Avec la mobilisation actuelle autour de l’endométriose et les promesses de nouveaux outils de repérage, le nombre de diagnostics risque de fortement augmenter. Avec quelles solutions pour les femmes concernées ? En marge du traitement hormonal et de la chirurgie, plusieurs approches non pharmacologiques sont de plus en plus évoquées malgré un faible niveau de preuve.
Longtemps délaissée, l’endométriose est désormais au centre de toutes les attentions, tant politiques que scientifiques, avec un mot d’ordre : réduire l’errance diagnostique des patientes. Alors qu’Olivier Véran a présidé le 14 février le premier comité de pilotage de la Stratégie nationale de lutte contre l’endométriose, plusieurs annonces récentes laissent espérer des progrès dans ce sens. Avec, notamment, l’espoir de pouvoir disposer d’un test salivaire à même de « poser le diagnostic en quelques jours », promet le fabricant.
Si cette révolution annoncée reste à valider, le large écho qui en a été fait et, plus généralement, la sensibilisation actuelle autour de la maladie devraient doper les consultations pour ce motif et faire exploser le nombre de diagnostics. Ce qui remet sur le devant de la scène la question des options thérapeutiques disponibles.
Un traitement de plus en plus multimodal
Comme le soulignent les recommandations de la Haute Autorité de santé (HAS) de 2017, il est préconisé de prendre en charge l’endométriose « lorsqu’elle a un retentissement fonctionnel (douleur, infertilité) ou qu’elle entraîne une altération du fonctionnement d’un organe ».
Pour les patientes symptomatiques, si le traitement hormonal et la chirurgie restent les deux piliers du traitement, « on essaye de plus en plus de proposer une prise en charge graduée qui soit la plus multimodale possible », indique le Pr Pierre Collinet, secrétaire général du Collège national des gynécologues et obstétriciens de France (CNGOF) pour la gynécologie chirurgicale.
Œstroprogestatifs ou progestatifs ?
Concernant le traitement hormonal, au vu de la littérature, la contraception par œstroprogestatifs combinés s’impose en première intention, même si « ce n’est pas forcément ce qui se faisait le plus en pratique », reconnaît le Pr Collinet. En France, les œstrogènes ont en effet longtemps été suspectés de favoriser la progression de l’endométriose. D’où « une grande habitude française de traiter l’endométriose avec des progestatifs ».
D’ailleurs, le DIU au lévonorgestrel peut aussi être utilisé en première ligne. En revanche, les molécules type Lutényl, Lutéran, Surgestone « ont été un peu abandonnés, à la fois car la littérature à leur sujet manque clairement de niveau de preuve mais aussi du fait du risque potentiel de méningiome », explique le Pr Collinet. Dans ce contexte, le diénogest, progestatif aux propriétés anti-inflammatoires recommandé officiellement en deuxième intention, « est de plus en plus utilisé d’emblée, à la fois pour son innocuité par rapport au risque cardiovasculaire, et probablement au risque de méningiome, mais surtout pour son efficacité importante dans l’endométriose », poursuit le gynécologue.
Les agonistes de la GnRH (en association à une add-back thérapie par œstrogènes et progestatifs) sont les traitements médicaux de derniers recours tandis que les anti-aromatases, les SERM, les SPRM et les anti-TNF-α ne sont pas recommandés.
Antalgie : attention à la composante neurologique
Sur le plan des antalgiques, « en cas de crise aiguë, on va plutôt utiliser en première intention des antalgiques de palier 1 comme le paracétamol et des AINS mais de manière ponctuelle, détaille le Dr Léa Delbos, gynécologue obstétricienne au CHU d’Angers, avant d’envisager si besoin des paliers 2. On évitera la morphine chez ces patientes car les douleurs d’endométriose n’y répondent pas très bien et parce qu’il y a un risque de dépendance. »
Une douleur réfractaire doit bénéficier d’une évaluation spécifique à la recherche d’une hypersensibilisation ou d’une douleur neuropathique, pouvant bénéficier d’un traitement par antidépresseurs à visée antalgique ou par anti-épileptique. L’endométriose ayant un fort tropisme neurologique, avec des lésions pouvant se situer sur les plexus nerveux, « il peut en effet y avoir une composante neuropathique importante », souligne le Pr Collinet. Des paresthésies ou le fait de ne pas supporter le chaud ou le froid au niveau d’un territoire nerveux ou en regard de cicatrices chirurgicales peuvent être évocateurs. Le questionnaire DN4, dédié aux douleurs neuropathiques, permet de conforter le diagnostic. Des syndromes d’hypersensibilisation (diffusion spatiale et temporelle de la douleur avec une modification du seuil douloureux) peuvent aussi être observés, « souvent chez des patientes qui présentent un cortège de symptômes assez diffus (maux de tête, douleurs abdominales éventuellement associées à de la fibromyalgie, TFI, etc.) », précise le Dr Delbos.
Des mesures non pharmacologiques sous-employées ?
À côté des traitements pharmacologiques, « il y a sans doute beaucoup d’alternatives non médicamenteuses sous-employées car elles ne sont pas bien étudiées dans la littérature mais aussi parce qu’elles sont mal prises en charge », regrette le Pr Collinet. Sophrologie, acupuncture, yoga, hypnose, etc., « il y a probablement des choses à mettre en place, en particulier pour les personnes en échec de traitement qui gardent une symptomatologie douloureuse », estime le spécialiste.
Pour sa part, le Dr Delbos « conseille grandement à (ses) patientes d’essayer ». Car, si de nombreuses femmes sont nettement améliorées sous traitement médicamenteux, les molécules disponibles ne sont pas suffisantes pour les soulager toutes. « Certaines vont alors entrer dans un cercle vicieux de douleur chronique : les douleurs initiales vont engendrer des contractions réflexes musculaires abdominales et pelviennes qui vont à leur tour entraîner des douleurs dorsales, etc. C’est pour ça qu’il faut s’y attaquer par plusieurs moyens et de façon pluri-professionnelle. »
Selon les recos 2017 de la HAS, « les prises en charge non médicamenteuses qui ont montré une amélioration de la qualité de vie et qui peuvent être proposées en complément de la prise en charge médicale de l’endométriose sont l’acupuncture, l’ostéopathie et le yoga ».
Certaines femmes vont entrer dans le cercle vicieux de douleur chronique - Dr Léa Delbos gynécologue obstétricienne
Concernant l’intérêt de l’activité physique dans l’endométriose, une méta-analyse publiée en octobre dans la revue BMC Women’s Health conclut à l’impossibilité de trancher « en raison des limites importantes des études incluses ». Les auteurs suggèrent toutefois que l’exercice et l’activité physique pourraient aider à améliorer la qualité de vie, « ce que l’on observe aussi en pratique », appuie le Dr Delbos. « Je recommande donc aux patientes d’avoir une activité physique régulière, poursuit la praticienne, en évitant les activités induisant des microtraumatismes abdominaux (type course, sports de combat, sports de ballon collectifs) et en privilégiant plutôt la natation, qui améliore grandement les douleurs abdominales, le vélo, le yoga, la relaxation. » La libération d’endorphines pourrait expliquer le bénéfice potentiel du sport mais cette hypothèse n’a pas été prouvée scientifiquement.
Pas de régime miracle, mais…
L’alimentation pourrait aussi constituer un levier complémentaire ; même si, là encore, les preuves formelles manquent. En 2017, la HAS considérait d’ailleurs que les données disponibles étaient « insuffisantes pour recommander des régimes alimentaires ou des suppléments vitaminiques en cas d’endométriose douloureuse ». Régimes sans gluten, méditerranéen, ou encore sans lactose, aucun n’a démontré sa capacité à induire une diminution franche des lésions d’endométriose.
Cependant, « on est frappé de voir qu'un bon nombre de patientes sont quand même améliorées par certaines pratiques » reconnaît le Pr Collinet. « On peut effectivement observer une diminution des symptômes et une amélioration de la qualité de vie, renchérit le Dr Delbos, tout en sachant que c’est vraiment du cas par cas et qu’il n’y a pas un régime spécifique à recommander pour toutes les patientes. » L’impact de l’alimentation pourrait s’expliquer par le caractère anti-inflammatoire de certains régimes.
On est frappé de voir qu'un certain nombre de patientes sont améliorées par un régime anti-inflammatoire - Pr Pierre Collinet CNGOF
Parmi les autres alternatives aux médicaments, « on utilise aussi de plus en plus la neurostimulation transcutanée (TENS), qui a déjà montré son intérêt dans les dysménorrhées primaires » et est en train d’être validée dans l’endométriose, indique le Dr Delbos.
Ne pas diaboliser la chirurgie
Pour autant, « la chirurgie doit vraiment rester partie prenante dans l’arsenal thérapeutique de l’endométriose, défend le Pr Collinet. Et s’il faut être très vigilant sur les indications opératoires, lorsque l’on a une cartographie complète des lésions et qu’on peut envisager leur exérèse totale, il y a clairement une place pour la chirurgie, avec une efficacité vraiment prouvée sur la douleur et un impact potentiellement positif sur la fertilité. » La chirurgie a longtemps eu mauvaise presse du fait de son caractère invasif et par crainte des récidives. « Mais aujourd’hui, la cœlioscopie est la règle, avec de plus en plus d’interventions réalisées en ambulatoire et des taux de récidives très faibles. »