Drôles d'histoires que ces tranches de vie, souvent hachées, parfois gâchées… Les confrères « sans thèse » que nous avons interrogés sont triplement victimes : la faute à pas de chance, à un parcours personnel compliqué et à la complexité d'un système kafkaïen auquel ils se sont presque tous heurtés. Récits de vie entre cauchemars et espoirs…
Une cinquantaine ? Beaucoup plus ? Difficile de savoir précisément aujourd’hui le nombre d’anciens résidents devenus, à leur corps défendant, les « privés de thèse ». Ces anciens étudiants en médecine se sont tous retrouvés piégés par la réforme du troisième cycle de 2004 qui a vu la création des ECN et le remplacement du résidanat par le DES de médecine générale. Cette nouvelle règle du jeu prévoyait, via un décret, que ces médecins qui avaient réalisé leur troisième cycle avant la réforme aient jusqu’en 2012 pour passer leur thèse, si ce n’était pas déjà fait.
Las ! Un manque d’information associé à des histoires de vie et des contextes particuliers ont empêché certains de le faire dans les délais et ils se retrouvent aujourd’hui sans titre et dans l’incapacité d’exercer le métier pour lequel ils se sont si longuement formés. Depuis, certains d’entre eux se sont battus auprès de toutes les instances et ministères sans succès, chacun se renvoyant la balle. Le Conseil d’État les a déboutés en 2015, le terme « résidents » a disparu de la loi en 2012 et tout le monde a bien été obligé de reconnaître le vide juridique sans pour autant agir en conséquence…
Jusqu’à décembre dernier où, dans le cadre de la loi Montagne, les étudiants soumis au régime du résidanat ont fait leur retour dans la législation. Une victoire pour ces médecins en devenir depuis trop longtemps, avec chacun des histoires et des situations différentes. Sans activité médicale depuis presque vingt ans, reconvertis dans des domaines à mille lieues de la médecine, thèsés pour certains mais tous non diplômés, exerçant sous un statut qui n’existe plus légalement… Leur sort pourrait enfin s’améliorer dans les mois à venir, mais les blessures sont encore à vif et les mots difficiles à libérer. Voir ainsi leur histoire couchée sur le papier a poussé certains à se rétracter et à retirer leur témoignage. Portraits de « privés de thèse »... Du moins ceux qui ont osé se livrer.
« J’ai soutenu ma thèse, mais on me refuse toujours mon diplôme »
Michèle P. fait partie de la dernière promo des résidents. à la fin de ses études, après deux premiers sujets de thèse abandonnés ou rejetés, elle décide finalement de se consacrer d’abord au remplacement pour mettre de l’argent de côté et pouvoir s’y atteler tranquillement ensuite. En novembre 2010, elle s’attaque donc à son sujet sur « les caractéristiques et troubles du sommeil des adolescents ». « J’ai eu en même temps des soucis familiaux, j’hébergeais mon jeune frère en souffrance, donc je n’ai pas avancé aussi vite que prévu. Malgré tout, j’ai mis deux ans pour faire ma thèse, un délai très raisonnable » En novembre 2012, la faculté de Créteil la prévient qu’il ne lui reste plus beaucoup de temps. Elle met les bouchées doubles, dépose son sujet, mais la cellule de thèse le rejette une première fois. En 2013, elle obtient donc une première dérogation mais, jusqu’en 2015, elle peine toujours à faire valider son travail par le directeur de médecine générale de sa faculté alors que son directeur de thèse estime que le travail est bon et fini.
Finalement, lorsqu’elle obtient l’aval du DMG de sa fac, la galère administrative commence. On lui dit que son statut de médecin résident n’existe plus ; elle finit par obtenir une dérogation pour soutenir sa thèse auprès du doyen et du président de son université, mais le jour même de la soutenance on lui dit qu’on ne lui donnera pas son diplôme. Michèle obtient la mention très honorable avec les félicitations du jury et une médaille d’argent, mais elle n’a jamais réussi depuis à obtenir son attestation et donc son diplôme. Une consœur dont elle devait prendre la place dans un cabinet de trois médecins a repoussé de trois ans sa retraite pour l’attendre ; pendant ce temps, Michèle continue à assister à des consultations et à se former pour ne pas perdre la main mais rien n’avance.
À 39 ans, la généraliste est toujours très affectée par une situation qui a remis en cause des projets de vie professionnels mais aussi familiaux. « Je suis très triste. Même si j’essaye d’avancer autrement, ça n’est pas évident. Quand j’allais au conseil de l’Ordre ou que j’essayais de parler à des personnes plus extérieures, ils ne comprenaient pas : “Mais tu es médecin, qu’est-ce qu’il se passe, qu’est-ce que ça cache”. Personnellement, j’ai été très entourée, mais certains ont vécu des rejets sociaux ou professionnels terribles ». Michèle regrette aussi que chez les nombreux professeurs, doyens, coordonnateurs de la fac, etc., auxquels elle a fait appel, il y ait eu peu d’écoute, d’empathie ou « quoique ce soit de confraternel »
« Je ne demande la tête de personne, je veux seulement savoir comment on a pu en arriver là ».
En 1990, M. Bouamama intègre la faculté de médecine de Toulouse jusqu’en 1999 où il part au CHU de Fort-de-France, en Martinique, pour son internat. Puis, rapidement, à la fin de ses études il décide d’exercer aussi en ville : « Dès le départ, j’ai pris l’option d’avoir un pied dans les deux : un tiers-temps à l’hôpital et du libéral ». À l’époque, sans date limite pour passer sa thèse et après le départ de deux de ses directeurs de thèse qui l’oblige à recommencer à chaque fois à zéro, il se concentre surtout sur son exercice. « Mais lorsqu’en 2012 je fais une demande de renouvellement de ma licence de remplacement, l’Ordre me fait part d’un problème administratif. J’ai appris qu’il fallait que je passe ma thèse. Je m’y suis tout de suite attelé. J’ai choisi un sujet local sur la drépanocytose qui m’a pris un an et demi ».
En 2012, la faculté de Toulouse l’autorise à passer sa thèse mais quand en 2014 il demande son dossier de soutenance, ça bloque. « On m’a répondu que le terme “résident” n’existait plus dans la législation », malgré tout un autre doyen accepte de lui donner une dérogation pour soutenir sa thèse pour laquelle il obtient une mention honorable, mais depuis, impossible de récupérer son diplôme. « On m’objecte une délivrance illégale de diplôme. » Impossible de remplacer donc, mais, pour travailler à l’hôpital la décision est laissée à chaque directeur et, dans les faits, les ARS bloquent ces dossiers dans certaines régions.
Sur son île, M. Bouamama est connu de tous, il a donc pu effectuer des stages de quatre mois, deux fois par an, « pour ne pas perdre la main. J’ai dû me mettre en quatre pour que les gens comprennent mon problème. Tout le monde a admis qu’on se trouvait face à un vide juridique. Ce n’est pas normal de le reconnaître et de ne rien faire ».
Comme beaucoup de ses compagnons d’infortune, M. Bouamama regrette aussi de ne pas avoir été prévenu. « Ils répondent qu’ils sont sûrs d’avoir prévenu tout le monde, mais quand on leur demande la liste des personnes concernées ils ne sont pas capables de nous la donner. » Même s’il espère que la loi montagne permette de faire avancer son cas personnel, il tient quand même à obtenir des explications. « Je ne demande la tête de personne, je veux seulement savoir comment on a pu en arriver là. »
« J’ai dû chercher du travail pour faire du baby-sitting ou de l’aide aux personnes âgées ».
C’est d’abord un heureux événement qui a repoussé la thèse de Christine. En terminant ses études en 1995 elle avait prévu initialement de s’y atteler dans la foulée, mais, enceinte de jumeaux, elle repousse finalement cette échéance. Avec deux bébés en bas âge, l’équation change pour la jeune généraliste pour qui l’urgence est désormais de travailler. Elle commence donc les remplacements et met de côté sa thèse. En 1998, elle a un troisième enfant. Après avoir posé ses valises en Bretagne, la mère de famille recontacte l’université de Créteil pour passer sa thèse, mais, en même temps, on découvre des problèmes psychiatriques graves chez son troisième enfant. Christine ne peut donc faire « autre chose que m’occuper de ma fille ».
Dérogations refusées Il faudra plusieurs années pour stabiliser sa situation familiale et quand elle veut recommencer à travailler, elle découvre que ce n’est plus possible. « La faculté ne m’a pas du tout prévenu, je n’ai reçu aucun courrier. » Ses demandes de dérogation sont refusées. « Je me suis formée pour un métier qui me passionnait et, aujourd’hui, je n’ai pas la possibilité de faire quoi que ce soit qui soit en rapport avec lui. J'en suis à chercher du travail pour faire du baby-sitting ou de l’aide aux personnes âgées. » La loi Montagne lui redonne donc de l’espoir et relance sa motivation. « J’attends de savoir quels sont les modes de remise à niveau, en espérant que les enseignants ne vont pas faire blocage. » En attendant d’en savoir plus, Christine a, d’ores et déjà, entamé des révisions. Malgré tout, pour cette mère de cinq enfants, la condition d’exercer en zone sous-dotée pourrait être problématique. « Je suis prête à faire un effort : à 40 minutes de chez moi, par exemple, on est zone sous-dotée. Mais je ne peux pas faire migrer toute ma famille à l’autre bout de la France. » Sa motivation pourrait aussi s’épuiser si la situation venait à perdurer trop longtemps. « Je suis encore totalement partante, mais ma patience a des limites. Si dans un ou deux ans les choses ne sont toujours pas débloquées… »
Les résidents ne sont plus hors-la-loi
Ce n’est peut-être pas dans cette loi qu’on s’attendait à voir réapparaître les résidents, mais le combat fut tellement âpre pour eux qu’ils refusent de faire la fine bouche. Fin décembre dans le cadre de la loi Montagne, un amendement est voté et prévoit que « les personnes ayant validé en France la formation pratique et théorique du résidanat de médecine et n'ayant pas soutenu, dans les délais prévus par la réglementation, la thèse (…), peuvent être autorisées à prendre une inscription universitaire en vue de soutenir leur thèse ». Cette inscription sera soumise à l’« avis d'une commission placée auprès des ministres chargés de l'enseignement supérieur et de la santé » et « conditionnée à l'engagement d'exercer en zone sous-dotée ».
Un décret d’application en Conseil d’État doit encore préciser les contours de la mesure mais c’est un premier succès pour tous les « privés de thèse ». « On est très contents de ce texte, explique Arnaud Deloire, chargé de mission « privé(e)s de thèse » au SNJMG. Il réinstaure le statut des résidents qui avait été aboli et nous empêchait de réclamer quoi que ce soit. Et les points mentionnés sont généraux, ce qui laisse une latitude dans le décret d’application. » Le SNJMG souhaite désormais que ce décret arrive vite, avant la fin du quinquennat. La prochaine étape sera d’arriver à recenser tous les anciens résidents concernés et à prendre en compte les parcours de chacun. Comme le souligne le syndicat, « le groupe est plus qu’hétérogène, donc il faut travailler sur les remises à niveau qui seront proposées. On soutient tous les anciens résidents et on ne juge pas les parcours et les reconversions pour décider si cela convient empiriquement à un statut de médecin comme cela a été reproché
à certains... »
« Officiellement je n’ai aucune qualification, même pas aide-soignante »
À la fin de ses études en 2005, Gaëlle continue en tant que FFI (faisant fonction d’interne) à l’hôpital. Entre un sujet de thèse qui devient caduc, un directeur de thèse qui s’en va, un autre qui décède et une troisième grossesse, elle arrive en septembre 2012 sans avoir pu passer sa thèse et s’entend dire qu’il est... trop tard ! « J’habite très loin de la faculté, avec des accès pas faciles, et je n’ai jamais été prévenu de la modification législative. » Comme d’autres dans la même situation, Gaëlle tente tous les recours possibles et imaginables, auprès de l’Ordre, des ministères, des facultés : à chaque fois sans succès.
Malgré tout, à 42 ans elle n’a jamais cessé d’exercer. « Je suis toujours FFI avec un statut qui n’existe plus. J’ai la chance d’être dans un petit hôpital local un peu paumé, dans un désert médical avec une population très vieillissante. La direction connaît ma situation. Mais, officiellement, je n’ai strictement aucune qualification, même pas aide-
soignante. » Elle travaille sous la supervision de collègues qui sont thèsés et est payée un salaire d’interne. « Je fais des gardes pour arrondir mes fins de mois. »
Aujourd’hui, si la nouvelle loi peut lui permettre de passer enfin sa thèse, elle ne veut pas être forcée d’aller exercer en libéral. « Là où je suis, il n’y a pas assez de médecins, ni à l’hôpital, ni en ville, je suis donc aussi utile à l’hôpital. »
La situation apparaît d’autant plus injuste à Gaëlle qu’elle n’a jamais arrêté d’exercer et qu’elle s’est formée presque comme aujourd’hui. « Ma faculté était en avance et j’ai réalisé une maquette quasiment identique à celle de maintenant. Il me manque seulement la soutenance d’un travail théorique, sachant que la thèse n’a aucune utilité sur notre pratique de tous les jours. » Selon elle, le problème est ailleurs. « Je ne sais pas qui on dérange. Il y a des luttes de pouvoir dans certaines instances au niveau de professeurs haut gradés qui nous prennent pour des couillons. Ils considèrent qu’on n’a pas les qualités requises pour pouvoir exercer. »
*Le prénom a été modifié.
« On a l’impression d’être vus comme des sous-médecins »
Patrick Grabit est interne à Toulouse quand, lors d’un trajet au cours d’une intervention, il a un accident grave. Malgré sa nouvelle vie en fauteuil roulant et après un an de convalescence il décide malgré tout de finir sa formation. En 1994, il achève donc ses stages et jusqu’en 1999 il travaille comme « faisant fonction d’interne » dans le service
gériatrie du CHU. Pendant plusieurs années, le médecin essayera de passer sa thèse sans jamais aller au bout. Mauvais sujets ou abandonnés à cause de problèmes
familiaux graves ou de dépressions ; malgré le couperet de fin 2012 dont il a été prévenu par l’université, Patrick Gabrit ne parvient jamais à passer sa thèse. « Il est vrai aussi que mon handicap a contribué à mon découragement. »
Aujourd’hui, à plus de 60 ans, il est toujours résolu à conclure une histoire vieille de plus de 20 ans. La loi qui est parue fin décembre ne le satisfait qu’à moitié. « On est content de voir que l’on est enfin reconnu par les pouvoirs en place. Je regrette seulement que cela se fasse dans le cadre d’une loi sur la montagne et de manière un peu opportuniste pour combler les déserts médicaux. » Cet épilogue provisoire renforce pour le médecin l’impression d’avoir été bien peu considéré pendant toute cette affaire. « C’est comme si on faisait partie d’un groupe qu’il fallait absolument placer quelque part. On a l’impression d’être vus comme des sous-médecins. » Patrick Grabit espère aussi que la conclusion de ce dossier ne se fera pas encore attendre trop longtemps. « Je n’ai pas beaucoup d’espoir pour mon cas personnel… mais s’il n’y a que ça qui m’est offert je serai bien obligé de le faire, même si cela ne me conduit qu’à un exercice partiel. » Un peu fataliste donc, mais toujours pas résigné.