UN ARTICLE du journal « Le Monde » du vendredi 23 mars 2012 analyse les craintes que peut susciter, à l’horizon 2020, le déséquilibre des comptes de l’assurance-maladie. Sans que les auteurs ne s’en soient sans doute rendu compte, il y a derrière cet utile article une acceptation criante de la « pensée unique » que l’on nous impose par des mécanismes de répétition, à la manière des certitudes émises par les Attali, Minc, Baverez, j’en passe et des meilleurs de ceux qui sont dans l’air…
La lecture entre les lignes de ce texte objectivement exact devrait soulever la méfiance, l’indignation, la révolte et les propositions. Je tente de le faire depuis dix mois par l’alerte lancée pour dénoncer les mécanismes qui ont conduit par le décret du 23 juin 2011, sans solution de remplacement, à la suppression arbitraire de l’ALD 12 pour hypertension artérielle sévère (automesure.com.) « Les déficits cumulés de l’assurance-maladie sur la décennie 2000, proches de 80 milliards aujourd’hui, passeraient à 150 milliards en 2020. À cela une raison simple : de plus en plus de personnes âgées et donc, de plus en plus de pathologies chroniques. Fin 2010, la France comptait 9 millions de personnes, pour le régime général, bénéficiant d’une prise en charge en Affection de Longue Durée, c’est-à-dire un remboursement dans le cadre de leur pathologie, à 100 %. C’était deux fois plus qu’il y a quinze ans. En 2020, elles devraient être treize millions. Une personne en ALD consomme six fois plus de soins et de biens médicaux que le reste de la population. »
Simplification excessive.
Apparemment, il existe donc un système coûteux, en expansion, et la situation actuelle devrait conduire à le supprimer. L’hypertension artérielle, maladie silencieuse touchant des citoyens silencieux, est un ballon d’essai, quand les Français sont plus sensibilisés au Sida, au cancer ou à l’Alzheimer. Il faut saisir la simplification excessive qui consiste à supprimer les ALD puisqu’elles coûtent cher, en omettant simplement de rappeler qu’elles rapportent gros.
Pour comprendre pourquoi les ALD ont été imaginées (1), il faut connaître et ressentir ce que sont les difficultés psychologiques et financières de la poursuite de traitements quotidiens sur plusieurs décennies. Lors de l’initiation du traitement, personne, des soignés aux soignants, ne le vit réellement. Les traitements au long cours (actes médicaux, biologiques, et thérapeutiques) sauvent des années de vie en bonne santé, années porteuses de valeurs humanistes et de création de richesses. Ces années sont un bien commun de notre société, acquis par la levée systématique des multiples obstacles au suivi des traitements au long cours, à laquelle contribue en partie le remboursement à 100 % de frais médicaux : infections virales chroniques, rhumatismes inflammatoires, diabète, hypertension artérielle, sclérose latérale amyotrophique, broncho-pneumopathies chroniques, et bien d’autres. La question de l’ALD est en débat depuis cinq années, illustré par des rapports, des articles, des recommandations, des opinions, mais le débat n’a pas été ouvert aux citoyens et n’a pas conduit à une unanimité des experts.
On casse le thermomètre.
La suppression de l’ALD 12 de l’hypertension artérielle sévère est une confusion entre un marqueur de gravité médicale et les phénomènes complexes d’accès facile aux soins indispensables. En 2010, les personnes des pays riches vivent en bonne santé de plus en plus longtemps : est-ce bien ou mal, oui ou non ? Une parmi les multiples causes de ce résultat est une médicalisation plus précoce, mieux adaptée et plus longue : est-ce un excès ou une chance ? Une croissance annuelle de 1 % de la richesse nationale permet-elle pendant très longtemps une croissance annuelle de la dépense de santé de 3 %, sans recours à des formules d’emprunt qui handicaperont ou briseront les générations actuelles et à venir ? La situation est complexe en raison d’une double problématique médicale (la levée de barrières individuelles à l’accès aux soins) et économique (la chasse aux excès).
Le ballon d’essai du 23 juin 2011 a été désespérément simplificateur : le système de l’ALD coûte cher ? Supprimons-le, et le système sera guéri, alors que c’est le thermomètre que l’on casse ! Prenons l’hypertension artérielle sévère, le numéro 12, comme premier exemple et porte d’entrée ! Même le mot « sévère » n’a pas joué le rôle de signal d’alarme qu’il est censé avoir, dans la vie de tous les jours, auprès de la personne malade et auprès des soignants. Qui a préparé le dossier de l’ALD 12 : y a-t-il eu erreur, légèreté ou tromperie ? On le saura. Quelles étaient les données objectives analysées préalablement pour faire ce choix ? On les aura, ou plus probablement on s’étonnera d’en avoir si peu et si tard. Les documents disponibles contenaient-ils un argumentaire raisonnable pour justifier cette décision et proposaient-ils des suggestions intéressantes ? On les retrouvera, en particulier les analyses de la Haute Autorité de Santé. En un mois, un an, deux ans, peu importe, mais il faut absolument comprendre. Existaient-ils, existent-ils des solutions autres ? La réponse est bien sûr massivement positive. Beaucoup ? Oui ! On aura l’occasion de découvrir les premières à travers les analyses de la commission mise en place par la Direction Générale de la Santé remise à la place qu’elle aurait dû avoir.
Chacun compte ses sous.
Le titre du « Monde » du 23 mars 2012 est excellent : « À la Cour des comptes et chez les analystes, on s’inquiète de la gravité de la situation et du silence des politiques ». En réalité, on ne nous dit pas tout, comme dit l’humoriste, et l’envie d’être élu, qui devrait conduire à plus d’audaces, conduit à plus de frilosités. Quand on dit qu’on peut encore augmenter la qualité des soins, leur accessibilité et leur efficience, cela veut dire faire encore mieux, sans que certains gagnent plus, tandis que certains profiteront moins. Alors se lèvent, comme le vent avant la tempête, les craintes de l’avenir et les égoïsmes.
Les murs de défense entre de multiples territoires professionnels s’érigent, du soin des malades aux assurances-maladie et aux mutuelles, d’une catégorie de soignants à une autre, de l’innovation à la production et à la dispensation des produits de santé (2). Chacun compte ses sous, magnifie sa place sociale, profite individuellement d’une richesse collective qui s’évanouit, et pense que c’est aux autres de souffrir et pas à lui. La société se bloque par avance. En situation difficile, l’imagination doit prendre le pas sur la routine, la justice sur l’injustice, l’empathie sur le calcul, la rigueur sur la démagogie, l’action sur la théorisation. On peut obtenir que les hypertendus qui en ont réellement besoin soient tous dépistés, traités, et contrôlés, en coûtant, sur cinq années, deux fois moins cher à la solidarité nationale. On peut même le proposer comme un défi au prochain président, il n’y a pas que l’hypertension artérielle sévère qui soit concernée.
*Professeur Emérite de Santé Publique, à la Faculté de Médecine Paris-Descartes
1) « Financer nos dépenses de santé : Que faire ? » par Christian Prieur - Préface de Raymond Soubie. L’Harmattan, 2012.
2) « Médecine de la mémoire, mémoire de médecin », par Joël Ménard. Éditions Solal, 2012.
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