« CHAQUE ANNÉE en France, on recense environ 90 000 IVG chez des femmes de moins de 25 ans. C’est un chiffre qui pourrait être divisé par deux (voire trois) si notre pays voulait se donner les moyens de mener une véritable politique de santé publique dans ce domaine. Les solutions existent : la question est de savoir si on a la volonté politique de les appliquer », indique le Pr Israël Nisand.
Le 16 février dernier, le Pr Nisand a remis un rapport sur la sexualité des adolescentes à Jeannette Bougrab, secrétaire d’État chargée de la jeunesse et la vie associative. Rédigé avec la gynécologue Brigitte Letombe et la psychanalyste Sophie Marinopoulos, ce rapport a été publié sous la forme d’un livre : « Et si on parlait de sexe à nos ados ? », aux éditions Odile Jacob.
Dans la préface, Jeannette Bougrab assume son choix d’avoir commandé ce rapport sur un sujet « tabou », la sexualité des adolescents, qui peut aboutir à la naissance d’un enfant désiré ou non. « En 2010, 18 000 mineures sont tombées enceintes, 4 500 sont allées au bout de leur grossesse. Presque 12 000 jeunes filles, pour la seule tranche d’âge 15-17 ans, ont eu recours à une IVG en 2009, 17 000 pour la tranche des 17-19 ans. Il n’est donc plus acceptable d’ignorer un tel sujet car il est un marqueur social », écrit Jeannette Bougrab.
Centré sur la sexualité des adolescentes et la contraception, ce rapport a suscité des réactions sur la question de l’IVG et à des échanges assez vifs dans des tribunes publiées dans la presse. « On nous a accusés d’être des « entrepreneurs de morale » alors que Brigitte Letombe et moi-même sommes des praticiens de l’IVG de la première heure qui avons toujours lutté pour une meilleure accessibilité et pratique de l’IVG. Mais il ne nous semble pas que l’obtention en 2001 de la gratuité et de l’anonymat de l’IVG chez les mineures nous dispense d’en faire davantage, c’est-à-dire de tout faire pour tenter d’en limiter le nombre par une vraie politique de prévention surtout en début de vie sexuelle. Surprenant quand même que ce discours puisse être interprété comme un discours anti-IVG ? », indique le Pr Nisand.
Confidentialité constante et crédible.
Au terme de son rapport, ce dernier avance 18 propositions. Il préconise d’abord une confidentialité « constante et crédible » dans la délivrance de la contraception aux mineures et surtout la gratuité de l’ensemble des moyens contraceptifs et des préservatifs pour les moins de 18 ans. « La confidentialité et la gratuité dans les cabinets médicaux figurent déjà dans la loi de 2001 sur la contraception, mais les mesures permettant l’application de ce texte n’ont malheureusement jamais été mises en place », constate le Pr Nisand, en regrettant qu’on ait réservé seulement aux centres de planning et de planification familiale cette mission d’information des jeunes et de délivrance gratuite de la contraception. « Je ne remets pas en cause la qualité du travail de ces centres, mais leur éloignement d’un très grand nombre de Françaises. Quelles sont les ressources accessibles pour une femme du Cantal qui habite à 150 km d’un centre de planning familial ? Encore une fois, dans notre pays, on a voté une loi sans se poser la question de son application sur l’ensemble du territoire », déplore le Pr Nisand.
Pour permettre la gratuité de la contraception aux mineures, le Pr Nisand préconise la création d’un « forfait contraception » qui serait proposé par l’État aux laboratoires pharmaceutiques. « Ce forfait pourrait être de 7 € par mois et par mineure pour les contraceptions innovantes ne figurant pas au tableau des produits pharmaceutiques remboursés. Le coût annuel, par mineure, serait donc de l’ordre de 80 €, auquel il faudrait ajouter le prix d’une consultation annuelle de renouvellement. Ce coût devrait être mis en regard du coût d’une IVG, de l’ordre de 350 € », indique le Pr Nisand qui, avec le Dr Letombe, a contacté les trois industriels du secteur qui commercialisent des contraceptions innovantes. « Ils nous ont fait part de leur accord de vendre leurs produits aux alentours du prix coûtant, soit 7 €/mois, dans le cadre de cet accord conclu avec l’État pour les mineures », ajoute-t-il.
Réseaux pluridisciplinaires.
Le rapport réclame aussi la mise en place de réseaux pluridisciplinaires d’orthogénie, regroupant des médecins, des pharmaciens, des sages-femmes, des infirmières scolaires et des conseillers conjugaux. La mission de ces réseaux, répartis sur tout le territoire, serait d’assumer des missions de prévention auprès des jeunes. « C’est un réseau de ce type que nous avons mis en place il y a dix ans dans la vallée de la Bruche (Bas-Rhin), une région distante d’une cinquantaine de kilomètres de Strasbourg. Dans le cadre du réseau, des médecins, des infirmières et des sages-femmes vont faire de l’information dans les écoles. Les jeunes filles savent qu’ensuite elles pourront retourner voir un de ces professionnels avec l’assurance de la gratuité de la confidentialité par rapport aux parents et la certitude qu’aucun examen gynécologique ne leur sera imposé. Elles se verront délivrer une ordonnance « info ado » qui leur permettra d’être accueillies en toute confidentialité par un pharmacien qui leur donnera des préservatifs et des contraceptifs », explique le Pr Nisand, en insistant sur le succès de cette initiative. « Le taux d’IVG, qui était au départ très important, a aujourd’hui très largement chuté dans la région », indique-t-il.
Dans son rapport, le Pr Nisand juge aussi nécessaire de préparer le corps médical de proximité, incluant donc des généralistes, à la pratique d’une consultation d’information sur la vie sexuelle et contraceptive qui serait délivrée une fois dans la vie de la femme et rémunérée à hauteur d’un C2. « Une formation sur l’instauration d’une contraception et surtout sur l’approche psychologique des adolescentes pourrait leur être proposée et serait « labellisante » dans le cadre de leur formation continue », précise-t-il.
Autre proposition : rémunérer, au prorata de leur engagement horaire, les professionnels libéraux qui participeront à l’application de la loi de 2001 sur l’information à la sexualité en milieu scolaire. « Cela concerne les généralistes, les infirmières, les sages-femmes, mais aussi les gynécologues. Quand on va dans un établissement scolaire pour une intervention de deux heures, on est obligé de fermer son cabinet. Il est donc normal d’être justement rémunéré pour cette mission importante », souligne le Pr Nisand, en regrettant que cette information scolaire, prévue dans la loi de 2001, n’ait « jamais pu se mettre véritablement en place, notamment du fait de la pression de certaines associations de parents d’élèves ».
D’après un entretien avec le Pr Israël Nisand, chef du service de gynécologie-obstétrique, CHRU, Strasbourg.
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