« JE ME SUIS construit personnellement face au mystère du mal, contre lui, confiait le Pr Maurice Tubiana au « Quotidien du médecin » ; toute ma vie d’homme sera marquée et comme structurée par ce combat que je n’aurai eu de cesse de mener contre les forces maléfiques et irrationnelles. »
Pied noir né en 1920 à Constantine, il a 13 ans quand Hitler arrive au pouvoir et il interrompra son externat pour s’engager, quand la guerre éclate, rejoignant à pied l’Espagne, où il est arrêté et déporté, puis gagnant le Maroc et l’Italie pour participer au débarquement de Provence, en 1944. À la chute du Reich, il s’est choisi un autre ennemi, racontait-il, le cancer.
Après deux à Berkeley, en Californie, un an à New York et une agrégation de physique médicale, il intègre en 1952 l’Institut Gustave Roussy (IGR), à Villejuif. Jusqu’en 1989, il crée et dirige l’école française de radiologie, remportant, grâce au bétatron qu’il met au point avec Frédéric Joliot-Curie, puis avec le premier appareil de télécobalthérapie, des victoires cliniques qui le placent au premier rang thérapeutique mondial contre le cancer.
« On travaillait sous sa houlette à l’américaine, témoigne le Pr Jacques-Séverin Abbatucci, avec enthousiasme, sans rapport avec le protocole souvent compassé et hiérarchisé qui régnait à cette époque. »« Maurice Tubiana savait comment faire bouger le système », confirme le Pr Marcel Legrain, qui plancha avec lui sur la réforme des études médicales.
Sage de la santé publique
Appelé en 1975 à la présidence de la commission cancer, Maurice Tubiana se lance à l’assaut de son troisième ennemi : l’irrationnel qui suscite les peurs et alimente la désinformation dans les grands débats de santé publique. Il n’hésite pas à mettre sur la sellette le système de soins en France, publiant en 1983 un rapport explosif, où il milite, avec Jean Rey et Jean Dausset, pour l’évaluation systématique de toutes les structures qui dispensent des soins.
Sa compétence alliée à sa pugnacité, sa pratique de l’interdisciplinarité (il est membre à la fois de l’Académie de médecine, qu’il présidera, et de l’Académie des sciences), faisant coopérer étroitement biologistes, cliniciens, épidémiologistes et physiciens, lui valent sa réputation de « sage de la santé publique ». Escorté des Prs Claude Got, Gérard Dubois, François Grémy et Albert Hirsch, il élabore ainsi, en 1989, un plan de santé publique (alcoolisme, tabagisme, prévention des maladies graves). Son ennemi numéro un est alors le tabac, coupable de 60 000 morts, le plus grand fléau d’entre les fléaux dénonce-t-il, devant l’alcool.
« Arrêtons d’avoir peur ! »
C’est l’époque où, imprécateur sur les plateaux télé, il interpelle les candidats aux présidentielles, dénonce les limites des pouvoirs publics, comme dans l’application, à ses yeux, très insuffisante, de la loi Évin, ou dans les décisions sur la vaccination contre le VHB dans les établissements scolaires, alors que, assure-t-il, le lien n’est pas établi avec la SEP.
Le Pr Maurice Tubiana s’engagera sur tous les fronts et dans tous les débats où la santé publique est mise en cause, à raison ou indûment selon lui. Il pourfend les vrais coupables avec la même énergie qu’il met à disculper les faux suspects : dans les polémiques autour des choix énergétiques, il conclut qu’entre le charbon, le pétrole, le gaz et le nucléaire, c’est ce dernier qui induit les moindres risques sanitaires ; au chapitre de la pollution, il affirme que moins de 1 % des cancers sont dus à l’environnement, et non 40 % comme on le prétend, l’alcool et le tabac étant responsables de 28 % des cancers.
Dans son dernier livre, « Arrêtons d’avoir peur ! »*, il dénonce les nouvelles alarmistes diffusées au sujet des insecticides, dont l’interdiction tuerait des millions d’Africains, des OGM, sans lesquels la population de la planète serait rapidement affamée, des antennes de téléphonie mobile, ou même des gaz de schiste, dont il explique que l’interdiction est « aberrante ».
Après le nazisme, après le cancer, c’est la désinformation et la manipulation catastrophiste qui aura été son ultime combat, fustigeant « l’écologisme et le précautionnisme », ces « deux religions » du clan anti-scientifique.
*Michel Lafon, 2012, 18 euros.
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