À moins de deux mois de l'entrée en vigueur effective du Brexit (et deux ans et demi après le référendum sur l'appartenance du Royaume-Uni à l'Union européenne), les conséquences du divorce sont encore incertaines dans le monde de la santé.
Sauf coup de théâtre, le 29 mars à minuit, le Royaume-Uni quittera officiellement l'Union européenne. Deux scénarios sont envisagés pour encadrer les relations futures entre l'île et les 27 États membres. Depuis le vote par les députés britanniques, fin janvier, d'un amendement visant à renégocier l'accord conclu en novembre entre la Commission européenne et le gouvernement britannique, l'option d'une sortie négociée bat de l'aile. Bruxelles s'oppose à toute forme de renégociation et semble se préparer à une rupture brutale des relations avec Londres : c'est le fameux no deal.
Dans un cas comme dans l'autre, de nombreuses questions restent en suspens alors même que l'échéance approche. Si la première option prévoit une phase de transition de 21 mois − courant jusqu'au 31 décembre 2020 − pendant laquelle le Royaume-Uni continuera d'appliquer toute la réglementation communautaire, la survenue d'un no deal entraînerait une rupture sèche des accords existants.
« Le gouvernement ne risquera pas un exode des médecins »
Pour les 130 praticiens titulaires d'un diplôme britannique inscrits à l'Ordre des médecins et exerçant en France, en cas de no deal, les règles européennes de reconnaissance automatique de qualification cesseront de s’appliquer. Mais le gouvernement français a d'ores et déjà montré sa volonté de permettre le maintien de leur activité sur le territoire. « Nous sommes en ordre de marche pour que les médecins anglais puissent continuer à exercer en France et que leur diplôme soit reconnu », a déclaré en ce sens Nathalie Loiseau, ministre chargée des Affaires européennes, le 25 janvier. C'est chose faite depuis la semaine dernière avec la publication d'une ordonnance permettant à ces praticiens britanniques de conserver « le bénéfice de la reconnaissance de leurs qualifications professionnelles ».
Outre-Manche cette fois, les 332 médecins à diplôme français inscrits au « Conseil médical général » − autorité d'enregistrement aux fonctions comparables à celles de l'Ordre des médecins − devraient bénéficier d'un délai jusqu'à fin 2020 pour régulariser leur situation mais risquent de s'exposer à de pénibles formalités.
Le plus préoccupant reste l'hypothèse d'un retour des médecins diplômés de l'Union européenne vers leur pays d'origine, qui amputerait le Royaume-Uni d'une bonne partie de sa population médicale (lire ci-dessous). Une perspective que ne craint pas vraiment le Dr Isabelle Granger-Cohet, directrice de La clinique française, établissement privé qui emploie une quinzaine de médecins à diplôme français à Londres « Je ne vois pas comment le gouvernement pourrait invalider les diplômes du jour au lendemain. La proportion de non Britanniques qui exerce ici est énorme, le gouvernement ne risquera pas un exode », prédit-elle.
Pour autant, la dentiste reconnaît l'incertitude qui plane autour du Brexit pour les professionnels de santé. « Personne n'a idée de la sauce à laquelle on va être mangé », confesse-t-elle. Ni l'équivalent de l'Ordre des médecins, ni un syndicat ou une organisation professionnelle n'a alerté sur les conséquences d'un no deal pour les médecins à diplôme européen.
Medicaments en stock
Côté produits de santé, le risque ponctuel de pénuries plane sur les deux pays. En cas de no deal, le retour des barrières douanières pourrait perturber l'approvisionnement des pharmacies. En outre, le Royaume-Uni sera considéré après le 29 mars comme un pays tiers, ce qui entraînera des conséquences pour les protocoles d'autorisation et de publication des essais cliniques dont les initiateurs doivent être basés ou légalement représentés dans l'Union européenne.
Si les laboratoires français tentent de rassurer et excluent des ruptures de stocks (lire page 3), l'Union européenne estime, elle, qu'une quarantaine de spécialités produites exclusivement outre-Manche pourraient faire défaut sur le continent dans les semaines qui suivront le Brexit.
Parmi les nombreux autres problèmes qui risquent de se poser, celui des accords de Sécurité sociale et de remboursement est l'un des plus concrets pour les patients. En cas d'accord de retrait négocié, les soins médicalement nécessaires au cours d'un séjour temporaire au Royaume-Uni, ou encore les soins programmés, seront pris en charge selon les règles en vigueur actuelles.
En revanche, sans accord au 30 mars, les « règles européennes de coordination » et de réciprocité des prises en charge cesseront de s’appliquer, confirme le ministère de la Santé. Avec des conséquences directes : les soins programmés par exemple « demeureront entièrement à votre charge financière ». Ce point pourrait encore évoluer, le Parlement britannique s'étant prononcé en faveur d'une prolongation des accords existants (dont la carte européenne d'assurance-maladie), à condition d'être validé par tous les partenaires.
Nombre de questions restent suspendues aux discussions entre Londres et Bruxelles où Theresa May s'est rendue jeudi dernier dans l'espoir d'obtenir des concessions, malgré le refus catégorique des négociateurs européens quelques jours plus tôt. D'ici là, « c'est le fog », ironise le Dr Granger-Cohet. Un brouillard qui pourrait durer.