UN NOUVEAU drame vient jeter de l’huile sur le feu de la psychiatrie en France et du débat autour du soin sous contrainte. Vendredi dernier, un jeune homme de 28 ans, atteint de schizophrénie, a poussé un homme sur la rame d’un RER en gare de Lyon, à Paris, le tuant. L’homme a été depuis mis en examen et incarcéré pour homicide, son état ayant été jugé par les psychiatres compatible avec un placement en détention et non en hôpital psychiatrique.
L’avocate du meurtrier dénonce des dysfonctionnements au sein de la police et des services médicaux qui avaient été alertés par la mère du suspect sur la dégradation de son état de santé. De l’autre côté, le ministère de la Santé fait valoir que personne, aucun tiers ou membre de la famille n’avait fait la demande pour qu’il soit hospitalisé sous contrainte. Roselyne Bachelot a par ailleurs saisi mardi l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) afin de s’assurer que « tout a été respecté », précise-t-elle affirmant qu’il s’agit là d’une procédure classique.
Le risque zéro n’existe pas.
Ce drame survient alors que le projet de réforme de la loi de 1990 sur l’hospitalisation sous contrainte vient d’être remis aux différents syndicats de psychiatres et de cadres hospitaliers avec une publication attendue pour la fin de l’année (« le Quotidien » du 6 avril).
Actuellement, l’hospitalisation d’une personne en psychiatrie peut découler de la demande d’un tiers ou bien avoir été décidée d’office par le préfet ou le maire dans le souci du maintien de l’ordre public. L’une des grandes nouveautés du projet de loi est une nouvelle option, une mesure de soins psychiatriques sans consentement, en alternative à l’hospitalisation complète.
Cette « hospitalisation en ambulatoire » pourrait consister pour le patient en une présence tous les jours dans un service psychiatrique, dans les horaires d’ouverture ou bien en une consultation tous les quinze jours, tous les deux mois. Ce serait très variable et permettrait justement une certaine souplesse et adaptation au cas par cas.
Alors, en imaginant que ce projet de loi devienne loi en vigueur, certains se demandent si un tel drame pourrait se reproduire. Oui, répond le Dr Jean-Claude Pénochet, président du SPH (Syndicat des psychiatres des hôpitaux). « Cette nouvelle mesure obéit aux mêmes dispositions légales. Autrement dit, la mise en place de soins psychiatriques sans consentement reste elle aussi conditionnée à un avis médical et à la demande d’un tiers (ou autorité). » Ce qui ne semble pas avoir été le cas dans cette affaire. « Il faudrait surtout se mettre dans la tête qu’il n’existe pas d’actions miracle préventives en la matière. Le risque zéro n’existe pas en psychiatrie. »
Coordination.
La question ne se pose-t-elle pas davantage dans le lien entre les différents acteurs ? La mère du jeune homme présumé coupable clame qu’elle a « tiré la sonnette d’alarme » en sollicitant notamment une élue de sa commune. Le directeur du cabinet du maire de Fontenay, Jean-Jacques Joucla a confirmé ces faits, ajoutant que la mairie a elle-même « fait plusieurs fois des démarches qui ne sont pas habituelles, en alertant le médecin psychiatre traitant du jeune homme ainsi que le commissariat ». On aurait ensuite conseillé à la mère de prévenir la police, qui est intervenue le jour même avec les pompiers au domicile familial. « Ils ont sorti le jeune homme de l’appartement, raconte Jean-Jacques Joucla, puis l’ont relâché. »
N’est-ce pas là, donc, au cur de ces différentes interventions, qu’il conviendrait d’améliorer le partage de connaissances et de compétences ? De fluidifier davantage la coordination, la collaboration entre les différents protagonistes ? Chacun peut estimer avoir fait correctement son travail. A-t-on suffisamment informé la mère sur sa possibilité de réclamer l’hospitalisation de son fils ? Mais avait-on les arguments, les moyens et le droit de la convaincre ?
Ce type d’accidents est dramatique et l’on voudrait croire en la possibilité de les éviter. Pourtant, comme le rappellent souvent les psychiatres, les personnes malades mentales ne sont pas plus dangereuses que le reste de la population. « Elles sont même au contraire onze fois plus victimes de crimes et 140 fois plus souvent victimes de vols », insiste le Collectif des 39 contre la nuit sécuritaire.
Alors que le projet de loi est relativement bien accueilli par une partie des psychiatres, et notamment la disposition des soins ambulatoires sous contrainte, il est totalement dénigré par ce collectif, qui estime qu’il risquerait « d’aggraver la situation actuelle déjà précaire » et voit dans le texte le spectre d’une psychiatrie réduite à jouer le rôle de « garante de l’ordre public au détriment des libertés fondamentales ». Question de lecture et d’interprétation. Il est certain que les débats ne sont prêts de se clore, d’ici à la publication de cette loi qui devra d’ailleurs augurer une grande loi sur la psychiatrie, tant réclamée par les spécialistes.
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