Le cancer anal touche surtout les femmes et deux tiers des patients ont plus de 65 ans. Son incidence augmente également chez les hommes, plus jeunes, vivant avec le VIH et ayant des rapports sexuels avec des hommes (HSH). Il s’agit le plus souvent d’un carcinome épidermoïde (CE) [figure 1]. Il est secondaire à une infection persistante par un ou plusieurs HPV oncogènes, principalement les génotypes 16 et 18. Les principaux facteurs de risque sont : l’immunosuppression, le tabac, les rapports anaux et les antécédents de lésions précancéreuses ou de cancers HPV-induits gynécologiques et ORL (2). Le CE invasif résulte de l’évolution, souvent lente et non univoque, de lésions précancéreuses, les néoplasies intra-épithéliales de haut grade (ou HSIL pour High grade Squamous Intraepithelial Lesion). Sa prévention est un enjeu majeur de santé publique. Elle repose sur la vaccination contre les HPV, le dépistage et la prise en charge des lésions précancéreuses.
Une vaccination efficace
Largement documentée, l’efficacité de la vaccination est d’autant plus élevée qu’elle est réalisée avant l’âge des premiers rapports sexuels. Elle dépend également du site considéré (gynécologique, anal, ORL), du type de HPV, de l’âge, de l’existence ou non d’une infection antérieure par les HPV… Globalement, la vaccination diminue jusqu’à environ 90 % le risque d’infection et de lésions induites (condylomes et lésions précancéreuses) par les HPV de type 16 et 18 chez les patients « naïfs » d’infection (3, 4). Chez les femmes et les hommes, le vaccin nonavalent (Gardasil 9) est recommandé entre 11 et 14 ans, avec un rattrapage possible jusqu’à 19 ans (26 ans chez les HSH), ainsi qu’à partir de 9 ans chez les patients candidats à une transplantation d’organe solide.
Dépister les groupes à risque
L’objectif du dépistage est de diagnostiquer les lésions HSIL afin de les traiter et d’éviter la survenue d’un CE invasif. Il cible les groupes à haut risque, particulièrement les HSH vivant avec le VIH et les femmes ayant des antécédents gynécologiques de lésions précancéreuses ou de cancer HPV-induit. À ce jour, il n’est pas prouvé que le dépistage diminue l’incidence du CE de l’anus. En revanche, les CE diagnostiqués au cours du dépistage le sont probablement à un stade plus précoce. Cependant, les modalités du dépistage ne font pas l’objet de consensus. L’examen proctologique permet le diagnostic de CE, mais sa sensibilité pour la détection des lésions précancéreuses est inférieure à 50 % (5). Il n’en est pas moins indispensable pour tout patient présentant des symptômes proctologiques. Le frottis anal et la recherche de HPV à haut risque par PCR ont une sensibilité supérieure à 80 % mais une spécificité limitée, d’environ 40 % (6). L’anuscopie haute résolution (AHR) a révolutionné le dépistage des lésions HSIL. Elle consiste à examiner l’anus à fort grossissement en s’aidant de colorants vitaux (acide acétique et lugol). Examen diagnostic de référence, elle est indiquée en cas d’anomalies au frottis et pour le suivi des patients ayant un antécédent d’HSIL. Elle permet également le traitement ciblé des lésions, dans le même temps d’examen. Sa faible diffusion limite cependant son accessibilité.
Quelle stratégie thérapeutique ?
Le traitement du CE invasif repose sur la radiothérapie (RT) pour les formes localisées (T1) et sur l’association d’une RT et d’une chimiothérapie (RCT), à base de mitomycine C et 5-fluorouracile, pour les formes plus avancées non métastatiques avec ou sans adénopathies (T2-T4 ; N0/N+ ; M0) [7]. L’amputation abdominopérinéale est réservée aux situations de non-réponse, de poursuite évolutive et de rechute locale après RCT. La RT a bénéficié de progrès majeurs. L’imagerie, IRM pelvienne et tomographie par émission de positons (TEP-scan), permet une meilleure définition des cibles à irradier. La RT conformationnelle, avec modulation d’intensité, permet de mieux cibler le volume à traiter et d’épargner les tissus sains alentours. Néanmoins, la morbidité de la RCT n’est pas négligeable et pousse à rechercher des stratégies de désescalade pour les CE à un stade précoce, sans atteinte ganglionnaire. Ainsi, la RT exclusive est discutée pour les tumeurs T2 < 4 cm. Quant à l’exérèse chirurgicale locale, elle pourrait représenter une alternative à la RT pour les CE T1 < 1 cm. Les données les plus récentes de la littérature rapportent en effet une survie à moyen terme supérieure à 80 %, avec un risque de complication faible. Enfin, pour les formes métastatiques, les anti-EGFR (Epidermal Growth Factor Receptor) et les immunothérapies inhibitrices de points de contrôle immunitaire représentent des voies de recherche prometteuses.
Service de proctologie médico-chirurgicale, Groupe hospitalier Paris Saint-Joseph
(1) Smittenaar CR et al. Br J Cancer 2016;115:1147-55.
(2) Clifford GM et al. Int J Cancer 2021;148:38-47.
(3) Harder T et al. BMC Med 2018;16:110.
(4) Drolet M et al. Lancet 2019;394:497-509.
(5) Pernot S et al. Br J Cancer 2018;119:381-6.
(6) Gonçalves JCN et al. Dis Colon Rectum 2019;62:112-20.
(7) Giraud N et al. Colon et Rectum 2020;14:118-26.