PEUT-ON MOURIR de sa belle mort dans une chambre d’hôpital ? Rien n’est moins sûr. À l’heure où plus de la moitié des Français meurent dans une structure hospitalière, l’hôpital est devenu un lieu de fin de vie à part entière. Malgré les préconisations du rapport de l’IGAS, les pratiques autour de la fin de vie restent hétérogènes en France. Prendre en charge la mort ? Une mission encore trop peu considérée par les milieux hospitaliers. Médicalisation oblige, l’aspect socio-familial et spirituel est relégué au second plan. Au détriment des familles... tout autant que des soignants. Si des aumôneries sont présentes dans nombre d’hôpitaux, ces prises en charge demeurent très secondaires, et restent dissociées des services de soins.
Le modèle québécois.
Là où la France peine, des pays comme le Québec semblent avoir trouvé leurs marques. Pour exemple, le Centre Hospitalier Universitaire de Montréal (CHUM) dispose d’un service de soins... spirituels. Pas de médecin à la tête de ce service, mais un docteur en théologie, Michel Nyabenda. Pas peu fier d’évoquer la « cohabitation de soins spirituels et médicaux » du CHUM. Un exemple à suivre selon le Dr Régis Aubry. L’ancien médecin de campagne et président de l’observatoire national de la fin de vie (ONFV), s’insurge contre une « surmédicalisation » de la fin de vie en France. Son constat est sans appel : « On repousse le face à face avec la mort. » Et malgré les recommandations de l’IGAS, la prise en charge de la mort ne figure toujours pas explicitement parmi les missions de l’hôpital.
La démarche québécoise est tout autre. Michel Nyabenda s’en fait le porte-parole : « Au Québec, on part du principe que tout être humain a des besoins spirituels ». A fortiori lorsqu’il s’agit des soins de fin de vie. Ainsi, le service qu’il dirige, offre aux patients et à leur famille, un accompagnement spirituel adapté à leurs besoins. « Bien plus larges que ceux de la religion », insiste-t-il. Anamnèse spirituelle à l’appui, les intervenants en soins spirituels formés pour la cause, proposent une prise en charge au cas par cas. De l’accompagnement vers la mort au soutien de la famille endeuillée, l’équipe s’adapte aux demandes des usagers. Tout cela dans un lieu unique : la chambre du patient. Lieu d’adieu et de rite funéraire, il est le garant de la continuité des soins jusqu’à ce que mort s’ensuive. « On va jusqu’au bout », explique le chef de service. Accompagné ou non par des soignants, l’entourage peut célébrer la mort avec le cadre culturel qu’il entend, avant que le défunt ne rejoigne la chambre mortuaire.
Zones mortuaires.
Les principes mis en œuvre au CHUM sont loin de l’être en France. Judith Wolf, anthropologue au CERMES (Centre de recherche médecine, science, santé et société), auteur d’une thèse** sur la prise en charge des morts à l’hôpital, en fait le constat sévère. Elle déplore « une fragmentation de parcours » qui met à mal la continuité des soins, si chère à la médecine française. Judith Wolf regrette une « succession d’intervenants et un cloisonnement des différents services ». Une fois décédé, le patient est rapidement brancardé de son lit de mort à la chambre mortuaire. Ce transfert marque aussi une « rupture » dans la prise en charge de la famille. Celle-ci n’a droit qu’à la « zone publique », où seulement un recueil simple auprès du mort est possible. Ceux qui voudraient prodiguer des soins, comme certains rites funéraires le préconisent, trouvent porte close. La « zone technique » est, elle, réservée aux professionnels. « Il est difficile pour les familles de trouver leur place dans les chambres mortuaires », rapporte l’anthropologue. Si la chambre mortuaire est, en France, le lieu attribué au recueil, certains services l’autorisent au sein même de la chambre du patient. Démédicaliser cette dernière peut être un moyen simple d’autoriser la famille à s’approprier le triste événement. Un geste pas forcément évident dans un paysage hospitalier où « tout est protocolisé », selon les mots du Dr Régis Aubry.
L’ONFV souhaite favoriser la fin de vie au domicile, un souhait exprimé par 80 % des Français mais milite aussi pour l’amélioration des soins hospitaliers funéraires (dans les faits, seulement 25 % des décès survient au domicile). Pour tous ceux qui mourront à l’hôpital, une réflexion globale devrait être menée dans les établissements de santé, avec pourquoi pas, des recommandations de bonnes pratiques.
*La mort à l’hôpital, rapport de l’IGAS (Inspection Générale des Affaires Sociales), novembre 2009
**Des corps morts à l’hôpital. Transformations des pratiques professionnelles et enjeux anthropologiques, EHSS, octobre 2010.
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