LE QUOTIDIEN DU MÉDECIN - Les avocats et, par voie de conséquence, les médias évoquent quasi-systématiquement la notion de déni de grossesse dans les affaires de néonaticide. Dans votre étude, vous montrez que ce parallèle est non seulement faux mais contre-productif...
Dr ANNE TURSZ - Il n’y a pas une seule étude qui permette de mesurer la fréquence de l’association entre néonaticide et déni de grossesse, deux phénomènes qui restent rares. Pour une raison très simple : c’est que leur source d’informations sont différentes et n’ont jamais été croisées. Le déni de grossesse est une pathologie que l’on rencontre dans les services cliniques, essentiellement de psychiatrie et d’obstétrique. En revanche, on identifie le néonaticide à partir des données de la police et de la justice. Pourtant, cette façon d’associer le déni au néonaticide a deux inconvénients. Tout d’abord, elle fait passer les femmes qui présentent un déni de grossesse pour des tueuses potentielles. Ensuite, cette confusion est parfois utilisée par les avocats comme outil judiciaire pour blanchir les femmes auteurs de néonaticide alors qu’elles étaient parfaitement au courant d’être enceintes. Cela n’a aucun sens.
Pourquoi ?
Se réfugier derrière la notion de déni de grossesse n’est pas une bonne stratégie de défense. Ces femmes ont, pour la plupart d’entre elles, de lourds problèmes de carences affectives et d’isolement - moral surtout - : ce sont déjà des circonstances atténuantes. Les femmes doivent aussi comprendre que ce qu’elles ont fait est grave. Au moment du procès de Véronique Courjault (condamnée en 2010 pour triple infanticide, NDLR), son avocat brandissait le déni de grossesse alors qu’elle ne cessait de dire qu’elle savait avoir été enceinte. Le vrai déni est une pathologie psychiatrique rarissime. Ce n’est pas un concept opérationnel.
Dans votre étude, vous définissez un profil psycho-relationnel des auteurs de néonaticide, associant immaturité, dépendance, faible estime de soi...
Les femmes néonaticides sont des femmes qui, d’une certaine manière, ont une grossesse à un moment où elles ne peuvent pas l’assumer : soit elles ont peur que leur compagnon les quitte, soit elles sont hébergées chez une mère qui les terrorise ... Les raisons peuvent être nombreuses. S’il y a des éléments de déni passagers, ils ne sont toutefois pas prédominants. Il s’agit d’un sentiment très complexe : elles prévoient un prénom pour le nouveau-né tout en envisageant de le tuer, elles ne veulent pas admettre son existence mais elles l’imaginent à trois ans.
Pourquoi préférez-vous parler de « grossesse secrète » plutôt que de « grossesse cachée » ?
L’expression cachée a une connotation péjorative qui introduit presque la notion de préméditation. Grossesse secrète nous paraît beaucoup plus juste et objectif : ce sont des grossesses qu’elles tiennent secrètes de leur entourage.
Faire la différence entre déni et néonaticide, n’est-ce pas aussi le moyen d’impliquer l’entourage au sens large ?
Bien entendu. Dans notre étude, nous avons constaté que sur 22 mères néonaticides, l’entourage était au courant dans 17 cas. Elles ne sont jamais aidées et sont seules à porter ce fardeau devant la justice.
Quel rôle les professionnels de santé peuvent-ils jouer dans la prévention du néonaticide ?
Dans notre étude, il est assez frappant de constater qu’aucune femme n’a fait suivre sa grossesse délibérément. Cinq d’entre elles ont été voir, pour des raisons autres, soit des médecins généralistes soit des médecins du travail. Dans les cinq cas, alors que certaines étaient au bord d’accoucher, personne n’a rien remarqué. Il est nécessaire d’alerter les médecins sur le profil psychologique très particulier de ces femmes. Mais de manière beaucoup plus générale, il faut insister sur la nécessité de parler aux jeunes femmes en âge de procréer et d’avoir avec elles des conversations sur leur situation vis-à-vis de la reproduction. L’éducation à la sexualité reste trop théorique dans les lycées : il n’y a pas d’éducation ni à l’affectif, ni à la parentalité. Par ailleurs, le rôle futur des garçons et de leur responsabilité n’est pratiquement jamais abordé.
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