« La Sécu, c'est bien, en abuser, ça craint ».
Nous sommes en... 1992 et l'assurance-maladie met déjà le paquet pour récupérer « l'argent dépensé inutilement » par le contribuable, évalué à 20 % de la dépense de soins, soit 18,3 milliards d'euros.
Un quart de siècle plus tard, Agnès Buzyn devrait sans doute recycler la célèbre campagne publicitaire de la CNAM pour enrayer l'escalade des actes inutiles et prescriptions non justifiées – que la ministre de la Santé évalue « autour de 25 % » des dépenses de santé. Cela représente une manne de 48,8 milliards d'euros au regard de l'objectif de dépenses maladie fixé pour 2018 à 195 milliards d'euros (ONDAM). Mardi dernier encore, la ministre de la Santé l'a reconnu devant l'association des journalistes de l'information sociale (AJIS) : la pertinence des soins, c'est une « marge de progrès considérable et d'économies sans douleur pour la Sécurité sociale ».
Scanner d'attente, prises de sang tous les deux jours...
Si la chasse aux actes et soins inutiles n'est pas nouvelle, l'offensive du gouvernement Macron, portée par une ministre forte de 25 ans de carrière hospitalo-universitaire et d'un passage à la Haute autorité de santé (HAS), pourrait réussir là où d'autres ont échoué.
Selon l'OCDE, un cinquième des dépenses de santé des 35 pays membres sont « au mieux inefficaces, au pire du gaspillage » tandis qu'un patient sur dix de la zone subit un préjudice inutile au cours de son traitement.
La prise de conscience gagne la profession. Pour les médecins, 28 % des actes médicaux ne sont pas considérés comme « pleinement justifiés », rapportait déjà en 2012 une enquête de la Fédération hospitalière de France auprès de 800 praticiens libéraux et hospitaliers. « Combien de fois entend-on parler du "scanner d'attente" en attendant l'IRM, fait pour rassurer le patient ? Et les prises de sang tous les deux jours à un malade pour justifier sa présence une semaine à l'hôpital dans l'attente d'une chirurgie, c'est quoi ? C'est un acte inutile, les médecins le savent très bien ! » a assené Agnès Buzyn devant les journalistes de l'AJIS.
Préjudice
Les opérations chirurgicales font partie de la panoplie. « Le jour où nous avons posé la question de la pertinence des appendicectomies, nous avons réduit de 70 % le nombre de ces actes réalisés dans notre pays, ce qui veut bien dire que tous les malades opérés n’avaient pas l’appendicite », a-t-elle aussi jeté aux députés lors de l'examen du budget de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2018.
Comment différencier un acte justifié d'un acte qui ne l'est pas ? Pour l'assurance-maladie, la pertinence des actes (et des prescriptions) s'inscrit dans la logique de « maîtrise médicalisée » engagée il y a plus de dix ans, qui repose sur le principe « de l’administration du juste soin par les professionnels, c’est-à-dire un soin utile, efficace et efficient ».
Pour l'OCDE, le gaspillage dans les soins cliniques inclut les « évènements indésirables évitables » et les « soins de faible valeur », c’est-à-dire des « actes non pertinents car inefficaces » (dont la valeur clinique n'est pas avérée ou pour lesquels le risque de préjudice est supérieur au bénéfice escompté) ou encore « inappropriés » (par rapport aux recommandations de bonnes pratiques ou ne tenant pas compte de l'avis des patients).
Contrats incitatifs, forfaits à l'épisode de soins
En France, le gouvernement a évalué à 575 millions d'euros les économies attendues sur le budget de la Sécu l'an prochain grâce à la pertinence des actes et des prescriptions à plusieurs niveaux : maîtrise médicalisée, adaptations tarifaires (biologie, imagerie) mais aussi transports et indemnités journalières, deux postes régulièrement visés.
La création dans le PLFSS d'un fonds de financement consacré à l'innovation organisationnelle et tarifaire doit permettre de changer la donne en soutenant les pratiques pertinentes (parcours, prises en charge, forfaits globaux...). Au programme par exemple : l'expérimentation d'une rémunération forfaitaire à l'épisode de soins, dérogatoire à la tarification à l'activité, censé valoriser les établissements les plus vertueux. Agnès Buzyn l'a assuré cette semaine : « Deux ou trois actes et deux ou trois parcours médicaux et chirurgicaux expérimenteront cette tarification dès 2018 ».
Autre outil : le « CAQES », contrat financier qui incite les établissements à développer les bonnes pratiques – telles que l’achat de génériques, le bon usage des antibiotiques ou la déclaration systématique des événements indésirables graves.
La renaissance du dossier médical partagé (DMP), qui a « énormément avancé » sous la houlette de l'assurance-maladie, doit également contribuer à « éviter les doublons » entre la ville et l'hôpital « pour une meilleure médecine », veut croire Agnès Buzyn.
Taux de recours
Pas en reste, la Haute autorité de santé (HAS) explore de son côté plusieurs pistes (lire page 4) et s'attelle à la fabrication d'indicateurs de résultats sur la qualité des soins, à l'hôpital comme en ville.
La CNAM propose (comme chaque année) la réduction des disparités des taux de recours pour dix actes : amygdalectomie, appendicectomie, césarienne, chirurgie bariatrique, chirurgie de la tumeur bénigne de la prostate, chirurgie du canal carpien, cholécystectomie, hystérectomie, pose d’une prothèse de genou, thyroïdectomie. Gain éventuel : au minimum 100 millions d'euros, soit 34 000 séjours évitables.
Autre grand classique de la Sécu : resserrer la bride sur la radiologie en ville (10 millions d'euros sur l'efficience du parc d'IRM et les tarifs) et sur la biologie.
Quant au financement forfaitaire à l'épisode de soins, la CNAM fourmille d'idées : arthroplastie de la hanche pour commencer mais aussi décompensation aiguë d'une insuffisance cardiaque, arthroplastie du genou, pose d'un défibrillateur cardiaque implantable...
Dernière suggestion : l'instauration d'un seuil d'activité minimum pour les centres de chirurgie de l'obésité, activité « coûteuse et parfois routinière » aux yeux d'Agnès Buzyn. Dans cette spécialité, le nombre d’interventions par an a été multiplié par trois entre 2001 et 2015 pour une prévalence de l’obésité qui n’augmente que de 5,9 % par an...
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