L’ÉTUDE
Le dépistage systématique sauve-t-il des vies ? Revue systématique des méta-analyses et des essais randomisés.
Does screening for disease save lives in asymptomatic adults? Systematic review of meta-analysis and randomized trials.
Saquib N, Saquib J, Ioannidis JPA. International Journal of Epidemiology 2015;1-14. doi: 10.1 093/ije/dyu140.
CONTEXTE
Par définition, le dépistage systématique (de masse) cible des populations de sujets asymptomatiques sélectionnées sur leur genre et/ou leur tranche d’âge et/ou des marqueurs de risque. L’objectif principal ultime d’un dépistage de masse n’est pas de détecter des maladies à un stade précoce (infraclinique), mais, in fine, de réduire la mortalité spécifique de ces pathologies, ou mieux encore la mortalité totale.
OBJECTIF
Évaluer l’impact de 39 interventions de dépistage sur la réduction de la mortalité spécifique et totale de 19 pathologies potentiellement mortelles.
MÉTHODE
Revue systématique des méta-analyses et des essais randomisés ayant évalué l’efficacité d’une intervention de dépistage avec comme critère de jugement principal la mortalité spécifique et/ou totale. La recherche bibliographique a été limitée aux cancers, aux maladies cardiovasculaires, au diabète de type 2 et à la BPCO. Les auteurs ont compilé une liste d’interventions de dépistage et regardé celles répertoriées par la United States Preventive Services Task Force (USPFTS) et disposant d’essais à haut niveau de preuve en termes de réduction de la mortalité. Pour cela, ils ont scruté la base documentaire de l’USPFTS, celles de la Cochrane Collaboration et de PubMed avec les mots clés « screening » et « mortality ». Les données ont été extraites et traitées par les 2 premiers auteurs et les dissensions ont été arbitrées par le troisième.
RÉSULTATS
› Les auteurs ont sélectionné 9 méta-analyses et 48 essais randomisés pour 39 interventions de dépistage concernant 19 pathologies.
• L’échographie abdominale chez les hommes à la recherche d’un anévrysme de l’aorte abdominale a démontré une forte réduction de la mortalité spécifique : odds-ratio (OR) = 0,55 ; IC95 % = 0,35-0,86.
• La mammographie a démontré une réduction de la mortalité spécifique dans la moins bonne des 2 méta-analyses publiées (1) : OR = 0,75 ; IC95 % = 0,67-0,83.
• L’Hémoccult et la sigmoïdoscopie flexible ont démontré une réduction de la mortalité spécifique du cancer colorectal : OR = 0,84 ; IC95 % = 0,78-0,90 et OR = 0,71 ; IC95 % = 0,61-0,81 respectivement.
Cependant, aucune de ces 4 interventions n’a démontré une réduction de la mortalité totale.
• Enfin, la méta-analyse sur l’efficacité du PSA dans le dépistage du cancer de la prostate n’a démontré ni réduction de la mortalité spécifique : OR = 1,00 ; IC95 % = 0,86-1,17, ni réduction de la mortalité totale : OR = 1,00 ; IC95 % = 0,96-1,03.
Au total, parmi les 10 interventions de dépistage ayant bénéficié d’une méta-analyse, seulement 4 ont démontré qu’elles réduisaient la mortalité spécifique, et aucune la mortalité totale.
› Côté essais randomisés :
• Les essais comparatifs sur les 4 interventions de dépistage efficaces ci-dessus ayant bénéficié d’une méta-analyse allaient logiquement (presque tous) dans le même sens.
• Un essai indien a démontré l’efficacité de l’inspection visuelle du col utérin pour réduire la mortalité spécifique du cancer de cet organe (2) : OR = 0,65 ; IC95 % = 0,49-0,89, et la mortalité totale : OR = 0,87 ; IC95 % = 0,78-0,96.
• Un essai chinois (3) chez des patients infectés par le virus de l’hépatite B ou atteints d’hépatite chronique a démontré l’efficacité de l’écographie hépatique couplée au dosage de l’alphafœtoprotéine pour réduire la mortalité spécifique du cancer du foie : OR = 0,63 ; IC95 % = 0,41-0,98.
• Un autre essai indien (4) a démontré l’efficacité de l’inspection visuelle de l’oropharynx sur la réduction de la mortalité spécifique de ce cancer chez les hommes à haut risque (alcool + tabac) : OR = 0,76 ; IC95 % = 0,60-0,97.
• Enfin, à l’exception de l’essai indien (2), aucun essai comparatif non inclus dans une méta-analyse n’a démontré une réduction de la mortalité totale.
COMMENTAIRES
Dans l’esprit du grand public et dans celui de nombreux professionnels de santé, le dépistage a une bonne réputation sous-tendue par l’idée « logique » que plus une maladie est découverte tôt, moins elle a de chances de provoquer le décès de personnes en bonne santé apparente. Cette revue montre bien que ce bon sens ne résiste pas à l’évaluation scientifique des interventions de dépistage sur des critères vitaux pour les patients. Le plus fameux démenti à cette « bonne réputation » est le dosage du PSA. Le dépistage de masse permet d’identifier précocement des tumeurs prostatiques sans augmenter la durée de survie des patients dépistés. Autrement dit, les patients informés plus tôt de leur « maladie » ont le loisir d’en profiter plus longtemps.
Cette revue narrative de la littérature est intéressante dans la mesure où elle tempère la conviction que le dépistage est toujours une bonne action pour la santé. Cependant, elle a un gros défaut : celui de ne pas mettre en perspective le bénéfice clinique avec les « dégâts collatéraux » du dépistage : sur diagnostics d’anomalies cellulaires qui n’évolueront jamais vers un cancer, charge anxieuse, risques et coûts et des explorations invasives ou traitements inutiles en cas de faux positifs, réassurance fictive en cas de faux négatifs (5).
En pratique, les dépistages organisés recommandés par les autorités sanitaires sont en général argumentés par des données scientifiques solides. Il est donc logique d’inviter les patients à y participer, car le bénéfice populationnel attendu est supérieur aux dégâts collatéraux. Le dépistage individuel doit reposer sur une histoire familiale ou personnelle à haut risque de pathologie mortelle. Enfin, pour le moment, le bénéfice du dépistage du cancer de l’ovaire par le CA-125, et le rapport bénéfice/risque de celui du cancer bronchique par le scanner à basse résolution chez les gros fumeurs (6) ne sont pas suffisamment bien établis pour en faire un dépistage de masse.
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