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Comment les premiers profs de médecine générale se sont imposés

Publié le 04/10/2019
Comment les premiers profs de médecine générale se sont imposés

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Septembre 2009, cinq ans après la création d’un DES spécifique, deux ans après la prise de fonction des 16 premiers chefs de clinique, la filière universitaire de médecine générale connaît une nouvelle avancée majeure avec la titularisation des dix premiers professeurs de la spécialité. Quel impact ont eu ces nominations sur ces enseignants qui avaient jusqu’alors un statut précaire d’associé ? Ont-elles permis à la médecine générale de gagner sa place à l’université ? Dix ans après, cinq des dix pionniers* confient au Généraliste avoir investi la recherche, proposé de nouveaux outils pédagogiques et avoir rendu la spécialité plus attractive.

Il a fallu du temps avant qu’on nous considère comme des pairs

Pr Gérard Bourrel, professeur émérite de médecine générale et ancien directeur du département de médecine générale (DMG) de Montpellier

« Au début, les PU-PH d’autres spécialités nous disaient : “Je vais vous dire ce dont les généralistes ont besoin”. Nous avons répondu : “Ce n’est plus comme ça qu’on va procéder”. Nous avons tous commencé par faire de la formation continue. Celle-ci nous a permis de nous affirmer. Personnellement, je n’aurais jamais imaginé devenir professeur d’université. Mais à partir du moment où j’ai commencé l’enseignement, je me suis dit que je ne pouvais pas seulement me baser sur mon expérience de terrain. J’ai donc enrichi mon background en passant un diplôme en santé publique à Nancy, un DEA de sociologie et un doctorat en sciences de l’information et de la communication. Cela m’a permis de revendiquer l’universitarisation de la spécialité.

Au début, une étiquette nous collait à la peau, celle d’un enseignant à l’université cantonné à la pédagogie. Il a fallu du temps avant qu’on nous considère comme des pairs. La situation a évolué depuis 10 ans. La recherche et la maîtrise de stage se sont développées, la médecine générale dispose d’une sous-section spécifique au Conseil national des universités, les internes ne prennent plus la médecine générale par défaut mais par choix. Mais je ne suis pas sûr que beaucoup de choses aient changé sur le fond de l’enseignement. Certaines facs commencent tout juste à mettre en place des formations sur la communication médecin-malade. Cela paraît incroyable, c’est un sujet sur lequel nous avons écrit il y a 20 ans. Je ne suis pas très optimiste pour la prochaine décennie, car les profs sont aujourd’hui surbookés. Au début, nous avions seulement l’aspect pédagogique à gérer. Aujourd’hui, il faut se charger de la recherche, des publications, de la gestion des chefs de clinique, de la filière… Je crains que certains abandonnent. »

À l’époque, nous avions les pieds dans la gadoue

Pr Claude Attali, ancien directeur du DMG de Créteil

« Cette nomination a changé beaucoup de choses pour moi. Je me suis dit qu’il me fallait être à la hauteur et encore plus rigoureux dans ma fonction de soins. Un professeur titulaire a le devoir de soigner au mieux. Il doit aussi faire de la recherche de qualité. Personnellement, mon appétence première était la pédagogie. Je me suis mis à faire de la recherche plus académique, avec un objectif de publication dans les revues à haut “impact factor.

Ces titularisations représentaient un vrai pas en avant, mais il ne fallait pas en rester là. J’ai été nommé à la commission nationale d’intégration, et j’ai siégé au Conseil national des universités avec les internistes. Je me suis donc retrouvé dans une position où je me sentais une responsabilité d’entraîner les autres. Mon objectif était qu’il y ait de plus en plus de professeurs mais aussi qu’ils soient dignes de la fonction. Cela n’a pas été si simple et m’a valu certaines difficultés avec des départements de médecine générale. Le regard des autres aussi a changé. Tout d’un coup, on vous accorde la capacité de tout faire, même ce que vous ne savez pas faire. 

En 1996, nous avions rédigé un traité de médecine générale qui portait nos réflexions sur les fondamentaux de la discipline : l’accessibilité, la disponibilité, le suivi, la discipline clinique… Il ne faut pas les laisser s’évaporer. À l’époque, nous venions du milieu professionnel, nous avions les pieds dans la gadoue alors que ceux qui sont nommés aujourd’hui sont dans les hautes sphères. Je crains que la normalisation universitaire fasse perdre ces valeurs aux jeunes. »

Nous nous sommes imposés grâce à une pédagogie innovante

Pr Bernard Gay, professeur émérite à la faculté de Bordeaux et président d’honneur du CNGE 

« À titre personnel, j’avais déjà une implantation dans l’université, ce qui me rendait crédible auprès de la plupart de mes collègues universitaires. Mais pour la discipline, ces premières nominations ont mis la médecine générale au même rang que les autres spécialités. Ce fut l’aboutissement d’une démarche longue et historique. Différentes étapes ont précédé la titularisation. Pendant des années, on nous opposait l’argument qu’il était difficile de nous titulariser car nous avions un statut libéral, que nous ne pouvions pas rentrer dans la fonction publique.

La filière universitaire de médecine générale s’est mise en place à l’identique des autres. Cela a permis d’asseoir la discipline d’un point de vue institutionnel et structurel. Il a cependant fallu gagner notre légitimité sur les trois éléments constitutifs d’une discipline universitaire : les soins, l’enseignement et la recherche. Nous nous sommes imposés petit à petit sur l’enseignement grâce à une pédagogie innovante, mais la recherche a été notre maillon faible pendant plusieurs années. Aujourd’hui, nous tenons la route.

Dans les années à venir, l’enjeu sera selon moi d’intégrer la médecine générale aux enseignements des premiers cycles des études médicales. Notre implication dans les six premières années de médecine est assez variable selon les universités. La relève des jeunes professeurs, maîtres de conférences, etc., qui ont la totale légitimité d’un cursus universitaire, sera également déterminante. Nous avons été des défricheurs mais ce sont eux qui vont construire réellement la discipline. »

Dans certains endroits, cela bloque encore, 10 ans après

Pr Stéphane Oustric, directeur du DMG de Toulouse 

« Ces titularisations ont représenté un travail de longue haleine par la communauté. Il était illogique que la moitié des étudiants n’aient pas d’enseignant spécifique. À l’annonce de ma nomination, j’ai ressenti une grande émotion. Pas pour moi mais pour les générations à venir. J’ai éprouvé du respect pour ceux qui étaient passés avant et qui avaient été pour la plupart sifflés, hués. 

À cette époque, la volonté politique manquait pour que les généralistes soient traités au même niveau que les autres spécialités. Aujourd’hui, nous sommes pleinement associés à l’université et je pense que nous tenons le rang. J’étais pour ma part le plus jeune nommé à 43 ans. Du jour au lendemain, j’avais une vraie responsabilité mais je me suis dit que beaucoup de choses étaient encore à faire. J’avais la chance d’être à Toulouse, où les doyens ont d’emblée cru en la médecine générale, ce qui n’est pas le cas partout. Dans certains endroits, cela bloque encore, 10 ans après.

Si je regarde vers l’avenir, je pense qu’il faut continuer comme ça. Simplement, il nous faudra l’accompagnement et la bienveillance du ministère. À ce jour, certaines facultés n’ont pas encore de titulaire, ou pas suffisamment. Notre responsabilité est désormais que l’ensemble des universités soient dotées des moyens humains dont elles ont besoin. »

Le chemin parcouru est incroyable, nous ne l’aurions jamais imaginé

Pr Jean-Pierre Dubois, ancien directeur du DMG de Lyon-I

« 2009 a été une étape à forte valeur symbolique car cela faisait déjà 14 ans qu’on travaillait comme associés. Depuis, beaucoup de choses ont évolué. Il y a eu la création de notre sous-section au CNU en 2015. Elle nous a donné la maîtrise du choix des enseignants, même s’il y a eu très peu d’ouvertures de postes, et que la plupart du temps ils étaient pris sur d’autres disciplines. Cette décennie a été marquée par les évolutions pédagogiques dans l’enseignement du 3e cycle, avec ce qu’on appelle l’approche par compétence. La réforme du DES, prévoyant au moins un an de formation en médecine générale pour les internes, est également une avancée. La création du stage en médecine générale pendant le 2e cycle a aussi porté ses fruits, puisque la première à choisir médecine générale cette année est 28e aux ECNi et que tous les postes ont été pourvus. C’est une satisfaction pour les enseignants. L’un des enjeux sera désormais de compléter la réforme du 3e cycle avec un DES en quatre ans. Le défi est aussi de recruter plus de maîtres de stage universitaires. Il faut surtout garder l’enthousiasme des débuts. Le chemin parcouru est incroyable, nous ne l’aurions jamais imaginé quand nous avons commencé. Et pourquoi pas un jour nommer un généraliste doyen de faculté, c’est ça aussi l’avenir. »

* Ont également été nommés titulaires les Prs Pierre-Louis Druais (Paris-Versailles), Serge Gilberg (Paris V), Raymond Glantenet (Lille), Jacques Luet (Caen) et Michel Nougairede (Paris VII).

48, c’est le nombre de professeurs de médecine générale titulaires en activité en 2019, selon les statistiques du Snemg.

​La filière compte aussi :

• 78 professeurs associés
• 36 maîtres de conférence titulaires et 131 associés
• 10 736 maîtres de stage
• 175 chefs de clinique


Dossier réalisé par la rédaction