Le Conseil d’État a annulé ce 30 mai l'interdiction provisoire d'exercer la médecine infligée par l’Ordre des médecins à une pédopsychiatre de Toulouse, la Dr Eugénie Izard, pour avoir signalé des suspicions de maltraitances à un juge des enfants.
La Dr Eugénie Izard, présidente du Reppea (réseau de professionnels pour la protection de l'enfance et de l'adolescence), avait été condamnée en décembre 2020 par la chambre disciplinaire nationale de l’Ordre des médecins à trois mois de suspension d'exercice de la médecine pour avoir fait un signalement concernant une patiente de 8 ans qu'elle suivait, au juge des enfants - et non au seul procureur de la République.
Sept ans de procédure
L'affaire commence en 2014. Présumant des maltraitances de la part du père, la pédopsychiatre adresse un premier signalement en octobre 2014 au procureur de la République, puis un second signalement en mars 2015 de nouveau au procureur, ainsi qu'au juge des enfants chargé de la protection de la fillette. C'est alors que le père poursuit la pédopsychiatre devant le conseil départemental de Haute-Garonne de l’Ordre des médecins. La Dr Izard est sanctionnée d'un avertissement ; elle fait appel, tout comme le conseil départemental.
Mais le 10 décembre 2020, la chambre disciplinaire nationale de l’Ordre des médecins durcit la sanction en interdisant au médecin d'exercer pendant une durée de 3 mois à compter du 1er avril 2021. Le juge disciplinaire de l'Ordre des médecins lui reproche en effet d'avoir enfreint le secret médical en saisissant le juge pour enfants à la place du procureur de la République ; il lui reproche aussi un second grief, son « immixtion dans les affaires de famille ».
Dès le 30 avril 2020, le Conseil d'État suspend son interdiction d'exercer (prononcé au titre de la violation du secret médical) et oblige le Conseil départemental de Haute-Garonne à lui verser 3 000 euros au titre des frais de justice. Une décision temporaire, le temps que le pourvoi de la Dr Izard soit tranché sur le fond. C'est chose faite. Et le Conseil d'État, en cassation, confirme donc sa jurisprudence initiée au printemps 2020.
Signaler au juge pour enfant n'est pas, à lui seul, violer le secret médical
« La seule circonstance que ce signalement ait été adressé au juge des enfants (...) ne saurait, à elle seule, alors que le juge des enfants était déjà saisi de la situation de cet enfant, caractériser un manquement » au Code de la santé publique et au secret professionnel, indique ce 30 mai le Conseil d'État dans sa décision.
« La décision du 10 décembre 2020 de la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins est annulée et l'affaire est renvoyée à la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins », poursuit-il. Le Dr Izard reste en revanche susceptible « d'être condamnée pour immixtion dans les affaires de famille, étant accusée d’avoir soutenu la mère pour faire reconnaître des maltraitances », a précisé la pédopsychiatre elle-même.
« Nous, médecins, avons besoin de signaler nos suspicions de maltraitance au juge chargé de la protection des enfants », a-t-elle encore réagi auprès de l'AFP, se disant « satisfaite » sur ce point.
La protection des médecins en question
Avec la Dr Françoise Fericelli, la Dr Eugénie Izard est à l'origine du collectif « Stop violences », qui demande l'inscription de l'obligation de signalement dans la loi et l’irrecevabilité par l’Ordre de toute plainte s’inscrivant dans le cadre de la suspicion de maltraitances. Sans aller jusque-là, la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) a demandé la suspension de toute procédure disciplinaire pendant l’enquête pénale à la suite d’un signalement effectué par un médecin pour suspicion de violences sexuelles contre un enfant.
De son côté, le Conseil national de l'Ordre des médecins reconnaît la « nécessité d'une réflexion pour mieux protéger les médecins, notamment les libéraux, qui signalent de bonne foi », selon les termes de la vice-présidente, la Dr Marie-Pierre Glaviano-Ceccaldi, recueillis en avril dernier par « Le Quotidien ». En revanche, elle défend l'intérêt d'un interlocuteur unique pour adresser un signalement : « Plus on multiplie les interlocuteurs, plus cela devient compliqué. Nous sommes pour un interlocuteur unique, le procureur de la République, qui a tous les pouvoirs pour diligenter une enquête et déclencher les dispositifs de protection adéquats ».
Quelque 160 000 enfants seraient victimes de violences sexuelles, principalement d'inceste, chaque année en France. Les médecins ne seraient à l'origine que de 5 % des signalements de maltraitances sur mineurs.
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