Après plus d’un siècle d’exclusivité parisienne et deux années de parenthèse virtuelle, le 128e congrès de la Société française d’ORL (14 au 17 octobre) a pris le large pour s’implanter cette année à Marseille. Si une large place a été consacrée aux nouvelles techniques chirurgicales, la clinique ne fut pas en reste. L’accent a été mis notamment sur certains symptômes a priori banals mais qui peuvent cacher une pathologie vasculaire grave, comme l’acouphène pulsatile, ou être lourds de conséquences, comme le bruxisme.
Acouphènes pulsatiles : des étiologies potentiellement graves
Les acouphènes pulsatiles se définissent par la perception normale d’un flux pulsatile anormal de voisinage, rythmé par les battements cardiaques. Ils représentent 10 % des acouphènes. Il s’agit dans la très grande majorité des cas d’acouphènes organiques, qui peuvent révéler des lésions potentiellement sévères.
Dans 70 % des cas, leur origine est vasculaire et liée à une anomalie du flux sanguin, détectable à l’auscultation. Lorsque l’acouphène est d’origine otologique, il peut s’agir d’une lésion pulsatile au contact de l’oreille moyenne ou interne. Enfin, l’acouphène peut être lié à la perception des battements physiologiques des enveloppes méningées en l’absence de couverture osseuse de la cochlée.
« La démarche diagnostique diffère totalement de celle d’un acouphène non pulsatile », avertit le Pr Frédéric Tankéré (La Pitié-Salpêtrière). Lors de l’interrogatoire, il faut faire préciser au patient les caractéristiques de son acouphène, son caractère synchrone ou non avec le pouls, sa régularité, son augmentation à l’effort. Un bruit de « sifflet » systolique oriente vers une origine artérielle, un bruit de « chute d’eau » plutôt vers une origine veineuse. On recherchera une symptomatologie ORL : hypoacousie, vertiges, sensation de plénitude auriculaire, autophonie, otorrhée, otalgie mais aussi un dysfonctionnement tubaire ou une rhinite chronique. « Il est aussi essentiel de s’enquérir de la tolérance de cet acouphène pulsatile, généralement plus handicapant que l’acouphène continu », prévient l’ORL.
L’auscultation de l’oreille, de la mastoïde, des vaisseaux du cou et du foyer aortique est systématique à la recherche d’un souffle.
Différentes manœuvres de compression peuvent aider à préciser le mécanisme de l’anomalie vasculaire. En faveur de l’origine artérielle, la diminution ou la disparition de l’acouphène lors de la compression de la carotide ou de l’artère occipitale. La diminution de l’acouphène par la compression jugulaire homolatérale, le Valsalva ou la rotation de la tête vers l’oreille acouphénique, ou son augmentation par la compression de la jugulaire controlatérale, sont en faveur d’une origine veineuse.
L’otoscopie peut montrer une otite chronique, un glomus ou une procidence jugulaire, une malposition carotidienne. L’écho-doppler est généralement normale. Le diagnostic repose essentiellement sur le TDM et l’IRM cérébrales.
Les acouphènes pulsatiles d’origine vasculaire peuvent être liés à une sténose ou une dilatation vasculaire, à un shunt artérioveineux, voire à une anomalie hémodynamique sans anomalie pariétale liée par exemple à une HTA ou une anémie.
Les atteintes artérielles sont souvent liées à une anomalie de la carotide interne susceptible de provoquer un AVC ischémique. Parmi les étiologies les plus fréquentes et susceptibles de bénéficier d’un geste endovasculaire, la sténose d’un sinus latéral ou la fistule artérioveineuse durable du sinus latéral. La sténose du sinus latéral peut s’accompagner d’une hypertension intracrânienne, à rechercher systématiquement à l’IRM.
Bruxisme, pourquoi il faut s’en inquiéter
Le bruxisme se définit comme une activité musculaire répétitive des muscles masticateurs provoquant un serrement ou un grincement des dents.
Chez l’enfant, sa prévalence lors du sommeil varie entre 8 et 38 % ; elle est autour de 13 % dans la population adulte et diminue chez les personnes âgées (environ 3 %).
Les mécanismes et les causes ne sont pas clairement élucidés. Pourraient jouer des facteurs génétiques, héréditaires et environnementaux, l’hygiène de vie, les micro-éveils au cours du sommeil, l’activation du système nerveux autonome, certains neuromédiateurs, des comorbidités comme le syndrome d’apnée obstructive du sommeil (SAOS), l’insomnie, le reflux gastro-œsophagien, mais il reste difficile de savoir s’il s’agit d’une association ou d’un lien de causalité. De même pour l’anxiété, qui est souvent associée mais sans qu’il y ait réellement de lien de causalité entre les deux.
Les micro-éveils ont certainement une influence puisqu’ils sont associés à des micro-évènements : tachycardie, accélération et augmentation de l’amplitude respiratoire, hausse de la PAD/PAS, augmentation de l’activité musculaire de la mandibule et de la déglutition, et augmentation de l’activité sympathique. Le bruxisme et le SAOS sont associés dans 30 à 50 % des cas, mais le lien de cause à effet reste à définir et ne serait réel que pour certains phénotypes. Le SAOS reste néanmoins à rechercher car son existence est à prendre en compte dans la décision thérapeutique. Chez l’enfant, on se pose la question du rôle que peut jouer la rétrognathie, l’hypertrophie amygdalienne, l’obstruction nasale avec un palais ogival.
« Le bruxisme en lui-même n’est pas une pathologie, et ce sont ses complications qu’il faut gérer, insiste le Pr Gilles Lavigne (Faculté de médecine dentaire, Québec), c’est-à-dire l’usure prématurée voire la fracture des dents, les problèmes d’articulé, les douleurs de l’articulation temporo-mandibulaire, les céphalées chroniques, les troubles du sommeil ». D’où l’importance de repérer les signes pouvant évoquer un bruxisme.
Il est facilement suspecté en cas de grincements de dents au moins trois à cinq nuits par semaine sur six mois (mais même dans ce cas, moins de la moitié des patients sont adressés à un laboratoire du sommeil). Mais le plus souvent, le diagnostic est uniquement possible ou probable devant une usure dentaire anormale, une hypertrophie des masséters (qui peut être liée à l’usage répété du chewing-gum !), une crispation des mâchoires ou des douleurs musculaires au réveil, une fatigue, des céphalées temporales. Cependant, l’usure des dents n’est pas corrélée avec la gravité et, si l’absence de ces signes permet d’écarter avec une certaine fiabilité l’existence d’un bruxisme, l’établissement d’un diagnostic positif demeure plus incertain. Au final, ce sont les céphalées temporales qui sont devenues un des critères majeurs avec les dents serrées au réveil. La seule possibilité d’affirmer le diagnostic est de réaliser un EMG des masséters ou de la région temporale, réalisable à domicile.
Maladie de Ménière : les injections transtympaniques, alternative à la chirurgie
Dans la maladie de Ménière, lorsque les crises de vertige sont fréquentes, il devient nécessaire d’instaurer un traitement prophylactique par vestibulo-suppresseurs et éventuellement par diurétiques – mais qui n’ont pas vraiment fait leurs preuves –, voire par corticoïdes dans des indications très particulières. Lorsque la maladie résiste à un traitement bien conduit, il ne restait plus jusqu’à ces dernières années que l’alternative chirurgicale, décompression du sac endolymphatique ou ligature de l’aqueduc vestibulaire, neurotomie vestibulaire si l’audition est conservée ou labyrinthectomie chirurgicale s’il existe une cophose ou une surdité sévère inappareillable.
« Les injections transtympaniques (ITT) constituent maintenant une alternative à un geste invasif et, selon les recommandations, représentent une solution de choix en cas de maladie de Ménière bilatérale ou d’oreille unique », explique le Pr Thierry Mom (Clermont-Ferrand).
Dans ce contexte, le recours aux corticoïdes se justifie par l’association fréquente de la maladie de Ménière à des maladies auto-immunes et la présence d’un profil protéique de type auto-immun dans le liquide labyrinthique ou le sang. L’injection mésotympanique (méthylprednisolone ou dexaméthasone), réalisée sous microscope avec une anesthésie locale, est peu invasive et efficace sur les vertiges. Il existe divers protocoles selon le délai entre les injections et leur répétition. Le plus classique repose sur une ITT par jour pendant 3 jours, puis un contrôle à 3, 6, 12 et 24 mois. Une nouvelle injection peut être faite si les vertiges persistent. Une étude a montré, chez 25 patients, 92 % de contrôle complet à 6 mois, 70 % à 1 an et 20 % à 2 ans, mais après un second traitement, les patients sont pratiquement tous contrôlés.
Autre option, la gentamycine administrée en ITT est un suppresseur de la fonction vestibulaire avec une efficacité largement prouvée sur les vertiges, mais peut, du fait de son ototoxicité, entraîner aussi une atteinte de l’audition difficilement prévisible. Elle est indiquée en première ligne en cas de crises de Tumarkin (chute brutale sans aucun vertige), dans les déficits vestibulaires sévères avec oreille controlatérale normale ou patient très invalidé sans possibilité de compensation. En deuxième ligne, elle a sa place en cas d’échec des ITT de corticoïdes. Selon le protocole actuel, après une injection, l’efficacité est contrôlée à 3, 6, 12 et 24 mois. En cas de nouvelle crise, on peut réitérer le même schéma thérapeutique.