LE QUOTIDIEN : Comment avez-vous vécu votre reconduction au ministère de la Santé ? On vous prêtait l’intention de vouloir changer d’air pour un ministère régalien…
MARISOL TOURAINE : J’ai toujours dit que, pour une responsable de gauche, ce ministère était l’un des plus beaux, celui du progrès social, de la solidarité, de la lutte pour l’égalité. On peut avoir envie d’expérimenter d’autres sujets mais il ne peut pas y avoir de lassitude ici. Depuis les fêtes de fin d’année, en plus de la préparation de la grande conférence de la santé, nous avons déjà eu d’énormes défis à relever : l’accident dramatique de l’essai clinique Biotrial, l’arrivée de l’épidémie de Zika… Aucun jour ne ressemble à un autre ! C’est aussi le ministère de la réactivité. Vous êtes pris par des situations d’urgence et confrontés à des enjeux très concrets, de vie quotidienne.
Ne regrettez-vous pas d’avoir « perdu » le droit des femmes dans vos prérogatives ministérielles ?
Dès que j’ai été nommée dans ce ministère, j’ai pris des mesures fortes en faveur des femmes : améliorer la prise en charge de l’IVG, favoriser l’accès à la contraception pour les jeunes femmes mineures, mieux prendre en compte des temps de maternité dans le calcul des retraites… Je continuerai mon combat pour les droits des femmes.
Jeudi dernier, il y avait d’un côté la grande conférence de la santé – avec les jeunes, les hospitaliers et les paramédicaux – et de l’autre les « assises » de la médecine libérale avec les syndicats de praticiens seniors en colère. N’est-ce pas un échec ?
La grande conférence de la santé a été un grand succès car elle a permis, non seulement de dialoguer, mais de décider. Certains syndicats étaient absents, mais il y avait tous les hospitaliers et tous les paramédicaux, l’Ordre des médecins, les cliniques privées, les enseignants, les universitaires, les jeunes. Sans compter MG France, qui avait envoyé un observateur… Je suis déterminée à faire avancer un dialogue constructif avec tout le monde. Ma volonté est d’ouvrir une nouvelle page avec tous ceux qui veulent trouver des points de sortie. La politique de la chaise vide ne permet pas de faire avancer des idées.
Pourquoi avoir quasi exclusivement consacré cette conférence aux questions de formation ?
Tous me l’avaient demandé. L’exercice pluriprofessionnel s’impose comme une référence de l’exercice médical. Or, à l’Université, les médecins restent avec les médecins, les infirmières avec les infirmières, les kinés avec les kinés. Nos schémas de formation sont obsolètes.
Autre exemple : la loi de modernisation de notre système de santé fait du médecin généraliste l’épine dorsale du premier recours. Cela suppose d’agir dès la faculté, en accompagnant les étudiants vers la médecine générale avec des stages systématiques, davantage d’enseignants et de chefs de clinique de médecine générale. Les maîtres de stage seront également revalorisés, avec du temps de formation à la maîtrise de stage hors quota, mais aussi une meilleure rémunération, pourquoi pas dans le cadre de la ROSP (rémunération sur objectifs de santé publique). La filière de médecine générale ne sera plus le parent pauvre de l’université.
Le gouvernement veut imposer une recertification périodique des nouveaux médecins. Avez-vous des raisons de douter du niveau des praticiens ?
Certainement pas ! Cette proposition émane de l’Ordre des médecins. Ce n’est pas un contrôle des connaissances, comme à l’école. Ce n’est évidemment ni un diplôme « bis » ni un coup de tampon de la Sécurité sociale ou du ministère. Ce processus doit relever des pairs. C’est un processus d’accompagnement des médecins dans l’actualisation de leurs compétences tout au long de leur carrière. C’est aussi un outil pour d’éventuels changements de spécialité. Ce mécanisme s’appliquera aux nouveaux inscrits car il est plébiscité par les jeunes médecins en formation et les jeunes médecins installés. Pour les autres, il reposera sur le volontariat. Si les médecins préfèrent un autre mot que celui de « recertification », je n’y vois aucun inconvénient.
Vous avez annoncé une protection maternité supplémentaire pour les femmes médecins qui ne pratiquent pas de dépassements. Cela permettra-t-il vraiment de redorer le blason de l’exercice libéral ?
C’est en tout cas ma volonté. Les syndicats qui n’ont pas assisté à la grande conférence ne peuvent pas réclamer à grand bruit des avancées sur la protection sociale des femmes médecins et, lorsqu’une réforme majeure est décidée, déclarer que cela ne compte pas.
Nous pouvons avoir des désaccords. Mais la question du tiers payant ne doit pas empêcher de travailler sur d’autres sujets fondamentaux, comme les droits des femmes, le numerus clausus régional ou la filière de médecine générale !
Dans un entretien aux « Échos », vous souhaitez que les négociations conventionnelles « simplifient le millefeuille des rémunérations ». Voulez-vous une remise à plat complète ?
Nous verrons ce à quoi sont prêts les partenaires conventionnels. Si le C n’a pas évolué depuis 2011, les autres rémunérations forfaitaires ont significativement augmenté. Elles représentent une augmentation d’environ 3 euros par consultation, mais elles ne sont pas lisibles. Les praticiens eux-mêmes sont perdus, avec des forfaits versés tous les trois mois pour certains, pour d’autres une fois par an. Je souhaite une remise à plat. L’une des difficultés de la convention sera de maintenir et d’étendre le principe de ces rémunérations forfaitaires, mais aussi de gagner en visibilité.
Sur le terrain, des généralistes sont engagés dans une guérilla tarifaire. Condamnez-vous ces pratiques ?
Ils sont très peu nombreux. Je salue l’esprit de responsabilité des médecins. L’écrasante majorité des médecins est dans une logique de respect des règles. La négociation va s’ouvrir. Je souhaite une hausse de la rémunération, mais elle devra respecter les contraintes financières.
Cette convention va-t-elle remettre en cause le secteur II ?
Non. Avec le contrat d’accès aux soins (CAS), nous avons maintenu deux secteurs différents. Nous encourageons l’installation en secteur I et invitons les médecins de secteur II à réguler leurs tarifs. Cette régulation fonctionne. Certains médecins continuent à demander des dépassements d’honoraires importants mais le taux de dépassement moyen des médecins a diminué de manière très significative dans certaines spécialités. La question de l’extension du contrat d’accès aux soins sera soumise à la négociation.
Les maires des petites villes réclament à nouveau une régulation à l’installation. Faut-il un conventionnement sélectif ?
Non. Je n’ai pas changé de ligne. Nous devons proposer aux médecins des conditions d’installation plus attractives en libéral. D’où l’importance des mesures de protection sociale pour la maternité. Les PTMG, les contrats d’engagement de service public, ça marche déjà ! De jeunes praticiens s’installent dans des endroits où il n’y en avait plus. Je mets toutefois en garde les médecins : si les incitations ne suffisent pas, des majorités nouvelles seront tentées par des mesures plus contraignantes.
Vous allez recevoir le rapport CNAM/complémentaires sur les modalités de la généralisation du tiers payant. Ce dispositif a-t-il encore un sens après la censure partielle du Conseil constitutionnel ?
Bien sûr ! Le Conseil constitutionnel a validé le tiers payant ! Il a dit que le principe était conforme à la Constitution. En 2016, le tiers payant pourra se déployer au rythme prévu pour les patients en ALD et les femmes enceintes. Les complémentaires devront proposer un mécanisme simple de tiers payant généralisé. À partir de 2017, les médecins auront le choix de pratiquer ou non la dispense d’avance de frais pour la part complémentaire. Il faut faire en sorte que le médecin n’ait à s’occuper de rien.
Le suicide d'un praticien à l’AP-HP a provoqué un émoi considérable. Envisagez-vous une réforme des procédures de nomination des responsables médicaux ?
Le suicide du Pr Megnien est une tragédie qui a bouleversé l’HEGP et, au-delà, l’ensemble des communautés hospitalières. Ce drame pose une question essentielle, qui a été évoquée lors de la grande conférence de la santé : à qui un médecin peut-il s’adresser lorsqu’il est en souffrance à l’hôpital ? Il manque un lieu de médiation indépendant. Je saisirai l’IGAS pour voir ce que pourrait être cette procédure d’alerte et de médiation pour les praticiens en souffrance. Les médecins libéraux peuvent aussi être concernés. Peut-être faudrait-il un lieu auquel l’ensemble des médecins pourrait s’adresser.
À Rennes, un homme est décédé pendant un essai clinique. Faut-il renforcer la sécurité des volontaires ?
Nous attendons les conclusions définitives de l'IGAS pour identifier la cause de cet accident sans précédent en France. Il ne faut pas donner le sentiment que les procédures seraient insuffisantes mais il est nécessaire de renforcer la sécurité des volontaires sains. Je souhaite qu’un événement qui conduit à l’hospitalisation d’un volontaire sain soit désormais considéré comme un fait nouveau et qu’il soit déclaré dans les 24 heures aux autorités sanitaires ; que l’essai soit immédiatement suspendu jusqu’à ce que la sécurité des volontaires sains soit garantie ; et que leur accord explicite soit recueilli avant de reprendre leur participation à la recherche. Les règles applicables pour l’autorisation et le déroulement de l’essai de Rennes ont été respectées, selon le rapport d’étape de l’IGAS. Ces règles sont-elles suffisantes ? Les experts devront répondre à cette question.
Comment comptez-vous convaincre les médecins de s'impliquer encore davantage dans la politique vaccinale ?
Nous allons lancer un site d’information à destination du grand public, mais aussi des professionnels de santé. La DGS diffusera un bulletin trimestriel spécial sur la vaccination. Les médecins sont massivement convaincus de l’utilité de la vaccination mais ils expriment leurs interrogations, parfois leurs doutes face à des questions qui reviennent. Pourquoi vacciner mon enfant contre la rougeole alors que ce n’est pas obligatoire ? Les adjuvants aluminiques sont-ils dangereux ? Les scientifiques répondent massivement non mais les médecins, dans leur pratique, ont besoin d’être accompagnés.
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