conclure à l’échec d’un traitement tant que les ongles n’ont pas repoussé, ce qui peut prendre 6 mois pour les ongles des doigts et jusqu’à 12 à 18 mois pour ceux des orteils.
→ Le traitement de l’onychomycose a des limites : choix du patient, observance, efficacité, effets secondaires potentiels, coût… La qualité de l'observance conditionne le résultat, et on n’oubliera pas de traiter les sources de recontamination pour prévenir les récidives.
Faut-il traiter systématiquement ?
L’onychomycose ne guérit jamais spontanément.
Il est cependant légitime de poser la question de l’abstention thérapeutique. La décision de traiter repose sur des arguments :
– terrain : sujet âgé, VIH, ATCD d’érysipèle…
– retentissement : douleurs, marche, esthétique ;
– association : intertrigo, atteintes des plantes.
Un traitement n’est pas nécessaire en l’absence de demande du patient, ou chez des patients âgés polymédicamentés.
Un traitement est indispensable en cas d’antécédent d’érysipèle, d’immunodépression, de diabète, des troubles trophique des membres inférieurs.
Il est nécessaire, pour la moitié des patients atteints d’onychomycose qui ressentent des douleurs de l’appareil unguéal, ou ceux ayant une gêne limitant le port de chaussures, la marche ou les activités sportives.
En l’absence de traitement, l’onychomycose est une source de contamination pour autrui.
Un préalable : la suppression de la zone pathologique
Pour qu’un antifongique se révèle efficace dans le traitement d’une onychomycose, il faut que le principe actif pénètre dans les différents tissus de l’appareil unguéal et y persiste à des concentrations permettant l’éradication totale de l’agent pathogène. Aussi, diminuer totalement ou en grande partie la zone pathologique est indispensable pour faciliter la pénétration des antifongiques systémiques et locaux, que ce soit par :
– découpe après onycholyse chimique avec l'association bifonazole et urée à 40 % appliquée sous occlusion qui permet de décoller sélectivement la portion pathologique de la tablette tout en respectant les attaches de l'ongle sain. Il suffit alors de découper cette zone parasitée et de nettoyer le lit de l'ongle ;
– ablation mécanique par meulage de toutes les tablettes décollées avec surveillance de la repousse pour éviter un ongle incarné ;
– meulage/curetage répétés des hyperkératoses par un pédicure ou le patient s’il est motivé.
Traiter l’onychomycose à dermatophytes des pieds et parfois des mains
→ En cas d'atteinte distale
– suppression de la zone envahie par grattage à la curette ou meulage ou chimique, association bifonazole/urée – une fois par jour, sur l'ensemble de l'ongle, avec maintien d'un pansement occlusif pendant 24 heures, et ce jusqu'à élimination complète de la partie infectée de l'ongle (1 à 3 semaines).
– Puis application d’une solution filmogène : le ciclopirox à appliquer quotidiennement, et l'amorolfine une fois par semaine. « Je préconise d’appliquer la solution filmogène jusqu’à guérison clinique voire un peu plus », précise Geneviève Cremer.
→ En cas d'atteinte proximale ou latérodistale
– Un traitement systémique par terbinafine est presque toujours nécessaire (3). La terbinafine, s’administre par voie orale, à raison de 250 mg par jour pendant 6 semaines pour les ongles des doigts, et pendant 12 semaines pour une atteinte des ongles des orteils. Des taux thérapeutiques de terbinafine persistent dans l’ongle de six à neuf mois après l’arrêt du traitement, ce qui diminue les risques de récidive et permet d’arrêter le traitement après trois mois. La guérison clinique ne s'observera donc qu'après repousse complète de l'ongle (9 à 12 mois pour les ongles des orteils, 4 à 6 mois pour les ongles des mains). Le patient doit être prévenu de ce « délai ». Ce médicament est généralement bien toléré, cependant il comporte certains effets indésirables rares (hépatite, dysgueusie, anémie, leucopénie). Il est recommandé d’obtenir une NFS et un dosage des transaminases avant d’amorcer le traitement, et pendant celui-ci.
– traitement local par meulage et/ou découpage en sus ;
– l'association de la terbinafine et d'une solution filmogène (6 mois pour les mains, 9 mois pour les pieds) améliore les taux de succès et diminue le pourcentage de rechutes.
Traiter l’onychomycose à Candida des mains
→ En cas d'atteinte distolatérale
– Découpe de la partie atteinte et applications quotidiennes, de préférence occlusives, d’imidazolés topiques ou de bifonazole a priori pendant 30 à 60 jours, cela dépend de la longueur de l’atteinte de l’ongle.
→ Si périonyxis associé
– Bien sécher les mains et les protéger avec des gants.
– Application quotidienne d’imidazolés.
– En cas de périonyxis, d’atteinte polydactilique, d’échec ou de récidive, un traitement par voie systémique est nécessaire (4) Le Nizoral a été retiré du commerce il y a plusieurs années, le fluconazole est le seul médicament disponible à la posologie de 50 à 150 mg/j pendant 1 à 3 mois. Rien de bien codifié en fait.
Comment prévenir les onychomycoses en cas d’activité ou d’environnement à risque ?
•Avoir une bonne hygiène et couper les ongles courts
•Bien sécher les pieds et les espaces interdigitaux
•Porter des chaussons adéquats lors de la fréquentation des piscines et des douches communes
•Utiliser une serviette individuelle plutôt qu’un tapis de douche
•Décontaminer les chaussures et les chaussons
•Éviter de porter quotidiennement des chaussures favorisant la macération (chaussures de sport, notamment), préférer des modèles aérés (en particulier pour les chaussures de protection, au travail)
•Éviter la fréquentation répétée de lieux chauds et humides (bains bouillonnants, sauna, etc.).
Bibliographie
1- Scher RK. Onychomycosis: therapeutic. Journal of the American Academy of Dermatology 40:6 Pt 2 1999 Jun pg S21-6
2- Bonnetblanc JM. Onychomycoses. Modalités de diagnostic et prise en charge. Ann Dermatol Venereol 2007;134:5S7-16
3- Rodgers P, Bassler M. Onychomycosis. Am Fam Physician. 2001 Feb 15;63(4):663-673.
4- Scher RK. Efficacy and Safety of Onychomycosis Treatments:An Evidence-Based Overview J Am Acad Dermatol. 1999;40:S21-S26
5- Feuilhade de Chauvin M. Traitement des onychomycoses. Revue francophone des laboratoires. Vol 41, N° 432 - 2011 71-75.
Cas clinique
Le prurigo nodulaire
Étude et pratique
HTA : quelle PA cible chez les patients à haut risque cardiovasculaire ?
Mise au point
Troubles psychiatriques : quand évoquer une maladie neurodégénérative ?
Étude et pratique
Complications de FA, l’insuffisance cardiaque plus fréquente que l’AVC