Le 17 mai 2017, Agnès Buzyn entrait au gouvernement. Un an plus tard, la ministre de la Santé a renoué le dialogue avec les médecins libéraux. Toutefois, les généralistes commencent à manifester des premiers signes d’impatience devant l’absence de mesures fortes, notamment sur l’accès aux soins. Ils demandent à la ministre de passer à l’action.
Un bilan contrasté et de l’impatience. Tel est l’état d’esprit dans lequel sont les médecins, un an après la prise de fonction d’Agnès Buzyn au ministère de la Santé et des Solidarités. Succéder à Marisol Touraine, dont le dialogue avec les professionnels de santé était totalement rompu, n’était certes pas chose facile. Le Pr Agnès Buzyn a pourtant réussi à rassurer les médecins dès ses premiers pas avenue de Ségur. Son expérience de médecin et son expertise en santé publique, acquise à la présidence de l’Inca puis de la HAS, en ont fait une ministre avant tout respectée. Le Dr Jean-Paul Hamon, président de la FMF parle d’une « personnalité attachante, inattaquable ». Le Dr Jean-Paul Ortiz, président de la CSMF, la considère comme « une personne à l’écoute, d’une grande intelligence ».
Une ministre experte et courageuse
La ministre a en effet marqué des points. Elle a défendu coûte que coûte la liberté d’installation, chère aux médecins. Fin 2017, elle fait face aux velléités de la Cour des comptes et de parlementaires qui prônent la mise en place du conventionnement sélectif. Pour le Dr Jacques Battistoni, président de MG France, il est positif que la ministre soit restée « engagée en faveur d’un système de santé mieux organisé en évitant la coercition ». L’hématologue a également fait de ses compétences et de ses convictions en santé publique une marque de fabrique. L’une des mesures phares de cette première année de mandat restera l’extension de l’obligation vaccinale à 11 vaccins infantiles, mise en place depuis le 1er janvier dernier. Sur ce sujet, tous les syndicats ont salué son courage politique.
Premiers couacs
Pendant cette première année, la ministre a martelé des messages de prévention. Le plan dédié, présenté le 26 mars avec Édouard Philippe, est plus une feuille de route qu’un recueil de mesures d’envergure. Certains points ont toutefois une forte valeur symbolique comme la hausse du prix du paquet de cigarettes à 10 euros d’ici 2020. Le combat d’Agnès Buzyn contre l’excès d’alcool n’a pas eu la même réussite. La ministre, qui prône la tolérance zéro, a été désavouée par Emmanuel Macron, grand amateur de vin. Un couac qui selon le Dr Claude Pigement, ancien responsable santé du PS, « montre les limites politiques de la ministre ». L’affaire des laits infantiles contaminés chez Lactalis, gérée loin de l’avenue de Ségur par le ministre de l’Économie Bruno Lemaire, montre aussi qu'Agnès Buzyn doit encore s’affirmer en tant que politique, estime encore l’expert socialiste. D’autant que le Premier ministre Édouard Philippe s’est emparé du sujet de la santé à l’automne, en étant aux côtés d’Agnès Buzyn pour annoncer la “réforme globale de transformation du système de soins” et les plans prévention et autisme, par exemple. Une présence que certains observateurs ont perçu comme une mise sous tutelle de la ministre.
Le très politique tiers payant généralisé (TPG) est resté pour les médecins un dossier épidermique. Mesure phare de l’ère Touraine vivement critiquée par les médecins, l’extension de la dispense intégrale d’avance de frais pour tous les Français, prévue au 30 novembre 2017, a tout d’abord été suspendue par le ministère, en attendant des conclusions de l’Igas. Aujourd’hui, le verdict est le suivant : les freins techniques au déploiement du tiers payant seront levés à l’horizon 2020, ce qui fait craindre aux organisations un retour de l’obligation. « Sur ce sujet, elle a mis ses pas dans ceux de Marisol Touraine et le gouvernement n’y a pas du tout renoncé », constate le Dr Hamon.
Pouvoir politique timide
Un autre élément important vient atténuer la capacité d’action de la ministre : la faiblesse des finances publiques. Selon le Dr Claude Pigement, l’affaire Naomi Musenga et la gestion des services d’urgence l'illustrent parfaitement : « Agnès Buzyn n’a pas été capable de dégager des moyens et a renvoyé le débat au mois de juillet. C’est très révélateur du poids de Bercy face à la ministre », estime-t-il. Le président de la CSMF, le Dr Ortiz, nuance : « L’attente des libéraux est très forte et Agnès Buzyn est arrivée au pouvoir dans un contexte de situation économique contrainte ». Pour le Dr Philippe Vermesch, président du Syndicat des médecins libéraux (SML), rien ne sera pourtant résolu sans mettre la main à la poche. « Il est nécessaire de revaloriser le travail des médecins, notamment avec une visite longue à 70 euros pour les personnes dépendantes », prône-t-il.
Agnès Buzyn se serait donc fixé les bons objectifs, mais ne disposerait pas des fonds à la hauteur des enjeux de santé ? Pour le Dr Jean-Paul Ortiz, qui défend l’exercice multisites et les consultations avancées, résoudre la crise passera plus par « la réorganisation du système de soins que par des dizaines de millions mis sur la table ». Agnès Buzyn a annoncé des pistes de travail en ce sens dans son plan pour l’accès aux soins, ainsi que la création de maisons de santé, l’exercice mixte ou l’appui des infirmières en pratique avancée. Chez MG France, on mise plutôt sur les initiatives de terrain : « Il faut donner les moyens aux professionnels de porter leurs projets. Par exemple en leur dégageant du temps en semaine », propose le Dr Battistoni. Pour le représentant de ReAGJIR (jeunes généralistes installés et remplaçants), le Dr Yannick Schmitt, c’est une meilleure protection sociale pour les jeunes médecins qui les incitera à s’installer.
Les libéraux sur la touche ?
Les mesures d’Agnès Buzyn n’ont donc pas totalement convaincu et les médecins somment la ministre de « passer à l’action ». « Mettre tout le monde autour de la table pour avancer sur l’accès aux soins était une bonne idée, maintenant il faut sortir des grandes messes et arriver à quelque chose d’opérationnel », estime le Dr Schmitt. Stratégie nationale de santé, plans désert et prévention, transformation du système de santé… Le jargon administratif et les multiples apparitions de la ministre ces derniers mois font également tourner la tête des praticiens : « Le gouvernement a lancé tellement de plans qu’on finit par ne plus s’y retrouver », ajoute le Dr Vermesch. Même le président de l’Ordre, le Dr Patrick Bouet, habituellement discret, est sorti de sa réserve en publiant « Santé, explosion programmée ». Dans cet ouvrage, il invite la ministre à ne plus « retarder les annonces importantes ».
Agir, oui, mais pas sans les libéraux, plaident les intéressés. Les organisations de médecins déplorent avoir été mises sur la touche sur plusieurs dossiers. Lors du comité de pilotage sur le décret des infirmières en pratique avancée ou sur la recertification par exemple, les syndicats séniors n’ont pas de suite été mis autour de la table. Pour le président de ReAGJIR, c’est un problème de méthodologie : « On est très sollicités, dans des délais contraints, avec une concertation a minima, et ce une fois les textes déjà rédigés. Il faut faire un peu plus confiance aux médecins », assure-t-il.
Confiance ébranlée
Pour le Dr Hamon (FMF), cette mise de côté est aussi « une conséquence de la réduction des effectifs » au sein du ministère mise en place par Emmanuel Macron. Le généraliste de Clamart somme la ministre de multiplier les « incitations pour redonner de l’attractivité à la médecine libérale », lui qui défend un forfait structure plus attrayant et des échanges plus étroits entre ville et hôpital par le numérique. L’expérience hospitalière de la ministre lui vaut aussi quelques critiques. Le patron du SML l’accuse d’être parfois « trop hospitalo-centrée. (...) Agnès Buzyn a abordé les sujets de fond, mais en oubliant toujours un peu la médecine libérale », analyse le Dr Vermesch.
Le dialogue avec les professionnels, si étroit les premiers temps, est-il pour autant en passe de se durcir ? Le président de MG France, le Dr Battistoni, attend « des gestes concrets » dans les prochains mois pour rectifier le tir. La phase de séduction semble donc s’achever avec beaucoup d’attentes. Un an après, Agnès Buzyn doit encore et toujours rassurer les médecins.
L'AVIS DES LECTEURS
Une ministre responsable « Je pense que Madame Buzyn est quelqu’un de responsable, qui aime le corps médical et son métier. Elle est avant tout médecin, et il faut lui faire confiance ! Churchill disait : on peut plaire à un peu de monde tout le temps, à tout le monde un peu de temps, mais jamais à tout le monde tout le temps ! » Dr Imad S.
Courageuse sur la vaccination « Je vaccine sans problème depuis des années et l’extension de l’obligation vaccinale pour les enfants de moins de deux ans ne pose pas plus de problème aujourd’hui. Un quart de ma patientèle a moins de 15 ans et j’espère bien mériter leur confiance jusqu’à ma retraite. Je n’étais pas pour l’obligation vaccinale, mais cette décision est courageuse et nécessaire ; ouvrez les yeux, informez-vous, faites votre métier : protégez vos patients ! » Dr Philippe G.
L’ombre du TPG « Ce qui me déplaît, c’est que le tiers payant généralisé risque de revenir sur le tapis, avec le spectre d'une dépendance financière aux organismes payeurs. C’est inquiétant. Et puis c’est du temps perdu à gérer les retours, à râler ou rouspéter, réclamer… Cela ne devrait pas être notre travail ! » Dr Anne-Claire M.
Une vision hospitalo-centrée « Agnès Buzyn a une vision très hospitalo-centrée et salariée de la médecine, pas libérale. C'est une entrave à la lutte contre la désertification médicale, liée à un manque d’attraction de la profession. » Dr Bruno B.