PAR JEAN LEONETTI, JEAN-PIERRE DOOR, GUY LEFRAND ET JEAN-MARIE ROLLAND*
IL EXISTE depuis plus de trente ans dans notre pays un malentendu persistant entre le corps médical et les décideurs des politiques de santé.
Les médecins, quel que soit leur mode d’exercice, ont vis à vis des réformes successives une attitude de méfiance ou de refus. La nature même de la pratique médicale organisée autour d’une relation personnelle entre le médecin et son malade s’accommode mal des contrôles de l’administration, dans une démarche purement comptable qui, aux yeux du médecin, entrave la liberté d’exercice de son métier et porte préjudice à son malade. Le corps médical est irrité de constater qu’on lui refuse le copilotage effectif de la gestion hospitalière, la mise en œuvre de la vaccination grippale et qu’il consacre de plus en plus de temps à des tâches administratives. Les pouvoirs publics, quant à eux, considèrent que des moyens financiers de plus en plus importants sont consacrés à la santé et regrettent l’individualisme de la profession, qui peut être source à leurs yeux de dérives financières.
Ce dialogue de sourds qui oppose artificiellement les stratégies médicales aux stratégies comptables et les situations individuelles aux organisations collectives de la santé est source de difficultés pour les malades, de dépenses inutiles pour la collectivité et de malaise d’une profession qui a profondément changé ces dernières années.
Le médecin a aujourd’hui plus de moyens et plus de contraintes. Il dispose en effet d’un arsenal diagnostique et thérapeutique performant et coûteux. Les choix médicaux qu’il effectue dans l’intérêt de ses patients, ne peuvent s’affranchir de leurs conséquences économiques et financières vis-à-vis de la collectivité. Les jeunes praticiens acceptent plus difficilement de sacrifier leur vie de famille à un métier qui pourtant les passionne. Les malades plus et quelquefois mal informés sont plus exigeants vis-à-vis du corps médical dont ils contestent parfois les décisions devant les tribunaux. Dans ce contexte nouveau, il ne faut pas perdre de vue l’essentiel, l’intérêt du malade et la qualité de la pratique médicale. Pour retrouver efficacité et confiance, il faut renouer un dialogue autour d’un projet médical partagé.
Les voies de la responsabilisation.
Les médecins savent que l’intérêt du malade nécessite tout à la fois une pratique médicale personnalisée et un parcours de soins organisé et cohérent sur un territoire permettant à chaque citoyen d’avoir un égal accès à une médecine de qualité. Ils n’ignorent pas la nécessité de réhabiliter la réflexion médicale et de la revaloriser par rapport à l’acte technique souvent mieux rémunéré. Il est tout aussi nécessaire de privilégier la qualité des pratiques et de réfléchir à la pertinence des actes. Chacun s’accorde en effet à constater que, poussé par des logiques économiques, la pression des patients ou la recherche de protections juridiques, il est quelquefois difficile de refuser de pratiquer certains actes, pourtant jugés peu utiles ou disproportionnés. La Cour des Comptes a pointé par exemple la prescription abusive des radios du crâne en cas de traumatisme crânien, alors que les spécialistes considèrent cet examen le plus souvent inutile dans de telles circonstances mais que l’opinion publique le juge nécessaire. De plus, augmenter la performance technique de la pratique médicale ne doit pas faire oublier le « prendre soin » de la personne vulnérable.
Nous devons donc ensemble repenser nos modes d’exercice médicaux : le médecin généraliste qui représente un élément indispensable à l’ensemble de l’équilibre organisationnel est souvent dénigré par rapport aux spécialistes : il cumule la rémunération la plus faible, la pénibilité la plus forte et la pratique la plus complexe. Plus encore qu’une juste rémunération indispensable, nous devons donner plus d’attractivité à ce mode d’exercice. En multipliant les contraintes administratives et financières sur l’activité médicale sans toujours en évaluer la qualité ou le bien fondé, on en oublierait presque qu’en médecine, faire mieux est moins cher que faire plus, et qu’aucune réforme et aucune économie de santé ne se feront sans, et a fortiori contre le corps médical.
Plutôt que de subir, les médecins doivent et peuvent être les acteurs du changement dans l’intérêt de leur profession et dans l’intérêt de leurs malades. Mieux que quiconque, ils savent qu’il est possible de dépenser moins et de dépenser mieux et de pratiquer une médecine moderne à la fois technique et humaine.
Au moment où la crise économique et financière nous contraint à limiter l’évolution de nos dépenses de santé, l’enjeu pour les prochaines années réside dans notre capacité à rationaliser l’organisation médicale sans rationner les soins, à faire primer le qualitatif sur le quantitatif, à humaniser une médecine souvent trop purement technique et à impliquer les acteurs de soins dans la mise en œuvre et le contrôle de cette mission. Ainsi, responsabilisés, les médecins pourront alors être les acteurs efficaces d’une politique de santé.
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