Agnès Buzyn ne lâche pas le morceau : après avoir supprimé l'entrée en vigueur de l'obligation de tiers payant généralisé à l'ensemble de la population, initialement prévue dans la loi Touraine pour fin novembre 2017, elle ne renonce pas à l’objectif d’un tiers payant intégral généralisable, par étapes.
Pour tenir la promesse présidentielle, la ministre de la Santé utilise la méthode douce : concertation avec les acteurs concernés, comité de pilotage et nouveau rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS), socle de recommandations ministérielles attendues dès cette semaine.
Le rapport attendu fin mars devait identifier les nouveaux publics prioritaires pour lesquels la dispense d'avance des frais doit être effectivement garantie et détailler le calendrier de la mise en œuvre opérationnelle de la mesure. Lors d'une réunion le 29 mars, l'IGAS a soumis au comité de pilotage du tiers payant où siègent les représentants des professionnels de santé (médecins, pharmaciens, infirmiers) plusieurs pistes qui hérissent déjà les syndicats, et dont « le Quotidien » a eu connaissance.
Les jeunes en première ligne
Dans le processus de généralisation du tiers payant, les experts proposent d'ajouter aux publics prioritaires déjà identifiés (CMU-C, aide à la complémentaire santé, ALD, maternité, AT/MP) la population des jeunes, soit cinq millions de personnes de 18 à 25 ans « sur une tranche d'âge INSEE de 6,4 millions » d'individus.
Autre piste : l'extension du tiers payant pour les actes (notamment de prévention ou de dépistage) remboursés à 100 %. Un potentiel d'environ cinq millions d’actes médicaux supplémentaires a été identifié par l'IGAS (1,5 million d'actes pour les bénéficiaires de pension d'invalidité et 3,1 millions d'actes de prévention).
L'IGAS préconise également de faciliter la pratique du tiers payant intégral pendant la permanence des soins (PDS-A) et dans les quelque 1 000 maisons et pôles de santé (10 % de l'offre libérale). Aucun calendrier de déploiement n'a été présenté.
Les experts ne s’arrêtent pas là. Ils recommandent d’améliorer la pratique du tiers payant sur les cas déjà obligatoires – patients ACS, en ALD et maternité. L’objectif est d’atteindre 98 % d'actes en tiers payant d’ici à 2020 (contre 85 % aujourd'hui). Et pour les situations non obligatoires, l’IGAS fixe comme objectif d’augmenter le nombre d’actes médicaux en tiers payant de 28 % à 40 % en 2020…
Généralisation rampante
Dans l'attente des arbitrages, les syndicats voient dans ces orientations une « généralisation rampante » du tiers payant intégral, bête noire des médecins.
La CSMF rejette déjà « tout objectif chiffré de montée en charge du tiers payant obligatoire et non obligatoire, comme cela a été présenté ». Le SML dénonce la confusion entretenue entre « le tiers payant acquis et le tiers payant facultatif, qui relève de la liberté du praticien ». « Il est hors de question de différencier les médecins exerçant dans les MSP et les autres », ajoutent MG France et la FMF. De son côté, l'Union française pour une médecine libre (UFML) s'alarme de « la volonté du ministère d'éloigner les MSP du modèle libéral ». « Visiblement Agnès Buzyn a mis ses pas dans ceux de Marisol Touraine et le tiers payant généralisable a vocation à devenir généralisé », peste le Dr Jean Paul Hamon, président de la FMF.
Tout retour du tiers payant obligatoire serait un casus belli, et ce d'autant plus que les prérequis techniques ne sont toujours pas garantis. Charge administrative pour vérifier les flux de paiement, gestion chronophage et coûteuse des rejets… « Il faut un flux unique entre l’AMO et l’AMC pour faciliter la gestion du payant au cabinet », rappelle le Dr Jacques Battistoni, président de MG France.
Une montée en charge progressive
Pour ne pas braquer les praticiens, Agnès Buzyn parie sur la progressivité de la montée en charge. Un temps nécessaire pour que les solutions techniques puissent enfin être proposées, notamment sur le tiers payant complémentaire.
L'association inter-AMC (regroupant la quasi-totalité des complémentaires) tente ici de rassurer. « Il n'existe pas aujourd'hui de frein sur le plan technique pour que les médecins puissent pratiquer le tiers payant intégral, à condition que les logiciels soient bien mis à jour par les éditeurs puis par chaque médecin sur son poste informatique », assure au « Quotidien » Philippe Dabat, président de l'association inter-AMC.
Du côté des éditeurs de logiciels, la prudence domine. « Nous attendons une ligne directrice claire sur les aspects techniques : nous pourrons ensuite proposer une solution technique qui va réconcilier les deux flux AMO et AMC », soutient Francis Mambrini, président de la FEIMA, fédération qui rassemble les éditeurs d'informatique médicale et paramédicale ambulatoire. Cet expert table sur un déploiement progressif dans 12 à 18 mois.
La balle est dans le camp du ministère. En fin de semaine dernière, le cabinet d'Agnès Buzyn assurait qu'il n'y avait pas encore de « décision définitivement arrêtée ».
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