Courrier des lecteurs

Cancer et industrie : ne nous trompons pas de bataille

Publié le 07/10/2019

Le congrès de l'ESMO vient de se tenir à Barcelone et bien évidemment fait l'objet d'une couverture médiatique généraliste comme cela est l'habitude depuis quelques années. Oncologue Médical retraité après avoir exercé plusieurs décennies à Lyon, je voudrais vous faire part des réflexions que suscite la lecture de l'article paru le 27 septembre dans le Figaro.

Certes, cet article est publié dans les « pages saumon », rédigé par une journaliste spécialisée dans les problèmes économiques. Mais il n'en demeure pas moins que l'approche et le contenu sont pour le moins assez choquants paraissant effectivement limiter le problème de la prise en charge des pathologies cancéreuses à une guerre entre les poids lourds de l'industrie pharmaceutique comme d'ailleurs annoncée de façon précise dans le titre : « Cancer : bataille en vue entre GSK et Astra Zeneca ».

Je retiens par ailleurs les premières lignes : « Santé. Après Chicago c'est à Barcelone que se tient l' autre grand-messe du marché de l'oncologie. Le congrès de l'European Society for Médical Oncologie (ESPMO) réunit ce week-end, experts, médecins et laboratoires pharmaceutiques spécialisés dans la recherche contre le cancer ».

Quelle image affligeante !

Il y aura bien évidemment parmi les lecteurs du Figaro quelques médecins, mais aussi beaucoup de non médecins, qui, pour sans doute un assez grand nombre, sont convaincus que l'industrie a pris la main sur tout le reste en médecine. Quelle image affligeante pour les milliers de médecins qui de toute l'Europe se sont rendus à Barcelone pour s'informer en live des principales évolutions thérapeutiques puisque l'on sait que c'est à l'ESMO, comme au printemps à l'ASCO que sont présentées les évolutions significatives pour les pratiques.

On aimerait bien évidemment savoir quels sont les experts, qui a priori ne sont pas des médecins, et dans l'esprit de cette journaliste s'agit-il sans doute d'experts en placements financiers ou en économie de la santé. On peut d'ailleurs au passage remarquer que le choix fait par cette personne d'illustrer la guerre des industriels du médicament par le problème du choix entre le Lynparza (d'Astra Zeneca) et le Zejula (de GSK) illustre effectivement bien les enjeux pour les laboratoires. Mais ce n'est pas une très bonne illustration de la lourde problématique des traitements anticancéreux car, tant en termes de coût de l'agent thérapeutique que du nombre de patients concernés, on est bien loin des problèmes soulevés par le coût de l'immunothérapie pour les cancers du poumon ou encore plus des coûts de la technique des Car T cells.

Alors effectivement il y a « bataille », mais la plus importante c'est celle que mènent les équipes médicales et paramédicales qui prennent en charge au quotidien les patients atteints de cancers, qui sont bien évidemment – et notamment parmi les plus anciens — heureux d'avoir pu bénéficier de tous les apports de l'industrie pharmaceutique, mais qui ne sont pas et ne veulent pas être soumis aux diktats des industriels et de leurs actionnaires.

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Dr Jean-Pierre Martin, Oncologue, Lyon (69)

Source : Le Quotidien du médecin