Lutte contre les incivilités

SNCF : une tâche de Sysiphe

Publié le 06/12/2012
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SNCF Voyageuse Il n y a pas d incivilité

SNCF Voyageuse Il n y a pas d incivilité
Crédit photo : Photo AFP

ON A ENVIE de dire : « Bon courage ! » à la direction de la SNCF parce qu’elle en aura besoin autant que de persévérance. Il ne s’agit pas du tout de la correction d’une petite dérive publique, mais d’une lutte acharnée contre un fléau qui ouvre la voie à la délinquance, puis au crime. L’exemple, en la matière, vient de New York, où le principe d’intolérance zéro a été appliqué par l’ancien maire Rudy Giuliani, suivi par le maire actuel, Michael Bloomberg. L’autre jour, on célébrait à New York une journée sans homicide. Le nombre de crimes, qui dépassait 4 000 annuellement, est tombé à un demi-millier. Ce n’est pas une chasse forcenée aux assassins qui a diminué la la criminalité à New York, c’est l’arrestation systématique par la police des gosses qui taguent un mur, cassent la vitre d’une école, braillent dans le métro, fument un joint dans un bus ou s’attaquent aux petites vieilles ou aux femmes seules. La théorie, en effet, veut que la grande délinquance trouve ses racines dans la petite.

Les moyens manquent.

La SNCF a pris l’affaire en main parce que tags, bris de vitre, fauteuils défoncés, mégots jetés entraînent d’énormes dépenses d’entretien qui grèvent son budget. Mais ce n’est pas son travail et là, forcément, ce qui manque, ce sont les moyens. Si des contrôleurs doivent s’y mettre à trois pour obliger un jeune à payer son ticket, on vous laisse imaginer les moyens de dissuasion à mettre en place pour éliminer les déprédations et les comportements inquiétants ou embarrassants pour un public dont la majorité est tranquille et bien éduquée. Les catégories de population visées par la dissuasion ne savent même pas qu’il existe un autre comportement, celui du respect des gens, qui inhibe, chez la plupart d’entre nous, toute envie de semer le désordre dans un train, un bus ou ailleurs. L’idée que des comportements proches de la délinquance sont insupportables pour la plupart de nos concitoyens n’effleure même pas l’esprit de ceux que la SNCF désire corriger. Les micro-trottoirs réalisés à la télévision le démontrent sans peine. Testée auprès de beaucoup de jeunes, la lutte contre les incivilités les laissent indifférents. Ils ne perçoivent pas le mal qu’il y a à resquiller. Ils ne voient pas pourquoi, s’ils fument, ils gênent leurs concitoyens. Ils ne voient pas pourquoi, s’ils parlent trop fort au téléphone, ils cassent les oreilles de leurs voisins ou pourquoi ils cèderaient leur siège à une petite vieille essouflée. Ils ne savent pas de quoi on leur parle.

Dans ces conditions, le travail à faire n’est pas celui de la persuasion. Il consiste à établir une règle sans en expliquer les fondements moraux. On crée le modèle et on en fait un tabou à ne pas transgresser. On assortit toute transgression à une peine relativement lourde, « disproportionnée », comme aiment le dire tous ceux qui militent en faveur de la tolérance et de l’exégèse faite aux jeunes, qui seraient plus victimes que coupables et se contenteraient d’exprimer, par leur inconduite, toute la douleur qu’ils ressentent aux mains d’une société cruelle qui ne leur ménage aucun avenir.

CREER UN TABOU A NE PAS TRANSGRESSER

C’est vrai. Mais il faut bien remettre de l’ordre avant de prendre en compte les difficultés de tel ou tel groupe social. D’ailleurs rien n’interdit de faire les deux simultanément : ne jamais oublier les racines du mal et tenter de les extirper tout en créant un univers d’où les incivilités auraient disparu. Il y faut plus que de malheureux contrôleurs qui risquent à chaque instant de subir des violences. Il faut des policiers assez bien équipés et en nombre suffisant pour en imposer à des jeunes qui eux-mêmes n’ont pas peur de la violence. Le combat individuel de la SNCF risque donc de produire des résultats insuffisants. Ce n’est pas demain que l’on rétablira dans les transports en commun l’atmosphère rassurante qui y régnait il y a une demi-siècle .

RICHARD LISCIA

Source : Le Quotidien du Médecin: 9202