Le dernier projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) du quinquennat s'annonçait un peu terne, à l'exception de passes d'armes sur sa sincérité budgétaire (lire page 3). Les députés de la commission des affaires sociales y ont ajouté de la dynamite en se prononçant en faveur du conventionnement sélectif en zone surdense.
C'est la députée socialiste Annie Le Houérou (Côtes d'Armor), soutenue par une quarantaine de parlementaires, qui a fait adopter cette mesure la semaine dernière en commission des affaires sociales, soulevant un tollé médical immédiat (lire ci-dessous).
L'amendement prévoit que les agences régionales de santé (ARS) définiront, en concertation avec les syndicats médicaux, les zones dans lesquelles est constaté un « fort excédent en matière d'offre de soins ». Le conventionnement à l'assurance-maladie d'un nouveau médecin ne pourrait alors intervenir qu'après la cessation d'activité libérale concomitante d'un praticien exerçant dans cette même zone. Schématiquement, c'est donc une installation pour un départ d'un confrère (sauf à vouloir exercer hors convention…).
Un décret fixera les modalités d'application. Mais selon l'exposé des motifs de l'amendement, le conventionnement sélectif en médecine libérale permettra de compléter « utilement » les incitations à l'installation dans les zones sous dotées. Face aux critiques, les avocats de ce « verrou » font valoir qu'il s'applique déjà peu ou prou pour les infirmiers, les pharmaciens ou encore les dentistes. « Le principe de la liberté d'installation demeure mais le conventionnement n'est possible que de manière sélective pour les nouvelles installations », nuancent les auteurs de l'amendement. Une argumentation qui a peu de chance de convaincre les médecins.
Députés hors sol
La menace de la régulation plane depuis des années (voir ci-dessous). Signe qu'elle est prise au sérieux, la profession dans sa diversité – syndicats seniors, étudiants, internes, Ordre – a aussitôt dénoncé comme un seul homme ce coup de canif porté à la liberté d'installation, pilier de l’exercice libéral. « On ne peut pas demander aux médecins qui ont un statut libéral de remédier au désengagement de l’État des services publics », fulmine le Dr Jean-Paul Ortiz, président de la CSMF, qui observe que les jeunes tardent à s’installer (40 ans en moyenne). La FMF, consternée, stigmatise des députés « hors sol ». MG France ironise sur les élus « sans imagination » qui « proposent d'obliger les médecins, le plus souvent des généralistes, à s'installer là où ils ont déjà fermé la mairie, la poste ou l’école ». Plus grave, le SML redoute « les effets secondaires dévastateurs pour la profession » : dévaluation de l'image des médecins exerçant en zone fragile, surenchère lors de la transmission de patientèle, fuite vers le salariat.
L'avertissement des jeunes
Premiers concernés, les jeunes sont furieux. Dans un communiqué commun, étudiants (ANEMF), internes (ISNI et ISNAR-IMG), chefs (ISNCCA) et juniors (REAGJIR, SNJMG) invitent le gouvernement et les députés à rejeter cette disposition jugée à la fois inefficace et dangereuse. « Toute mesure limitant l’attrait de la filière ou obscurcissant les conditions d’installation ne fera qu’aggraver le manque cruel de médecins. Aujourd’hui un quart des lauréats du concours de première année ne s’installeront jamais. Combien seront-ils demain ? »
Quel sera le sort de cet amendement, alors que le PLFSS est examiné par les députés en séance publique à partir de demain ? Marisol Touraine a fait savoir qu'elle était « fermement opposée à cette mesure ». Le Dr Claude Pigement, ancien responsable santé au PS, veut croire que « les députés de la majorité ne prendront pas le risque d'ouvrir un nouveau front avec les médecins ». Quant à la droite, divisée sur le sujet, il n'est pas certain qu'elle s'associe en pleine primaire à un texte ultrasensible.
Mais le gouvernement, dont la majorité s'étiole à chaque vote important, risque de se heurter à de nombreux parlementaires (de tout bord) déterminés à agir plus fermement contre les déserts médicaux, sous la pression croissante de leurs administrés.
Lire aussi l'interview de la députée PS Annie Le Houérou : « La liberté d'installation n'est pas supprimée » l'auteure de l'amendement sur le conventionnement sélectif s'explique
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