Plus de la moitié des causes de mortalité dites évitables (avant 65 ans) sont d’origine comportementale : tabagisme y compris passif, consommation excessive d’alcool, surpoids et obésité, sédentarité. La maîtrise de ces quatre facteurs de risque accroit l’espérance de vie, souvent de plus de 10 ans(1, 2) ! Pourtant, en consultation, le seul repérage de ces quatre facteurs est loin d’être pratiqué de manière systématique, sans parler de leur prise en soin. Et en France… la dépendance médicamenteuse est très forte, l’obésité technologique s’accroît. Alors que, comme l’écologie externe, l’écologie interne devrait se développer, en particulier dans la pratique soignante.
Pourquoi ce désintérêt ? Le manque de disponibilité en particulier temporelle et de reconnaissance financière est une explication au moins partielle concernant les soignants et, pour les personnes malades, il n’est pas si simple de changer un mode de vie.
La médecine comportementale basée sur les faits EBM (Evidence Based Médecine), de haut niveau scientifique, existe… mais au contraire de l’EBM des examens complémentaires, de la prescription médicamenteuse, elle est méconnue ou déléguée (par exemple, du médecin spécialiste au généraliste ou à l’infirmière...) ou pire, considérée comme n’appartenant pas au domaine soignant. La rigueur scientifique peut être sélective !
L’EBM est mal comprise : dans sa définition, les données scientifiques doivent s’adapter aux caractéristiques de chaque patient et à l’expérience du médecin ! Examens complémentaires, médicaments et chirurgie oui ; modifications comportementales non. Les médecins seraient ils borgnes (3) ?
L’information nécessaire, pas suffisante
Ne soyons pas trop négatifs : des progrès existent, par exemple au sujet de l’Activité Physique (AP) : marchez trois quarts d’heure trois fois par semaine... Mais si l’information est nécessaire, elle n’est pas suffisante : il ne suffit pas de dire. Le plus souvent, la personne malade n’est pas à un stade d’action mais d’intention, voire de contemplation ; le simple conseil (« Faites ceci, faites cela ») est alors voué à l’échec. Il est préférable d’intégrer l’AP dans les mer les soignants à l’entretien motivationnel ainsi qu’à l’intervention brève selon des techniques enseignées dans d’autres professions.
Ces techniques ont prouvé leur efficacité en particulier dans le domaine de la consommation d’alcool et de l’AP. Elles ne s’adressent qu’à des personnes peu ou pas dépendantes… mais ce sont les situations les plus fréquentes ! Les personnes avec forte dépendance relèvent davantage du soignant addictologue. Ces techniques relationnelles nécessitent l’implication du soignant ; la relation de soin en est enrichie et valorisée, « réenchantant » les soins. Il se pourrait que cette pratique soignante, enseignée dès le premier cycle des études soignantes, et pratiquée (y compris à l’hôpital), motive les futurs médecins pour exercer la médecine générale plus que les stages de sensibilisation. Elle permettrait aussi de lutter contre la dépendance médicamenteuse et ses conséquences néfastes sur le plan individuel… et économique !
En pratique, comment faire ? Mettre en application la prescription verte : ne pas ordonner mais faire de la maïeutique ; aider à choisir l’action dont la personne se sent capable, même minime, même très en-deçà de l’objectif théorique optimal, action simple de la vie quotidienne (marche autour de tel parc ou d’un lac ou vers un commerce, passer d’une baguette de pain à un tiers de baguette…). Vérifier ensuite sur une échelle visuelle de 0 à 10 les chances que la personne se donne de réaliser l’objectif pour la prochaine consultation (importance du suivi et de la conviction du soignant : être convaincu pour être convaincant). Moins de 5/10 ? Se fixer un objectif plus réaliste.
Peu d’objectifs : un voire deux (un d’activité physique, un sur le plan alimentaire, par exemple). Enfin écrire l’objectif choisi par le malade (et non imposé par le soignant, même s’il aide), le contrat qu’il s’est fixé (vis-à-vis de lui-même et du soignant ) sur une ordonnance (qui « n’ordonne pas » !). Si prescription médicamenteuse associée (non obligatoire), elle sera faite sur la même ordonnance, après le contrat écrit. Une telle présentation n’est pas neutre sur le plan symbolique !
Critique : oui mais la durée de consultation ? Dans la pratique de l’auteur, moins d’un quart d’heure pour la seule prescription verte. L’« ordonnance » est donnée au malade, diffusée au médecin généraliste si le contrat a été passé avec un spécialiste. La prescription doit au mieux être accessible à l’infirmière libérale, au pharmacien qui peuvent aider à la motivation en rappelant le contrat. A la visite suivante, le contrat pourra être rediscuté et, si succès, un objectif plus ambitieux sera envisagé. L’efficacité de la prescription verte a été scientifiquement argumentée (4) : écrire un contrat passé entre deux personnes est plus efficace que de dire un objectif !
* Professeur de médecine (hépatogastroentérologie), Université Victor Segalen Bordeaux
(1) Khaw KT et col., « Combined Impact of Health Behaviours and Mortality in Men and Women:
The EPIC-Norfolk Prospective Population Study », PLoSMed. 2008 ; 5: e12. doi:10.1371.
(2) Danaei G. et col., « The promise of prevention : the effects of four preventable risk factors on national life expectancy and life expectancy disparities by race and county in the United States ». PLoSMed. 2010 ; 7:e1000248.
(3) Couzigou P., « Les médecins seraient-ils borgnes ? », Presse Médicale 2013 ; 42 :1551-4
(4) Swinburn B., « The green prescription study : a randomized controlled trial of written exercise advice provided by general practitioners ». Am J Public Health, 1998. 88 : p. 288-91.
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