Dr ANTOINE MOULONGUET et Mister Antoine Sénanque. D’une part, le neurologue réputé, installé dans le 5e arrondissement de la capitale, spécialisé dans les électromyogrammes et, d’autre part, l’écrivain qui ne cesse d’en découdre avec la médecine, maniant un humour au vitriol, comme on l’avait remarqué dans « Blouse », son fracassant premier roman, en 2004, puis dans « la Grande Garde », en 2007, et encore, l’année suivante, dans « L’Ami de jeunesse ».
L’insistance sur cette dualité irrite l’intéressé : il ne veut surtout pas être catalogué comme « médecin-écrivain », s’affirmant écrivain à part entière, aujourd’hui d’ailleurs reconnu - et encensé - par la critique, et médecin à temps plein, sans que ne se mélangent ses deux vies. Il n’empêche, cette double existence nous vaut un roman jubilatoire*. Le lecteur y est menacé à tous les chapitres de devoir interrompre sa lecture sous l’effet d’un éclat de rire incoercible. C’est l’histoire d’un vétérinaire hypocondriaque, Pierre Mourange, 51 ans, veuf inconsolé depuis dix ans, « catholique non pratiquant et non demandeur », qui un beau jour a la vision d’« une jolie femme, la trentaine, brune, en robe bleu pâle, nimbée d’azur, perchée sur un croissant de lune ». La Vierge ne lui dit rien, reste devant lui une minute ou deux, attentive, puis tire sa révérence. C’était un 1er avril, mais, assure le narrateur, cette vision « assez plate et, pour tout dire, sans guère d’intérêt », n’était pas une hallucination.
Un pèlerinage d’anthologie.
Le vétérinaire va entreprendre une enquête à multiples rebondissements. Pourquoi lui ? Pourquoi a-t-il été choisi ? Tour à tour, il consulte son généraliste, qui lui prescrit un antidépresseur; son historien de père, justement spécialisé dans l’histoire de l’Église; un prêtre cinéphile, son frère cardiologue, qui l’oriente vers un psychanalyste, lequel décèle que la mélancolie dont souffre Mourange a choisi, avec la Vierge, « une actrice particulière pour se mettre en scène »; l’archevêque de Paris, un addict au chocolat et aux pâtes de fruit, qui lui explique que « les apparitions nous font apparaître ». Bien sûr, les amis sont de la partie, revoilà le personnage du restaurateur Félix, présent dans les précédents romans, le vétérinaire bouddhiste Tû Minh, rompu au détachement, face aux agacements en tous genres... Et tout ce joli monde se retrouvera à Lourdes pour un pèlerinage d’anthologie, nouvelle apparition à la clé. Avec, en épilogue, un échange entre Mourange et la Vierge, que le lecteur pourra décrypter à sa guise : soit optimiste et miraculeux, soit désespéré, définitivement, c’est selon. Car le dénouement, comme tout le livre, évolue sur la ligne de crête entre légèreté comique et sombre neurasthénie.
« Ce sujet des miracles m’a toujours énormément intéressé en tant que médecin, explique Sénanque-Moulonguet. Les praticiens sont tous confrontés à ces petits miracles quotidiens, avec des patients qu’ils donnaient condamnés et qui, inexplicablement, continuent de vivre. C’est cet extraordinaire de tous les jours qui m’a fourni mon argument romanesque, traité avec la distance que j’observe dans mes livres : en décrivant la souffrance sans faire de pathos ». Ce décalage nous vaut des traits d’humour ravageurs. « En même temps, analyse le neurologue, il me fournit une protection salutaire contre une clinique par nature anxiogène ». En ce sens, on peut dire que c’est le romancier qui soigne le praticien. Et Sénanque qui guérit Moulonguet. Mais sa médecine peut être sévère. Car le premier a un vieux compte à régler avec le second. « La médecine m’a asséché la plume », confie-t-il.
De méchantes estocades.
À 16 ans, après la lecture électro-choc du « Voyage au bout de la nuit » de Céline, il écrivait son premier roman (« L’homme adapté », un manuscrit qu’il projette de publier). Et quand il a repris l’écriture, sa rage d’en découdre avec l’univers médical a stupéfié ses pairs. Aujourd’hui, le jeu de massacre entre l’écrivain et le médecin s’est quelque peu apaisé. Mais « Salut Marie » recèle encore quelques méchantes estocades. « Évidemment, ce n’est pas aux médecins que je m’en prends, souligne l’auteur, mais à certaines de leurs pratiques ». Du reste, beaucoup de confrères lui ont confié qu’ils le rejoignaient dans son inccommensurable angoisse d’exercer la médecine.
À la longue, le Dr Moulonguet finira-t-il par décrocher sa plaque et se vouer entièrement à l’écriture ? La question le hante, reconnaît-il : « Entre la médecine et moi, c’est toujours attraction-répulsion. Un peu comme dans un vieux couple : voyez le Chat, avec Gabin-Signoret, ils se détestent, mais quand l’un meurt, l’autre se suicide...». Dans l’immédiat, Antoine Sénanque a signé un exceptionnel anti-burn out. Pour le Dr Moulonguet et tous les angoissés de la profession.
*Salut Marie, éditions Grasset, 260 p., 17 €
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