INTRODUCTION
Les dysménorrhées se manifestent par des douleurs abdomino-pelviennes sous forme de crampes, en corrélation avec le cycle menstruel, pouvant irradier vers les régions lombaires, crurales ou inguinales.
Du fait de leur fréquence et de leurs répercussions importantes sur la qualité de vie, entraînant un absentéisme scolaire et parfois le renoncement à certaines activités sociales et sportives (1), il est essentiel de dépister et caractériser les dysménorrhées chez les adolescentes à travers une anamnèse adaptée.
Ces douleurs sont encore souvent minimisées ou considérées à tort comme inévitables, particulièrement lorsqu'elles sont d'intensité légère à modérée, que ce soit par les adolescentes elles-mêmes, leur entourage ou même les soignants.
ÉPIDÉMIOLOGIE
50 à 90 % des adolescentes éprouvent, à divers degrés, des dysménorrhées, dont 50 % ont une intensité modérée à sévère tandis que 10 à 25 % sont invalidantes et résistent au traitement symptomatique habituel (2). Dans 90 % des cas il s’agit de dysménorrhées primaires.
EN CONSULTATION
Idéalement, la jeune fille doit être vue avec ses parents, au moins pour la première consultation. Les questions intimes peuvent lui être posées après une ou deux consultations.
> L’anamnèse
À travers l'interrogatoire avant tout, l’anamnèse permet de caractériser le type de dysménorrhées en se fondant sur leur localisation, leurs caractéristiques d'apparition et d'évolution, ainsi que leur intensité évaluée à l'aide d'une échelle EVA.
Il est essentiel d'explorer les symptômes éventuellement associés, ainsi que leur impact sur la scolarité et la vie sociale, et de recueillir des informations sur les antalgiques précédemment essayés et leur efficacité, y compris l'utilisation de « petits moyens » comme les bouillottes, les bains chauds, etc.
L'âge auquel les premières menstruations ont débuté est un facteur à prendre en considération. L'entrée éventuelle dans la sexualité et l'utilisation ou le besoin d'une contraception doivent être abordés avec délicatesse, en tenant compte de la jeunesse de l'adolescente.
Parmi les antécédents personnels, il est utile de rechercher l'existence de malformations urogénitales préalablement diagnostiquées.
Les parents peuvent fournir des informations sur d'éventuels antécédents familiaux et sur d'éventuelles contre-indications aux œstroprogestatifs, comme les antécédents de migraine avec aura ou les facteurs de risque thromboembolique veineux ou thrombotique artériel, qu'ils soient personnels ou familiaux
> Examens clinique et complémentaires
De manière générale, l’examen pelvien n’est pas systématique. Il est réalisé avec l’accord de la patiente, si elle a débuté une vie sexuelle et si l’on est convaincu qu’il peut être contributif. La palpation abdominale, en revanche, est indispensable, et éventuellement l’examen des seins en cas de traitement hormonal.
Lorsque les dysménorrhées sont isolées et de faible intensité (EVA ≤ 3/10), avec un examen clinique rassurant, aucun examen complémentaire n’est nécessaire à ce stade. La prescription d’une échographie pelvienne d’emblée n’est pas recommandée chez l’adolescente.
> Diagnostics différentiels
Plusieurs diagnostics différentiels doivent être considérés lorsqu'une symptomatologie digestive ou articulaire est associée, suggérant un diagnostic gastroentérologique tel qu'une maladie inflammatoire chronique de l'intestin (MICI) ou rhumatologique (sacro-iliite, par exemple).
Si l’adolescente a débuté une activité sexuelle, un dépistage des infections sexuellement transmissibles doit être réalisé ainsi qu’un dosage d’hCG et une contraception proposée.
La persistance des douleurs malgré un traitement approprié doit conduire à envisager des situations de harcèlement, de maltraitance ou de violences sexuelles, faisant référence aux "expériences négatives de l'enfance" (ACE, Adverse Childhood Experience). Il est en effet prouvé qu'elles représentent un facteur de risque pour les dysménorrhées et les douleurs pelviennes chroniques à l'adolescence et ultérieurement à l'âge adulte. Ces traumatismes pourraient induire un état d'hypervigilance, contribuant à la persistance des douleurs même lorsque la cause organique semble être traitée et en voie de résolution. Cela constitue un profil spécifique, souvent associé à des symptômes douloureux chroniques fonctionnels (fibromyalgie, syndrome de l'intestin irritable, etc.).
Les dysménorrhées accompagnées de saignements utérins abondants constituent un cas à part qui demande une approche spécifique ayant fait l’objet de recommandations dédiées (3) et non traitée dans cet article.
LES DYSMÉNORRHÉES PRIMAIRES
Les dysménorrhées primaires, généralement assimilées aux dysménorrhées essentielles ou fonctionnelles, c'est-à-dire non organiques, représentent la majeure partie des cas de dysménorrhées chez les adolescentes.
> Hypothèses physiopathologiques
Plusieurs hypothèses sont avancées pour les expliquer. La première suggère qu'un certain nombre de femmes présenteraient une sensibilisation nerveuse de base accrue au niveau de l'utérus. Ainsi, malgré un phénomène inflammatoire pendant les règles similaire à celui des femmes sans dysménorrhées, le surplus de terminaisons nociceptives chez ces femmes déclencherait une douleur plus intense. Après une grossesse, la dénervation partielle de l’utérus contribuerait à l'atténuation des douleurs menstruelles, souvent constatée.
Une autre hypothèse concerne la biochimie et l'histologie des règles. Il semble que lors de la chute de la progestérone en fin de deuxième moitié du cycle, certaines femmes ont une activation plus marquée des cellules polynucléaires neutrophiles. Cela conduit à un phénomène inflammatoire plus important, provoquant une sécrétion encore plus importante de prostaglandines. Ces dernières agissent en sensibilisant les récepteurs nociceptifs utérins, entraînant une hypersensibilité locale. De plus, les prostaglandines provoquent des contractions utérines, des vasoconstrictions et des ischémies musculaires utérines douloureuses.
Il est probable que chaque femme présente une combinaison de ces mécanismes. En réalité, plusieurs sous-groupes physiopathologiques existent au sein de ces dysménorrhées fonctionnelles, mais ils restent à être identifiés.
> Caractéristiques d'apparition
La question clé lors de l'anamnèse pour étayer le caractère fonctionnel d’une dysménorrhée est de déterminer quand surviennent précisément ces douleurs menstruelles. Si elles se manifestent habituellement la veille ou dans les 48 premières heures des menstruations, l’origine fonctionnelle est fortement suggérée. Ces douleurs, isolées et de courte durée, sont qualifiées de protoméniales, c’est-à-dire qu’elles surviennent avant ou pendant les premiers jours des menstruations. En revanche, si la douleur persiste au-delà de 48 heures, voire pendant toute la durée des règles, ou si les règles s'arrêtent mais que la douleur perdure, cela évoque plutôt une cause organique, potentiellement d'origine gynécologique.
Le deuxième élément à prendre en considération est l’évolution de l’intensité de la douleur dès les premières règles. Si la douleur demeure constante d'un cycle à l’autre en l’absence de traitement, cela indique probablement une cause fonctionnelle. A contrario, si la douleur apparaît de manière secondaire, c’est-à-dire qu’il n’y avait pas de douleur auparavant et qu’elle devient plus sévère avec le temps, cela suggère plutôt une cause organique.
Un autre élément crucial à aborder durant l'anamnèse concerne les symptômes associés tels que : asthénie (30 à 70 %), céphalées, nausées, vomissements, diarrhées, etc. ; ce cortège de signes neurotoniques étant plutôt attribué aux dysménorrhées fonctionnelles.
> Thérapeutiques
Si des traitements symptomatiques tels que le paracétamol et le phloroglucinol sont jugés suffisants par l’adolescente, il n’y a pas lieu de modifier le traitement.
Dans le cas contraire, ou lorsque l’intensité est modérée (EVA ≥ 4/10) voire sévère (EVA ≥ 8/10), les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) sont indiqués dès l’apparition des dysménorrhées : sans limite d’âge l’ibuprofène à la dose de 10 mg/kg (200 mg entre 20 et 40 kg et 400 mg à partir de 40 kg) 3 fois par jour ; à partir de 12 ans, l’acide méfénamique à la dose de 250 mg, 1 à 2 gélules 3 fois par jour ; et à partir de 15 ans, le flurbiprofène à la dose de 100 mg, 1 comprimé 2 à 3 fois par jour (2).
Les patientes doivent être informées qu’il ne faut pas attendre que la douleur devienne intense pour débuter le traitement. Les AINS doivent donc être pris dès les premiers signes des douleurs menstruelles puis systématiquement durant les 2-3 premiers jours, et ensuite uniquement en cas de douleurs. Même si la douleur diminue après la prise de l’antalgique, il est nécessaire de poursuivre le traitement sans interruption pendant les 48 premières heures des règles.
Les AINS sont particulièrement efficaces dans la gestion des douleurs menstruelles, agissant en inhibant la cyclo-oxygénase de type 2, une enzyme dont l’activité catalytique est très élevée chez certaines patientes. En bloquant cette enzyme, ils produisent des effets anti-inflammatoires et analgésiques, ce qui en fait le traitement de référence. Un soulagement significatif voire total de la douleur est obtenu dans plus de 75 à 80 % des cas.
En cas d'antalgie insuffisante avec les AINS, l’échographie pelvienne permet de vérifier l’intégrité des structures et l’absence ou la présence de kystes ovariens.
Si les kystes ovariens ont un aspect organique (structure tissulaire ou mixte, présence de cloisons, persistance du kyste au-delà de 3 mois), l’adolescente doit être orientée vers une consultation chirurgicale spécialisée (chirurgie viscérale ou gynécologique, en fonction des possibilités locales). Si l’échographie pelvienne est normale ou si les kystes ovariens ont un aspect fonctionnel, une contraception œstroprogestative (COP) en séquentiel voire en continu est recommandée, notamment une pilule de 2e génération, en l’absence de contre-indications (antécédents personnels ou familiaux de thrombose, de thrombophilie ou de migraine avec aura, atteinte hépatique ou carcinologique). La patiente doit être rassurée : la prise continue de contraceptifs n'entraîne pas d'augmentation du risque vasculaire par rapport à la prise avec interruptions. De plus, cela n'a pas d'impact sur la fertilité, et des données suggèrent même qu’une prise de la pilule OP (continue ou discontinue) peut réduire de 20 à 30 % le risque de cancer de l'endomètre, même jusqu'à 10 ans après l'arrêt.
À noter, le tabagisme n’est pas une contre-indication à la COP avant l’âge de 35 ans.
En cas de réelle contre-indication, un microprogestatif en continu est proposé. Les microprogestatifs (per os ou implants) ont un intérêt si une aménorrhée s’instaure (30 à 40 % des utilisatrices). Le dispositif intra-utérin hormonal contenant du lévonorgestrel représente également une option efficace.
Une consultation de suivi est à prévoir d’emblée, avec pour consigne pour l’adolescente de remplir un calendrier menstruel, de recueillir et d’évaluer l’intensité des symptômes douloureux et l’effet des traitements instaurés (2).
LES DYSMÉNORRHÉES SECONDAIRES
> Les malformations utéro-vaginales
Chez l’adolescente, des dysménorrhées d’emblée très intenses et d’aggravation très rapide d’un cycle à l’autre doivent faire rechercher recherche une malformation utéro-vaginale (comme un utérus pseudo-unicorne, un hémi-utérus, une cloison vaginale ou une atrésie vaginale partielle) éventuellement associée à une anomalie rénale, avec la réalisation d’une échographie pelvienne et rénale. Le cas échéant, l’adolescente est adressée vers un centre de référence gynécologique.
En cas de récidive de douleurs pelviennes cycliques intenses et en augmentation, sans survenue des menstruations, il faut évoquer un hématocolpos lequel relève des urgences gynécologiques.
> L’endométriose
Une possibilité diagnostique à laquelle les jeunes filles et leurs mères pensent de plus en plus souvent et consultent pour cette raison est l’endométriose (4), dont le risque est multiplié par 5 lorsqu'elle est présente chez les ascendantes. La prévalence, variable selon les populations étudiées, se situe autour de 5 % parmi les adolescentes en population générale ; elle est estimée à 50 % parmi celles qui se plaignent de dysménorrhées sévères (2).
Certains signes peuvent orienter vers une endométriose (voir tableau ci-dessous).
La recherche de foyers d’endométriose superficielle, notamment de localisation ovarienne (endométriome), doit être entreprise par échographie pelvienne sus-pubienne ou, lorsque l’adolescente a déjà eu des rapports sexuels, par échographie intravaginale.
Si la douleur persiste, associée à une symptomatologie urinaire ou digestive, même lorsque l’échographie est normale, il se peut qu'il s'agisse d'une endométriose profonde. Dans ce cas, il est recommandé de consulter un gynécologue spécialisé et de réaliser une IRM pelvienne dans un centre de référence. Attention, une imagerie normale n’élimine pas la possibilité d'une endométriose, surtout à l’adolescence.
Sur le plan thérapeutique, lorsque la présomption clinique est forte, avec ou sans confirmation diagnostique, un COP de 2e génération en première intention en prise continue a pour objectif d’obtenir une aménorrhée thérapeutique. En cas de contre-indication aux COP, les microprogestatifs (per os ou implant sous-cutané) peuvent être proposés mais l’obtention de l’aménorrhée est plus variable (30 à 40 % des utilisatrices).
Une précision : les analogues de la GnRH sont contre-indiqués chez les adolescentes de moins de 16 ans dans cette indication (moins de 18 ans selon l’AMM) (2). Prescrits en centre de référence, leur durée de traitement est de 12 mois en association avec une add-back thérapie par œstrogènes afin de prévenir la baisse de densité minérale osseuse.
Il est primordial de ne pas dramatiser le diagnostic de l'endométriose chez les adolescentes. L'expérience montre que certaines femmes peuvent être très impactées à une période de leur vie, mais que cela peut s'améliorer ou régresser avec le temps. Il est essentiel de prendre en compte ces éléments dans le suivi et le traitement des adolescentes atteintes d'endométriose, pour éviter des inquiétudes inutiles et des traitements excessifs.
Les dysménorrhées réfractaires doivent être évaluées en unité douleur, voire en consultation de médecine de l’adolescent. Chez ces patientes qui ont des douleurs depuis de nombreuses années, la sensibilisation nociceptive entretient la douleur.
LES THÉRAPIES NON MÉDICAMENTEUSES
L’approche globale, bio-psycho-sociale (5) et les thérapies complémentaires non médicamenteuses sont importantes dans la prise en charge des adolescentes et jeunes femmes en échec de traitement, souffrant de douleurs chroniques.
Les approches psychocorporelles (relaxation, yoga) permettent de mieux contrôler le niveau de la douleur et de gérer la crise d’angoisse anticipatrice à l’approche de la douleur. Le traitement par neuromodulation transcutanée (TENS au moyen d’appareils portatifs) peut soulager principalement en cas de formes légères ou modérées en complément ou non de la pharmacothérapie (1).
L’ostéopathie viscérale, en agissant sur les fascias, externes et pelviens, est un moyen supplémentaire qui peut être conseillé. Quant à la technique de l’EMDR (pour Eye Movement Desensitization and Reprocessing), psychothérapie par mouvements oculaires qui cible les mémoires traumatiques des individus, son efficacité dans les chocs post-traumatiques comme les abus sexuels est démontrée. Enfin, l’activité physique est non seulement non contre-indiquée mais bénéfique.
À RETENIR
- Chez l’adolescente, la très grande majorité des dysménorrhées sont fonctionnelles (ou primaires).
- Face à une patiente souffrant de dysménorrhées, l’interrogatoire est essentiel afin d'exclure les diagnostics différentiels et d'en préciser le caractère primaire ou secondaire.
- L’examen gynécologique n’est pas obligatoire, surtout si la jeune femme n'a pas encore débuté sa vie sexuelle.
- La prescription d’une échographie pelvienne d’emblée n’est pas recommandée. Elle peut être proposée s’il existe une forte suspicion de pathologie organique à l’interrogatoire, une résistance au traitement médical ou une aggravation des symptômes.
- Une imagerie normale n’élimine pas la possibilité d'une endométriose, surtout à l’adolescence.
- En cas de dysménorrhées essentielles, il faut rassurer la patiente sur l'absence de gravité et les possibilités de traitement.
- Les AINS se placent en 1re intention dans les dysménorrhées primaires, sauf si l'adolescente est prête pour une contraception hormonale.
- L’endométriose, certaines malformations utéro-vaginales et l’hématocolpos constituent les principales étiologies des dysménorrhées secondaires chez l’adolescente.
Hélène Joubert, rédactrice, avec le Dr Geoffroy Robin, gynécologue médical, maître de conférences des universités - praticien hospitalier au CHU de Lille, et secrétaire général du CNGOF (Collège national des gynécologues et obstétriciens français) et d'après la session PAP Dysménorrhées de l'adolescente ; congrès SFP 2023.
Bibliographie :
1. Hadjou OK, Jouannin A, Lavoue V, Leveque J, Esvan M, Bidet M. Prevalence of dysmenorrhea in adolescents in France: Results of a large crosssectional study. J Gynecol Obstet Hum Reprod 2022;51(3):102302.
2. V. Belien-Pallet. PAP 2023 Dysménorrhées de l'adolescente. Congrès de la Société française de pédiatrie. Mai 2023
3. V. Vautier. Saignements abondants d’origine utérine chez l’adolescente. 2588‐932X / © 2022 Société Française de Pédiatrie (SFP).
4. HAS. Recommandations de bonne pratique. Prise en charge de l’endométriose. 2017.
5. Gagnon MM, Moussaoui D, Gordon JL, Alberts NM, Grover SR. Dysmenorrhea across the lifespan: a biopsychosocial perspective to understanding the dysmenorrhea trajectory and association with comorbid pain experiences. Pain 2022;163(11):2069-75.
Liens d’intérêt : les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts relatif au contenu de cet article.
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