En principe, les personnes détenues et la population générale devraient être égales en matière d'accès aux soins. Mais la réalité est tout autre, comme l'illustre un rapport de l'Observatoire international des prisons (OIP) publié ce 6 juillet, qui plaide notamment en faveur d'une politique volontariste pour attirer les médecins en prison.
L'OIP s'est penché sur les soins somatiques spécialisés, peu documentés, contrairement à la situation des soins psychiatriques (tout aussi dramatique). En 2021, l'Observatoire a reçu près de 200 sollicitations portant sur les soins spécialisés de la part de détenus malades, sur 400 signalements portant sur l'accès aux soins somatiques (et 900 en prenant en compte la santé psychique). C'est en partie sur ces sources que se fonde le rapport de l'OIP, qui en outre a mené une enquête par questionnaire auprès de personnes détenues (43 réponses) et auprès des médecins coordonnateurs des unités sanitaires (14 réponses) et conduit des entretiens auprès de 15 médecins.
Un accès aux soins dégradé
Sans surprise, le constat est alarmant. L'examen de santé à l'entrée en prison est sommaire, et fait souvent l'impasse sur le dépistage et la prévention des maladies infectieuses (VIH, hépatites). Certaines spécialités demandent des mois d'attente pour avoir un rendez-vous : les soins dentaires, la kinésithérapie, l'ophtalmologie, la gynécologie, la cardiologie et la psychiatrie. Quand une consultation spécialiste est tout simplement impossible, comme s'en plaignent trois quarts (32) des 43 répondants au questionnaire diffusé par l’OIP aux personnes détenues.
« À cause de ces problèmes d’accès aux soins, j’ai du mal à garder le lien avec les détenus, ils sont en colère, ils jettent l’éponge », témoigne la Dr Ariane Mayeux, médecin cheffe de l’unité sanitaire du centre de détention de Riom. Les patients, eux, voient leurs pathologies s'aggraver ou passer sous les radars. Comme ce fut le cas de Laura B., 26 ans, qui, eu égard à ses antécédents gynécologiques, demande un frottis à son arrivée au centre de détention de Roanne en 2020. Il lui est refusé par la gynécologue. Ce n'est que lors d'un aménagement de peine 1,5 an qu'un nouveau frottis révèle qu'elle souffre d'un cancer du col de l'utérus à opérer en urgence.
Sortir des murs de la prison pour aller se faire soigner est un parcours du combattant. Les extractions pour raisons médicales, qui nécessitent une escorte pénitentiaire, sont régulièrement annulées. Lorsqu'elles ont lieu, c'est souvent au détriment du respect de la dignité des patients (examinés menottés, en présence de personnel pénitentiaire). Quant aux permissions de sorties pour soins, sans surveillance pénitentiaire, elles sont rarement accordées, tout comme les remises en liberté lorsque l'état de santé de la personne n'est pas compatible avec la détention (pathologie chronique grave, handicap, dépendance).
Valoriser et renforcer l'exercice en prison
Au premier rang des causes de ces dysfonctionnements, figure le manque de soignants : sous-évalués, les besoins sont insuffisamment pourvus faute d’attractivité des postes mais aussi de volontarisme des autorités de santé, lit-on.
L'OIP préconise donc de réviser le calcul de la dotation en personnel médical spécialisé afin qu'il soit en adéquation avec les besoins sanitaires de la (sur)population carcérale, de financer de manière pérenne les postes de certains spécialistes dans les unités sanitaires en milieu pénitentiaire (USMP), notamment lorsque la télémédecine s'avère un pis-aller peu satisfaisant (dentisterie, kinésithérapie, gynécologie, ophtalmologie, etc.), et de favoriser le recrutement du personnel via une démarche volontariste auprès du corps médical en poste ou en devenir.
Les primes ne suffiront pas, selon la Dr Béatrice Carton, présidente de l'Association des professionnels de santé exerçant en prison (Apsep), qui insiste sur la nécessité de « remettre sur la table les conditions d’exercice » et de travailler sur la carrière. « Il faut qu’on reconnaisse qu’on fait un travail un peu particulier, qui fait qu’on acquiert une spécificité qui devrait être valorisée », estime-t-elle.
La formation des personnels doit être renforcée pour que le sanitaire prime sur le sécuritaire : ce qui suppose de rappeler aux acteurs pénitentiaires les exigences imposées par le secret médical et de former les soignants aux spécificités de la prison. « Les jeunes médecins ne connaissent pas la médecine pénitentiaire. Quand il y a des postes d’internes en détention, les coordinateurs de faculté ne les ouvrent pas », déplore la Dr Marie Ahouanto-Chaspoul, conseillère santé de la Direction de l’administration pénitentiaire.
Parmi les autres freins à l'accès aux soins somatiques, pèsent les conditions matérielles : locaux inadaptés et mal équipés, contraintes logistiques liées à l’univers carcéral, logique sécuritaire… L'OIP demande donc que les locaux des unités sanitaires soient adaptés, dotés du matériel nécessaire pour les spécialités présentes en prison et que les actes soient effectués dans le respect du secret médical.
Favoriser les soins hors les murs
En matière de prévention, l'OIP appelle à réitérer les propositions de dépistage au cours de la détention (notamment pour le cancer et les maladies infectieuses).
L'observatoire soutient la possibilité des soins hors les murs de la prison. Il s'agit d'une part de permettre les extractions pour raison médicale, tout en rappelant l'importance des droits du patient détenu : les moyens de contrainte et de surveillance doivent être proportionnels à sa situation, la présence d’un surveillant lors de la consultation doit être motivée par écrit et les soignants hospitaliers doivent connaître les droits des détenus extraits.
D'autre part, l'OIP plaide pour généraliser les permissions de sortie pour soin, voire la remise en liberté des personnes en fin de vie, ou souffrant d'une maladie longue et grave et de dépendance. Cela implique de réviser les critères fixant l’incompatibilité de l’état de santé d’une personne avec la détention, de repérer systématiquement les plus fragiles, de sensibiliser les juges de l’application des peines. À défaut, il est indispensable d'assurer l’hébergement des personnes dans des cellules aux normes PMR (personnes à mobilité réduite) et l’intervention de soins infirmiers au sein des établissements.
Enfin, l'OIP demande, pour éviter les ruptures de soins à la sortie, qu'un rendez-vous médical soit automatiquement proposé en amont et qu'une consultation médicale soit prévue dans les six mois suivant la sortie.
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