« Le Quotidien » nous a offert pendant les fêtes une piquante fiction : les médecins exaspérés par le tiers payant faisaient exploser le système en imposant le déconventionnement massif.
Il est question ici de faire l’exercice inverse, de mettre en lumière la généalogie de ce blocage. L’histoire n’est pas si loin de la fiction…
Le refus du tiers payant s’inscrit dans le prolongement d’une histoire qui commence dans le premier tiers du XXe siècle. Une date fait référence : le 30 novembre 1927. Ce jour-là, les syndicats médicaux réunis en congrès, adoptent la Charte de la médecine libérale. Sept articles la composent, un mot la résume : autonomie. La médecine libérale était née.
Cette Charte reste aujourd’hui le texte sacré de la profession : liberté de choix, liberté de prescriptions, paiement direct des honoraires par le patient.
Alors qu’à la même époque, la médecine anglaise reste fondamentalement une médecine d’État, la médecine française impose ses règles à l’État républicain.
La suite ne sera qu’une succession d’affrontements. Déjà au début des années 1920, alors que le président du Conseil Alexandre Millerand voulait créer des assurances sociales inspirées par celles mises en place par le chancelier Bismarck, le puissant syndicat des médecins de la Seine montait au créneau : « La loi de l’assurance maladie aura pour effet de nous aliéner notre liberté. Notre carrière a joui d’une très belle et noble indépendance que les lois sociales tendent à détruire peu à peu. » Quand la loi est malgré tout adoptée en avril 1928, le Dr Cibrié, leader des contestataires, lance un appel à la rébellion : « Il convient de mettre la loi pardessus bord. Il faut immédiatement entamer la lutte. » Les médecins firent reculer le gouvernement, une nouvelle loi fut votée sous le contrôle des syndicats de médecins doublée d’avertissements menaçants : « Si la loi ne nous satisfait pas, nous entrerons en lutte. »
Lorsqu’il fonde la Sécurité sociale en 1945, Pierre Laroque doit batailler avec le corps médical pour remettre en cause le principe d’entente directe entre le praticien et le patient sur le montant des honoraires. On ne pouvait, à l’évidence, concevoir un système d’assurance-maladie généralisée à toute la population, sans définir une limitation du prix des prestations médicales. À nouveau, les pouvoirs publics devront céder sous la pression des syndicats médicaux.
Aujourd’hui l’enjeu de la bataille est l’article 83 et plus précisément son alinéa 5 : « À compter du 30 novembre 2017, les professionnels de santé exerçant en ville appliquent le tiers payant à l'ensemble des bénéficiaires de l'assurance maladie. » Bien sûr, il y a le poids administratif, le tiers payant c’est une énorme contrainte pour les généralistes déjà dévorés par les tâches administratives. Pourtant il serait bien léger d’en rester à cet argument.
L'enjeu de l'autonomie
Ce que les médecins défendent en s’opposant aussi farouchement au tiers payant c’est leur autonomie. L’autonomie ! Pour mesurer la force de cette revendication, il était nécessaire de la ressaisir dans l’histoire de la profession.
L’autonomie, si âprement défendue par la profession médicale, a été la force de notre médecine, une médecine réactive, inventive, proche des patients. L’autonomie a fait le prestige de notre médecine que de nombreux pays nous enviaient. Qu’en est-il aujourd’hui ? L’opposition au tiers payant ne risque-t-il pas de nous conduire vers la décadence. Nous sommes le dernier pays en Europe à exiger l’avance des frais.
Vers la décadence, car elle bloque l’avènement d’une transformation radicale de la pratique médicale. Je veux parler de l’e-médecine qui sera, qu’on le veuille ou non, la médecine de demain. La vieille temporalité de la consultation-examen clinique-prescription-paiement ne convient plus, elle freine le développement d’autres formes de rencontres entre le médecin et son patient : téléphone, SMS, mail, vidéotransmission.
Seules d’autres formes de rémunération comme la capitation ou le salariat déjà adoptés dans de nombreux pays européens et souhaitée par une part non négligeable de la jeune génération permettront l’essor de l’e-médecine et la promotion des médecins généralistes aux commandes du système de santé.
Les médecins généralistes en s’opposant au tiers payant ne jouent-ils pas contre eux-mêmes ? L’avenir de notre système de santé, repose sur la médecine générale, seule capable de réguler l’offre de soins, de porter de véritables politiques de préventions. Le généraliste pivot du système, on ne cesse de le proclamer, pourtant on ne lui en donne pas les moyens. Il faudrait autour du généraliste une solide logistique administrative. Et pourquoi n’irait-on pas prélever cette logistique sur le stock pléthorique des fonctionnaires de nos ARS sur bureaucratisés qui produisent de la norme pour justifier leur présence. Alors pour ce nouveau généraliste mieux rémunéré, mieux entouré, la bataille du tiers payant paraîtra bien dérisoire.
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