Il existe 2 grands types de carcinomes cutanés: le carcinome épidermoïde cutané (CEC) (anciennement spinocellulaire) et le carcinome basocellulaire (CBC). Prédisposant au CEC, certaines lésions cutanées sont considérées comme précancéreuses.
Leur mortalité directe est très faible - le risque de métastase est pratiquement inexistant pour les carcinomes basocellulaires et peu fréquent pour les épidermoïdes - mais leur prévalence très élevée et qui va continuer à augmenter constitue un réel problème de santé publique. Non pris en charge suffisamment tôt, ils peuvent être responsables d’une morbidité fonctionnelle importante. Ils sont en effet localement délabrant et affectent ainsi les structures nobles (vasculaires, nerveuses) de proximité.
Le facteur carcinogène majeur de la peau est le soleil mais dépend du phénotype lié à la pigmentation cutanée de la personne, ce qui est déterminé génétiquement.
Les cancers de la peau non mélaniques touchent surtout la population âgée. Le Dr Stéphane Dalle souligne « l’âge à lui seul ne contre-indique absolument pas un traitement carcinologique. Ce n’est pas parce qu’un patient est âgé, en maison médicalisé, qu’il faut négliger de dépister et soigner précocement une tumeur cutanée. Une lésion cutanée dépistée et traitée précocement à toutes les chances d’être en rémission prolongée moyennant un traitement chirurgical simple sous anesthésie locale, alors que le traitement devenu inéluctable d’une lésion pour laquelle la prise en charge a été retardée est bien plus difficile et mutilant. »
L'examen de la peau à la recherche de carcinomes cutanés ou de précurseurs possibles est simple lors d'une consultation médicale. Le diagnostic ne l’est pas forcement aussi devant toute lésion suspecte ou atypique, le patient doit être adressé au dermatologue, le délai de prise en charge pour un CEC notamment représente un facteur pronostique.
PRECURSEURS DE CEC : LES KERATOSES ACTINIQUES, LA MALADIE DE BOWEN
Les carcinomes épidermoïdes cutanés (CEC) se développent souvent sur des dermatoses préexistantes ayant tendance à dégénérer : les kératoses actiniques et moins souvent la maladie de Bowen.
Les kératoses actiniques
La kératose actinique (KA) est la lésion précarcinomateuse la plus fréquente (fig 1). Les KA, le plus souvent localisées sur les zones photo exposées, débutent par des plages jaunes ou brunes, planes ou légèrement surélevées puis se recouvrent d'un enduit kératosique gris ou brunâtre rugueux, sec très adhérent. De taille variable, elles sont souvent multiples.
Les KA peuvent être difficiles à distinguer des kératoses séborrhéiques.
-› Leur évolution peut suivre trois modalités : disparition spontanée, persistance ou progression vers un CEC. Le taux d'évolution vers un carcinome invasif reste faible : 10 à 20 % des KA se transforment en CEC en 10 à 25 ans (1,6).
-› Si traiter systématiquement toutes les KA n'a pas actuellement démontré de bénéfice en termes d'espérance ou de qualité de vie, adresser systématiquement pour avis toute suspicion de kératose actinique s’impose.
-› Un traitement de ces lésions sera proposé au patient : "l’azote liquide - la cryothérapie - est le traitement le plus répandu, il est efficace et peu onéreux, c’est bien souvent le choix de première intention. La crème 5-FU (Efudix*), l’imiquimod (Aldara*), ont un bon rapport coût/efficacité/tolérance (5) mais elles nécessitent une bonne compréhension et une acceptation du patient pour éviter le risque d'arrêt du fait des réactions irritatives", indique le Dr Dalle. Peuvent aussi être proposés : une exérèse chirurgicale, le laser, la crème diclofenac (moins efficace), la photothérapie dynamique (PTD) plus onéreuse.
La maladie de Bowen
La maladie de Bowen (BW) est une forme in situ de CEC, sans potentiel métastatique qui touche surtout les femmes dans leur septième décennie. Elle se caractérise habituellement par une lésion unique arrondie à contours nets polycycliques siégeant préférentiellement dans les zones découvertes (fig 2). L'exérèse chirurgicale est le traitement de choix mais sont aussi possibles, sous condition d'une biopsie préalable, une cryothérapie, une chimiothérapie (5-FU, imiquimod) ou plus récemment la photothérapie dynamique sur les lésions étendues ou multiples (4).
LES CARCINOMES EPIDERMOIDES CUTANES
Contrairement au carcinome basocellulaire, le CEC, tumeur épithéliale à différenciation malphigienne prédominante, survient le plus souvent sur un état précancéreux ou une lésion ancienne préalable (cicatrice de brulure, radiodermite,…).
-› Son incidence est évaluée à environ 30/100 0000 dans la population générale, soit 20 à 30 % des cancers cutanés, avec un âge moyen au diagnostic de 75 ans. A la différence des CBC, les CEC peuvent métastaser si leur prise ne charge est retardée. Ce risque métastatique est évalué à 2,3 % à 5 ans et 5,2 % pour les CEC en peau photo-exposée, le risque de récidive locale est de 8 % à 5 ans (5).
Les principaux facteurs de risque du CEC sont la dose totale d'ultraviolets (UV) reçue au cours de la vie et le phototype clair ; certains cocarcinogènes sont aussi identifiés tels le le tabac pour le CEC de la lèvre inferieure, le papillomavirus pour les CEC unguéaux, génitaux ou anaux.
-› L’aspect du CEC est varié mais il se présente le plus souvent sous la forme d’une lésion indurée, ulcérée et/ou bourgeonnante. "Si son siège habituel est le visage, il peut se développer ailleurs y compris sur les muqueuses génitales et anales ou l’ongle. Attention, remarque le Dr Dalle, dans cette dernière topographie, le CEC est souvent considéré initialement à tort comme une verrue vulgaire unguéale ou péri-unguéale".
-› Le diagnostic du CEC est d’abord clinique (fig3). Une biopsie est réalisée en cas d’incertitude diagnostique ou pour confirmation histologique. Aucun examen complémentaire n’est nécessaire.
Une nouvelle classification établie par la HAS en 2009, se basant sur plusieurs critères (primitif ou récidive, diamètre, adhérence au plan profond, immunodépression, caractéristiques histologiques….), répartit les CEC en deux groupes : le groupe 1 à faible risque et le groupe 2 à haut risque (voir tableau).
-› L’exérèse chirurgicale représente le traitement de référence avec des marges latérales de sécurité de 4-6 mm pour le groupe 1, et supérieures à 6 mm pour le groupe 2. Ce dernier groupe justifie d’ailleurs une concertation pluridisciplinaire. Si la chirurgie est impossible ou en cas de refus du patient, une radiothérapie est proposée, la curiethérapie et la radio- chimiothérapie (5-FU, sels de platines) ne sont proposées qu’en cas d’échec ou de formes métastatiques.
-› La majorité des patients est guérie par le traitement chirurgical.
› La Société Française de Dermatologie et la HAS recommandent une éducation du patient à l’auto-examen et une surveillance clinique annuelle pendant 5 ans pour les patients du groupe 1, et pour le groupe 2 une surveillance clinique tous les 3 à 6 mois pendant 5 ans avec une échographie locorégionale de la zone de drainage tous les 6 mois pour les cas à très hauts risque. Environ 52 % des patients ayant eu un CEC auront un autre CEC dans les 5 ans (7).
LE CARCINOME BASO CELLULAIRE
Le carcinome basocellulaire est une tumeur épithéliale développée aux dépens du tissu épidermique, survenant le plus souvent de novo, sur une peau saine et jamais sur les muqueuses. Le CBC ne métastase qu’exceptionnellement mais a surtout un pouvoir d’invasion locale. L’âge moyen au diagnostic est de 70 ans.
- › Chez l’homme à phototype clair, le CBC est le plus fréquent de tous les cancers, il représente 15 à 20 % de tous les cancers diagnostiqués en France mais ils ne sont pas répertoriés dans la plupart des registres des cancers. Plus de 90 % des CBC surviennent chez des sujets à peau claire, les cheveux clairs et à un moindre degré des yeux clairs sont un facteur de risque de même que l’incapacité à bronzer (2). Les études épidémiologiques suggèrent que l’exposition solaire, en particulier les expositions solaires courtes mais intenses et répétées pendant les vacances ou les activités sportives, initie le processus de carcinogénèse qui se manifeste 40 ou 60 ans plus tard. L’immunosuppression est aussi reconnue comme un facteur de risque (3).
-› Le CBC survient essentiellement sur les zones photo exposées et en particulier le visage et le cou avec une prédilection sur ou à proximité du nez, sauf dans sa forme superficielle plus fréquente sur le tronc. Les lésions débutantes sont souvent peu caractéristiques et c’est leur persistance pendant plusieurs mois qui conduit au diagnostic.
-› Leur aspect est divers et on distingue plusieurs formes cliniques comprenant notamment :
= Le CBC nodulaire qui se rencontre le plus souvent sur la tête et le cou, sous forme d’une papule ou un nodule lisse (la perle initiale), translucide, grisâtre et télangiectasique. La lésion croît progressivement et atteint une taille variable avec une périphérie faite de succession de perles. Une ulcération centrale indolore conduisant à un aspect ombiliqué est possible (fig 4)
= Le CBC superficiel est localisé essentiellement sur le tronc ou sur les membres. C’est une plaque rouge plane, bien limitée, à extension très lentement centrifuge, parfois recouverte de petites squames ou de croûtes et pouvant être ulcérée. Il n’y a pas en règle générale de perle caractéristique visible. Survenant chez des sujets plus jeunes que le CBC nodulaire, il évolue lentement pouvant atteindre 5 à 10 cm de diamètre (fig 4 bis).
= Le CBC sclérodermiforme, rare et de diagnostic difficile, forme une zone pseudocicatricielle spontanée, mal limitée, scléreuse. Son pronostic est plus défavorable car une chirurgie étendue au-delà des limites visibles de la lésion est habituellement nécessaire (2).
-› En 2004, l’ANAES a classé les CBC en trois groupes pronostiques en fonction du risque de récidive, du risque d’envahissement local en cas de récidive, de la difficulté de prise en charge en cas de récidive.
Le traitement est le plus souvent chirurgical avec des marges latérales de sécurité fonction du pronostic de la lésion : 3 à 4 mm pour les formes de bon pronostic ou de pronostic intermédiaire, 5 à 10 mm pour les formes de mauvais pronostic (forme clinique sclérodermiforme ou mal limitée, forme récidivante, CBC de plus d’un cm du nez ou péri-nasal ou de plus de 2 cm sur le tronc ou les membres, histologie agressive) (3). "L’imiquimod, la photothérapie dynamique constituent des alternatives thérapeutiques particulièrement intéressantes dans les CBC superficiels multiples",n précise le Dr Dalle
-› Un examen cutané régulier est recommandé du fait du risque de récidive, de l’augmentation du risque de nouveau CBC (33 à 70 p. 100 à 3 ans), et aussi de celle d’apparition de carcinome épidermoïde (1 à 20 p. 100 à 3 ans) et de mélanome (incidence multipliée par 2).
Une consultation au minimum une fois par an pendant au moins 5 ans et au mieux à vie est préconisée.
L’examen doit porter sur tout le tégument afin de diagnostiquer et traiter au plus tôt des lésions de petite taille, l’éducation du malade pour un auto examen cutané régulier est aussi recommandée.
LA PREVENTION EST ESSENTIELLE
L’impact des campagnes médiatiques sur la nécessité de la protection cutanée vis-à-vis du soleil est malheureusement de courte durée. Le médecin généraliste en expliquant et en réitérant les règles de la photoprotection (tableau 2) notamment chez les enfants a un impact important. Il est utile de rappeler à ses patients que le risque de cancer cutanés est lié à la quantité d'UV cumulée au cours de le vie et au nombre de brûlures solaires.
C’est aussi le médecin traitant qui est le premier à pouvoir identifier les sujets à risque (tableau 1) justifiant d’une surveillance régulière éventuellement soutenue de l’aide d’un dermatologue dans l’objectif d’un dépistage précoce des tumeur cutanées. Le Dr Dalle insiste « un examen cutané régulier de chaque patient dévêtu - au minimum annuel, en l’ intégrant à l’examen clinique général- est ainsi une étape indispensable afin d’initier cette démarche diagnostique. »
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