Par le Dr Patrick Leblanc*
SANS RÉFLEXION éthique préalable, la mise en place du dépistage prénatal (DPN) de la trisomie 21 (T21) a changé notre approche du début de la grossesse. Déjà actée par un arrêté ministériel de 2009, la loi bioéthique de 2011 rend obligatoire l’information de toute femme enceinte sur la possibilité de recourir au DPN par dosage des marqueurs sériques et mesure de la clarté nucale fœtale. Ceci sera-t-il bientôt obsolète ? En effet la loi - non prospective - ne tient pas compte du diagnostic par simple prise de sang maternel (DPN non invasif ou DPN NI) qui a fait irruption cet été. Quelques brins d’ADN fœtal circulant chez la gestante peuvent être détectés, étudiés de manière très précoce et fiable, évitant ainsi l’amnio ou la choriocentèse. Prouesse technique, est-ce aussi un progrès médical ?
Un questionnement éthique renouvelé.
La médiatisation récente du DPN NI rend urgent, de novo, le questionnement éthique. Quinze années de traque institutionnalisée de la T21 ont engendré une certaine anesthésie des consciences avec une banalisation de la iatrogénicité de l’amniocentèse et la perte d’au moins 500 fœtus normaux par an ; par ailleurs le dépistage est synonyme d’élimination fœtale dans la quasi-totalité des cas diagnostiqués de T21 ; enfin nous assistons à une course dans la performance et la précocité des tests. En matière de T21 il faut dépister plus et plus tôt pour éliminer plus.
En août 2012, après la commercialisation dans 4 pays européens d’un test de DPN NI (Prenatest*), 2 équipes françaises sont en cours de validation de leurs propres tests annoncés tout aussi performants. Sous réserve de son acceptation par la tutelle, cette méthode serait réservée aux patientes à risque selon les tests classiques. La grande fiabilité du DPN NI et l’absence de fausse couche induite autorisent-elles de clore le débat ?
Du diagnostic au dépistage-diagnostic.
Gageons qu’il s’agit d’une première étape. Parce que 15 % des fœtus porteurs de la T21 « échappent » au DPN classique, la proposition du DPN NI sera, dans un 2e temps, étendue à l’ensemble des femmes en vertu du principe de l’égalité d’accès « aux soins ». De méthode diagnostique, elle deviendra alors un « dépistage-diagnostic » et le calcul de risque sera caduc. Parallèlement le coût de ce test diminuera rapidement car les laboratoires ont en ligne de mire le chiffre de plus de 800 000 naissances par an. Un marché juteux expliquant l’âpre concurrence entre les firmes de génie génétique, des lobbyings rapportés et la volonté d’éluder toute problématique éthique par ses partisans...
Une confusion des genres.
Autre argument avancé par les promoteurs du DPN NI : la possibilité d’interrompre la grossesse dans le cadre d’une IVG car réalisable dans le même délai. Cet argument est-il acceptable ? Non seulement il nous renvoie à la banalisation de l’acte mais il nous interroge : devrions-nous changer d’avis sur la peine de mort parce qu’on en améliorerait les conditions d’application ? Autre interrogation : les médecins experts des Centres pluridisciplinaires seront-ils sollicités dans le cadre d’une demande d’interruption dite médicale de grossesse comme l’exige la loi ?
L’information, garante de toute dérive eugénique ?
Affirmer que l’information des femmes et des couples qui doit être « loyale, claire et adaptée » permettra d’éviter toute dérive eugénique est un leurre. Quelle réponse obtiendrons-nous de nos patientes lorsque l’information consistera à dire que le dépistage-diagnostic est très précoce, anodin par prise de sang et qu’il suffira de quelques comprimés suivis, si besoin, d’un curetage en ambulatoire ?...
À terme le résultat inéluctable du DPN NI est la naissance de « zéro-bébé-triso ».
Peut-on nier l’eugénisme ? Est-ce cela la médecine prénatale ? S’agit-il d’une médecine de soins ? Quelles autres affections suivront la T21 ? Quel est notre choix de société ? Ces questions récurrentes doivent être débattues de manière urgente comme le réclame notre collectif.
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