Les médecins des zones dites « fragiles » sont souvent tentés de verser dans le pessimisme le plus noir, certains qu’ils sont de se retrouver bientôt seuls, sans successeur, à la limite du burnout. Pourtant, certains territoires parviennent à attirer les praticiens. Leur secret ? Pas de recette miracle, bien sûr, mais beaucoup d’huile de coude !
« S’il vous plaît, arrêtez de parler de "désert médical" ! » Cette supplique n’est pas celle d’un médecin rural craignant qu’un tel vocabulaire fasse fuir d’éventuels successeurs, mais celle de Guillaume Chevillard, géographe à l’Institut de recherche et de documentation en économie de la santé (IRDES). « C’est une expression qui laisse penser qu’il n’y a plus personne sur ces territoires, alors qu’en réalité, il existe une grande diversité de situations », détaille le chercheur. Et de fait, s’il existe des zones où les médecins sont presque aussi rares que les saules pleureurs en plein Sahara, il en est d’autres où il est encore possible de les attirer… et les idées ne manquent pas pour y parvenir.
Car s’il existe un problème pour lequel le monde de la santé a su faire preuve de créativité au cours des quinze dernières années, c’est bien celui des déserts médicaux (ou plutôt des « inégalités territoriales en matière de démographie médicale »). Aides diverses à l’installation, recours aux professionnels étrangers, création de maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP), embauche de praticiens salariés, télémédecine, partenariats avec l’hôpital, développement des terrains de stage en zone fragile, sans parler des tentatives de restriction à la liberté d’installation… Le nombre de mesures envisagées semble croître à mesure que celui des médecins décroît. Et toutes ne sont pas d’une égale efficacité.
« Ce qui ne marche pas, c’est ce qui est imposé par l’administration centrale, comme par exemple les aides à l’installation », estime notamment le Pr Emmanuel Vigneron, géographe et spécialiste de l’aménagement sanitaire à l’université Montpellier 3. Un avis partagé par Julien Mousquès, collègue de Guillaume Chevillard à l’Irdes. « Pour que les mesures financières aient un effet, il faudrait qu’elles aillent au-delà du seuil de revenu auquel les professionnels peuvent s’attendre », explique cet économiste. « Cela a pu marcher pour certaines professions, mais concernant les médecins, il faudrait dépenser des sommes colossales. »
Les MSP, ça marche !
Voilà les incitations financières habillées pour l’hiver. « Il y a en revanche des résultats intéressants pour toutes les mesures concernant les conditions d’exercice des médecins », ajoute Julien Mousquès qui cite notamment le développement des MSP. Et l’économiste ne parle pas en l’air. Dans une étude à paraître en février, il a, avec Guillaume Chevillard et d’autres collègues de l’Irdes, comparé l’évolution de la densité de généralistes dans différents types de territoires depuis 2004, en fonction de la présence ou non d’une MSP. « Nous montrons que les MSP ont un effet positif et significatif dans les espaces périurbains », annonce Guillaume Chevillard. « Il y a une amélioration de l’offre dans les espaces avec MSP, tandis qu’elle continue de décroître dans ceux qui n’en ont pas. Et dans les marges rurales, la densité baisse moins quand il y a une MSP. »
N’en déplaise à ceux qui critiquent le « tout-MSP », il s’agit d’une solution qui semble permettre d’attirer les médecins là où l’exercice isolé les fait fuir. Mais ce n’est pas une panacée pour autant. « Il faut aussi des élus qui mouillent la chemise, qui ne relâchent pas leurs efforts une fois que la MSP est inaugurée », prévient Emmanuel Vigneron. D’autant plus, ajoute-t-il, qu’une fois la MSP construite et les nouveaux médecins (jeunes, dans l’idéal) installés, le territoire peut perdre le statut de zone fragile, ce qui peut compliquer le recrutement de successeurs quand les fondateurs de la MSP partent à la retraite (voir p. 3).
Les centres de santé relèvent la tête
Bien sûr, l’exercice regroupé ne se limite pas aux MSP. Le développement du salariat, avec la création de centres de santé, semble donner de bons résultats sur le terrain. « Cela participe de la même recherche d’une amélioration des conditions d’exercice des médecins », explique Julien Mousquès. Le désormais célèbre centre de santé de Saône-et-Loire (voir p. 3), qui salarie des médecins et les fait travailler dans les coins du département qui manquent de blouses blanches, fait d’ailleurs des émules : des projets sont en train de sortir de terre en Corrèze, en Vendée, en Dordogne… et dans l’Orne, où l’inauguration d’un centre de santé départemental est prévue pour la fin du premier trimestre.
« Nous sommes en phase de recrutement », explique Arnaud Rousseau, chargé de mission à la présidence du conseil départemental. Une première implantation ouvrira à au Mêle-sur-Sarthe, à 25 kilomètres d’Alençon. Deux autres sont prévues « très rapidement », indique le Normand. « Il s’agit, selon nous, d’un moyen de répondre aux besoins d’accès aux soins des citoyens, mais aussi aux attentes des praticiens qui veulent, pour certains, un exercice différent de l’exercice libéral », explique-t-il. Ce moyen n’est pas gratuit, et le conseil départemental en est conscient. « On sait qu’il sera difficile d’atteindre l’équilibre financier, mais c’est un choix », affirme Arnaud Rousseau. « La santé a un coût, et nous l’assumons, bien que cela ne fasse pas partie des compétences du département. »
S’appuyer sur l’hôpital
En MSP ou en centre de santé, la clé du succès semble être de rompre l’isolement des médecins qui exercent dans les zones les moins dotées. Et c’est justement pourquoi, selon Emmanuel Vigneron, un autre facteur de réussite dans la lutte contre les déserts consiste à mieux impliquer l’hôpital. « Ce qui peut marcher, c’est quand un CHU anime un réseau d’hôpitaux de plus petite taille, qui ensemble assurent le contact avec la médecine de ville », explique le géographe. Mais la collaboration entre hôpitaux et médecine de ville ne va pas toujours de soi. Il suffit de se souvenir du tollé qu’avait suscité dans le monde libéral en 2017 la création de consultations avancées de médecine générale par des hôpitaux comme celui de Maubeuge (Nord).
Ce n’est cependant pas ce type de solutions qu’Emmanuel Vigneron souhaite promouvoir. Le géographe lui préfère un modèle où « chaque médecin libéral aurait sa blouse à l’hôpital, pouvant y faire chaque semaine une après-midi de consultation, par exemple, et profiter ainsi d’une relation privilégiée avec ses confrères hospitaliers. » Et de ce point de vue, les groupements hospitaliers de territoire (GHT) doivent, selon lui, être mis à contribution. « Il s’agit d’un outil majeur dont il faut se saisir, et c’est notamment ce qui est fait avec celui du Puy-de-Dôme et de l’Allier. » Mais, ajoute-t-il, encore faudrait-il que les GHT « soient confortés financièrement ». Le nerf de la guerre, encore et toujours.