Épuisés par trois ans de pandémie, subissant les effets délétères d'une démographie médicale en berne en ville comme à l'hôpital, les soignants ne cessent de donner des signes inquiétants de souffrance au travail.
Le diagnostic est connu. « Nous savons que la charge de travail et le déséquilibre entre vie professionnelle et vie privée sont courants et qu’ils affectent la santé psychique des professionnels de santé, admet le ministère. Nous savons également que l’organisation et les conditions de leur travail impactent leur santé physique, avec pour conséquence le sentiment partagé par un quart des professionnels de santé d’être en mauvaise santé. » À l’hôpital, 40 % des médecins hospitalo-universitaires rapportent aujourd'hui des symptômes d’épuisement professionnel et 14 % des idées suicidaires. C'est trois fois plus que la population générale, selon une étude réalisée auprès de quelque 2 500 HU français en 2021, publiée fin mars dans Jama Network Open.
Exposés aux horaires à rallonge et au travail de nuit mais aussi au surmenage et aux violences, l’ensemble des professionnels – toutes générations – sont concernés avec, selon Ségur, deux populations davantage à risque : les femmes et les étudiants. « Prendre soin de ceux qui nous soignent est un devoir auquel nous devons répondre ensemble, leur engagement est un bien commun », insiste Agnès Firmin le Bodo. Fin mars, pour donner une « nouvelle impulsion » à ce chantier, la ministre a donné le top départ de sa mission « santé des soignants ». Elle promet une feuille de route d’ici à la fin de l’année. « Ce ne sera pas un énième rapport », assure-t-elle.
Consultation nationale
La mission a été confiée à trois personnalités qualifiées : la Dr Marine Crest-Guilluy, généraliste à Marseille, Alexis Bataille-Hembert, infirmier, porte-parole de la chaire de design d'expérience soignants, et le Dr Philippe Denormandie, chirurgien neuro-orthopédiste et délégué général de la fondation Nehs.
Malgré un coup d’envoi en grande pompe au ministère, aucune mesure concrète immédiate n'a été dévoilée. Ségur souhaite au préalable mener une consultation nationale pour objectiver l’état de santé des blouses blanches. Articulé autour d’une quarantaine de questions, le sondage est destiné à tous les professionnels de santé – médecins, infirmiers, aides-soignants, libéraux, hospitaliers et salariés. Temps de travail, transports, automédication, fatigue, stress, alimentation, addictions : cette consultation doit nourrir les travaux de la mission. « Nous manquons cruellement de données sur la santé des libéraux », confirme Sarah Degiovani, secrétaire générale de l’Union nationale des professionnels de santé (UNPS, libéraux), orthophoniste. Mais pour le Pr Serge Uzan (Sorbonne Université), « il faudra aller plus loin que les questionnaires, en cherchant les facteurs étiologiques… »
D'ores et déjà, le ministère de la santé va financer quatre projets de recherche – sur la grossesse et la maternité des professionnelles de santé, l’incidence et le dépistage des cancers, les risques psychosociaux et addictifs chez les infirmières et l’impact épidémiologique de l’exposome sur l'état de santé des soignants. Les résultats sont attendus d’ici à deux ans.
Initiatives et plan de bataille
Dans l'attente de ces données tangibles, le ministère avance donc à petits pas. La profession de son côté n’a pas attendu pour s’organiser sur le terrain, souvent en ordre dispersé. Depuis 2015 le réseau Soins aux professionnels de santé (SPS), qui accompagne les soignants en souffrance, a reçu quelque 25 000 appels. « Les trois quarts sont des femmes, en grande majorité des aides-soignantes et des infirmières », précise Catherine Cornibert, pharmacienne de formation, à l'initiative de cette ligne d'écoute. Les confrères vulnérables sont réorientés vers médecins et/ou psychologues de la région. Une quarantaine d'appels « ont même conduit à des hospitalisations d'urgence », explique-t-elle.
En établissement, certaines fédérations se mobilisent tout en développant des programmes de prévention. Il y a trois ans, le centre lyonnais de lutte contre le cancer Léon Bérard a décidé « un recrutement à temps plein pour mettre en place des programmes de prévention des TMS », témoigne Nicole Bouwyn, DRH du groupe Unicancer. À Gustave Roussy (Villejuif), un plan de prévention et d'alerte des risques suicidaires a été instauré. Dans un autre registre, « nous avons des retours très positifs sur l’échauffement articulaire, réalisé tous les matins avec les professionnels qui exercent en imagerie médicale », témoigne Aurélien Cadart, directeur des soins au CH de Calais. Côté médico-social, la Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne privés solidaires (Fehap) lancera d’ici à fin mai une appli accessible à ses soignants « avec un podomètre pour inciter à l’activité physique, des conseils pour prévenir les TMS et une mise en contact directe avec un psychologue », résume le Dr Nicolas Villenet, conseiller médical de la Fehap. Le ministère assure qu'il s'inspirera de toutes ces idées.
Mais pour la Fédération hospitalière de France (FHF), l’amélioration de la santé des soignants passe d'abord par « un plan de bataille pour recruter en nombre suffisant, sinon ça ne fera que se dégrader », recadre Sophie Marchandet, cheffe du pôle RH de la FHF. Alors qu’un quart des aides-soignantes du public sont en arrêt de travail de longue durée dans les quatre ans qui précèdent leur retraite, la FHF réclame « un fonds de prévention de l’usure professionnelle et le recrutement massif de médecins du travail ».
Déni
« Les soignants ont beaucoup de mal à appeler à l’aide, ce sont souvent les collègues qui le font pour eux », rappelle le Dr Bertrand Mas-Fraissinet, président du Groupe Pasteur Mutualité. Cette « force du déni », selon Agnès Firmin Le Bodo, est encore illustrée par le troisième volet de l’étude Amadeus, menée par une équipe de chercheurs des Hôpitaux de Marseille et de la Fondation FondaMental. Sur plus de 10 000 professionnels de santé interrogés, près de 80 % d'entre eux déclaraient avoir déjà eu un antécédent d'épisode dépressif. Malgré cela, moins du quart d'entre eux ont pris des antidépresseurs et 13 % ont bénéficié d’un suivi psychiatrique…
La feuille de route ministérielle pourrait se pencher sur des nouvelles filières de prise en charge et d’orientation spécifiques aux soignants. Actuellement, 12 unités (privées ou publiques) sont dédiées à la prise en charge des professionnels de santé en souffrance.
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