C'est avec une bonne dose de stupéfaction que j'ai lu dans le Courrier des lecteurs du QDM, le commentaire à mon égard, d'un médecin généraliste belge. Je tiens tout d’abord à rassurer le docteur Yves de Locht qui prend fait et cause pour la pratique d’une euthanasie telle que celle autorisée par la loi belge («Après une euthanasie, j’ai le sentiment d’avoir bien fait » ; Le Quotidien du Médecin du 14/10/2022). Loin de toute polémique malsaine (cf. mon point de vue : « Vers un droit à donner la mort », Le Quotidien du 30/09), je me demande, comme vous l’évoquez, pourquoi je n’aurais pas le courage de vous lire bien qu’il y ait des bonnes et de moins bonnes lectures.
Tout d’abord, je vous invite à prendre connaissance des lois Claeys-Léonetti qui permettent, en France et à ceux qui le désirent, selon leurs Directives Anticipées, à mourir dignement par la pratique d’une sédation profonde et continue pour des patients refusant les soins palliatifs. Comme je l’ai déjà écrit, en opposition à la loi belge, cela prend plus de temps, plus d’énergie, tout en demandant une énorme dose d’humanité. Il s’agit là, bien entendu — et la nuance est de taille — de personnes en fin de vie, contrairement à ce qui se pratique bien trop souvent ailleurs.
Dans le JIM du 17 09 2022, suite à une enquête réalisée en 2021 auprès de l’ensemble des acteurs des soins palliatifs français, 98 % des médecins refusent cette euthanasie telle que définie en Belgique en considérant, je cite, que « donner la mort de cette façon n’est pas un soin ». Et d’ajouter que ces mêmes médecins, hostiles à la loi belge, s’alarment des pressions inévitables, qu’elles soient sociales médicales ou familiales qui permettraient et permettent déjà l’élargissement constant des euthanasies jusqu’à des patients dont le pronostic vital est loin d’être engagé comme cela se pratique (je cite à nouveau le Journal International de Médecine) en Belgique.
Toujours à propos de la loi belge, une longue enquête de l’OMS effectuée en 2020 montre « une absence d’évolution des soins palliatifs depuis plus de dix ans dans ce pays ». C’est tout dire et très significatif d’abus coupables inexcusables en la matière permettant à chacun, en tant que médecin responsable, de juger en son âme et conscience d’un tel constat…
Quand vous déclarez « qu’ils sont de plus en plus nombreux à venir nous voir,
souvent de très loin et parfois même en ambulance », vous êtes en totale contradiction avec la présidente de la Société Française d’Accompagnement et de Soins Palliatifs (17 09 2022) qui affirme : « Cette situation d’exode en Belgique reste en réalité rarissime. » Selon le dernier rapport officiel de la Commission de Contrôle Belge, les euthanasies de tous les patients étrangers s’élèvent au total à 45 sur les deux dernières années.
Fausse urgence
De plus en plus de voix s’élèvent en France pour dénoncer la fausse urgence d’une nouvelle loi alors que les lois actuelles permettent déjà de mourir dans la dignité. Le vrai problème est un manque d’information du public puisque seulement 48 % connaissent les Directives Anticipées et 91 % des Français affirment que leur médecin ne les a pas informés sur leurs droits à mourir dans la dignité grâce aux dispositifs existants.
Quant à la vidéo dont vous souhaitez juger de la véracité, mettant scandaleusement en doute mon honnêteté morale, vous pourrez la demander par mail à la présidente du Groupe éthique de l’hôpital de Tarbes : gjuncalaplace@ch-tarbes-vic.fr. À défaut elle vous confirmera sa projection.
Un dernier point qui me semble essentiel dans ce débat de société. Vous avez le droit de choisir, en votre âme et conscience de médecin, la pratique de l’euthanasie telle que l’autorise la loi belge. Cependant, les chiffres 2021 de la Commission de Contrôle belge montrent que « moins de 3 % des médecins belges acceptent de participer à une injection létale ». Plus de 97 % la refusent catégoriquement. Vous faites donc partie des moins de 3 % volontaires pour un tel acte. C’est votre droit et votre choix mais ce n’est pas celui d’une écrasante majorité de vos confrères.
Ma longue pratique de l’Éthique médicale montre qu’il est fondamental de faire un distinguo capital entre mourir dans la dignité en fin de vie par la pratique d’une sédation profonde et continue en opposition à un véritable suicide assisté chez des personnes pour lesquelles une assistance psychologique, médicale voire raisonnablement palliative leur permettrait de vivre encore plusieurs années dans des conditions humainement acceptables.
Là se situe le véritable débat, un débat digne d’une éthique médicale irréprochable afin d’éviter, par les temps qui courent ou qui semblent s’annoncer, d’éventuels débordements coupables couverts par une loi humainement inadaptée.
Enfin, sachez que je ne répondrai pas à une autre polémique. J’ai mieux à faire auprès de mes patients polyhandicapés qui n’aspirent qu’à s’accrocher à la vie le plus longtemps possible en parfait accord avec leur conscience malgré le poids écrasant de leurs contraintes physiques et psychomotrices.
Confraternellement à vous.
Exergue : 97% des médecins belges refusent catégoriquement de participer à une injection létale
Appendicite et antibiotiques
La « foire à la saucisse » vraiment ?
Revoir la durée des études de médecine
Réformer l’Internat et les hôpitaux