L’HISTOIRE de la vallée de la Bruche, à quelque 40 km de Strasbourg, ferait rêver plus d’un professionnel de santé publique soucieux des avortements des mineures. Ce territoire dépourvu de structure de planification familiale affichait au début du XXIe siècle un taux impressionnant d’IVG chez les moins de 18 ans (autour de 8 ou 9 % de l’ensemble des IVG). Alarmé par cette situation, le Pr Israël Nisand, gynécologue-obstétricien à Strasbourg, a lancé un dispositif innovant en 2002. Le principe est simple. Généralistes, pharmaciens et caisse primaire d’assurance-maladie de la vallée se sont réunis pour se partager les rôles. Les médecins sont partis à la rencontre des élèves dans les écoles, ont expliqué aux jeunes filles qu’elles ne subiront pas d’examen gynécologique, tant redouté, lors d’une première consultation, et leur ont assuré une écoute en toute confidentialité. Les adolescentes repartent avec une ordonnance tamponnéegrâce à laquelle les pharmaciens les identifient, afin de leur donner, discrètement, préservatifs et moyens de contraception. Ils sont remboursés en tiers-payant sous le code de la contraception d’urgence, et les généralistes sont payés directement par la Sécurité sociale, sans que la jeune fille ne verse un centime de sa poche ou n’utilise la carte Vitale de leurs parents. Résultat : le taux d’IVG chez les mineurs a été divisé par 4.
Le succès de l’expérimentation tient à la conviction profonde qui anime Israël Nisand (il publie à ce sujet un rapport en novembre, déjà transmis à Jeannette Bougrab, secrétaire d’État à la Jeunesse) : il est absurde qu’en France IVG et contraception d’urgence soient anonymes et gratuites pour les jeunes, et non la contraception régulière. Bérengère Poletti, députée UMP des Ardennes et auteure de 2 rapports sur ce problème, partage son constat : « En cas d’urgence, la jeune fille sait très bien qu’elle peut s’adresser au pharmacien. En revanche, elle ne sait pas où aller pour obtenir une contraception régulière lorsqu’elle est loin des centres de planification ou qu’elle ne peut payer un médecin ». C’est aussi l’avis du président du Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF), le Pr Francis Puech : « Il faut étendre l’anonymat et la gratuité à la contraception régulière pour faire diminuer les IVG chez les mineurs et quiconque prend conscience de la gravité d’un tel événement dans la vie d’une jeune fille ne peut que se rallier à cette idée. »
Peu d’information.
Cette solution apparaît d’autant plus urgente que les dispositifs d’information montrent leurs limites. La loi Aubry de 2001, prévoyant au moins 3 séances annuelles dans les écoles, collèges et lycées, n’est pas appliquée et sa mise en œuvre demeure à la discrétion des académies et établissements. « Quelques proviseurs, des femmes souvent, sont très motivés. D’autres estiment que le tabac et l’alcoolisme des jeunes sont des problèmes plus urgents », rapporte Mme Poletti. « En revanche 95 % des mineurs ont déjà vu un film pornographique, qui tient désormais lieu et place d’éducation à la sexualité », tonne, provocateur, Israël Nisand.
Malgré tout, de puissants obstacles freinent depuis dix ans la mise en application de la contraception anonyme et gratuite. « C’est un dossier qui a été politisé, déplore le Pr Nisand, et le souci de garder l’électorat conservateur l’a emporté sur l’intérêt des jeunes filles, qui ne votent pas. » Les choses sont peut-être en train de changer. Bérengère Poletti, qui s’apprête à déposer une proposition de loi, assure de son côté voir ses positions mieux acceptées à l’assemblée. « Que ce soit sur le terrain ou dans le monde politique, je sens les personnes favorables et sensibles aux arguments qu’on leur présente ».
Mais c’est sans compter les réticences de certains parents, qui considèrent que la sexualité de leur progéniture est affaire de famille. C’est pourtant loin d’être évident. « Il est normal qu’à l’adolescence, l’enfant, même s’il y a toujours eu un bon dialogue dans la famille, veuille protéger ses parents et ne pas leur faire part de sa sexualité naissante », analyse le Pr Nisand.
L’ambiguïté des PASS
Le lancement le 26 avril dernier du PASS contraception dans les lycées d’Ile-de-France n’a pas manqué de susciter, en effet, le mécontentement de la Fédération des parents d’élèves (PEEP). Mais l’expérimentation semble, pour l’instant, fonctionner, dans une région où sont réalisées 25 % des 200 000 IVG françaises, et où les centres de planification familiale ferment, faute de financement. « Au 15 septembre, 544 chéquiers ont été délivrés aux filles et garçons qui le demandaient à l’infirmière scolaire, dont 35 % en lycée général, et 65 % en lycée professionnel », indique Laure Lechatellier, vice-présidente chargée de l’action sociale, de formation sanitaire et sociale, de la santé et du handicap au conseil régional d’Ile-de-France. S’il est encore trop tôt pour analyser ces premiers chiffres, elle n’hésite pas à souligner le rôle de déclencheur qu’ont pu jouer le PASS et la mini-polémique qui en a accompagné la sortie. « Cela a suscité une conversation entre parents et enfants. Visiblement, le PASS, qui est présenté par des membres du planning familial, ou des Centres régionaux d’information et de prévention du sida (CRIPS), répond à une attente des adolescents ».
Mais, comme le reconnaît le Conseil régional, cette initiative, comme d’autres qui fleurissent dans les régions, pallie une carence de l’État. De là à penser qu’elle pourrait être contre-productive, il n’y a qu’un pas que franchit allégrement le Pr Israël Nisand. « Tant qu’il n’y pas de projet national avec des dispositifs qui s’imposent sur tout le territoire, on ne résoudra pas le problème des IVG des mineures. »
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